Le conte était, par le passé, un moment privilégié du soir, où se réunissaient les enfants autour du kanoun (âtre), rassemblés dans la sous-pente (takana) qui faisait office de chambre à coucher, pour écouter, savourer et vivre le conte. Un conte court, ou long, mais jamais achevé et sans cesse répété avec le même entrain et plaisir. Ce moment fort qui s'imbrique aux us s'est effacé, éteint avec le temps pour laisser place à d'autres espaces et formes d'expression comme le théâtre, la télévision ou la radio. Qui mieux que grand-mère qui, en dépit se son illettrisme, pouvait incarner ce «conteur» aux dimensions à la fois sociale, culturelle. En parfaite narratrice, aliant le verbe au geste, elle pouvait à la fois faire rire, pleurer, dramatiser ou tourner en dérision, ou travestir une dramaturgie en comique. Les histoires d'antan parlaient de princes, d'ogres, de monstres, et où la fin tournait souvent à la faveur du héros qui se mariait avec sa dulcinée avec qui il avait beaucoup d'enfants. Mais aussi de Djeha dont les récits sont courts. Souvent tirés d'une mythologie dont on ignore l'origine. Telle une belle pièce, sans cesse renouvelée et enrichie,. Aux côtés de grand-mère, le conte se pratiquait aussi dans les souks (marchés), où le conteur usant parfois de son instrument de musique pouvait aussi faire l'attraction, non pas des enfants qui n'y avait pas accès, mais des adultes qui généreusement lui offraient des piécettes pour sa manifestation. Un cadre qui inspirera notre dramaturge feu Alloula, qui a créé son goual, ou sa halka faite de théâtralisation, narration et improvisation et où les spectateurs ne sont pas passifs et interviennent tout au long du spectacle. Amachahu relevait d'une époque où l'oralité prédominait et avait un lien avec le quotidien. Une oralité qui a disparu de nos jours et avec elle des pans entiers de notre culture. Car si l'on a définitivement perdu le conte, nous avons aussi perdu la poésie ancienne, les citations pourtant innombrables, voire mêmes infinies, dont quelques-unes seulement ont été ramassées. On a aussi perdu les proverbes, les charades et tout ce qui faisait notre patrimoine oral qui reste à transcrire. Mais ne dit-on pas que l'écrit tue l'oralité, et le conte écrit, enregistré peut-il se substituer à celui conté par grand-mère ? La réponse n'est pas évidente, mais il appartient aux artistes d'y répondre, de puiser dans le patrimoine et nous resservir le conte dans d'autres versions.