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Mahjoub Ben Bella expose au MaMa jusqu'au 30 septembre
Publié dans La Nouvelle République le 19 - 09 - 2012

Une exposition qui a nécessité près d'une année de préparation, ça se mérite. Du côté de l'artiste. Du côté de l'institution. Du côté du public.
C'est en effet celle, synthétique, du travail colossal d'un de nos artistes vivants les plus méconnus dont on n'avait pu voir qu'une seule toile exposée au palais de la Culture d'Alger, lors d'une exposition collective d'art contemporain arabe en 2007. Justesse et justice Cette monstration propose un parcours linéaire et chronologique bien orchestré dans une scénographie judicieuse, reflétant le labeur de plus d'une trentaine d'années qui se quantifie en dizaines de milliers d'œuvres en tout genre, en mètres carrés, en kilomètres, en surfaces impressionnantes revisitées et déclinées à travers les types d'expression les plus divers sur des subjectiles très variés tels l'huile et l'acrylique sur toile, sur bois, sur coussins, sur cageots, l'encre de Chine sur papier, l'acrylique et la terre d'Oujda sur toile de jute, la gravure et l'eau forte sur papier, les techniques mixtes sur pavés (supports emblématiques du nord de la France où Mahjoub Ben Bella a construit, outre sa vie familiale, sa carrière artistique, ces deux itinéraires étant intimement liés), encre de Chine et acrylique sur divers supports parmi les plus improbables, céramique, land art ( expression artistique spectaculaire qui lui a conféré une notoriété et une dimension médiatique et critique non négligeable). Ce parcours est dûment mis en lumière par le MaMa. Avec justesse pour le casting et la programmation dans le cadre du cinquantième anniversaire de l'indépendance du pays. Avec justice, rendue à un artiste indûment «occulté» dans son pays depuis plus d'une trentaine d'années. Et il n'est d'ailleurs et malheureusement pas le seul. L'homme qui venait du sud Mahjoub Ben Bella est originaire de Maghnia où il vit le jour en 1946. Elève de l'Ecole des beaux-arts d'Oran dès le début des années 1960, il regagne l'Ecole des beaux- arts de Tourcoing puis poursuit sa formation à l'Ecole supérieure des arts décoratifs ainsi qu'à l'Ecole supérieure des beaux- arts de Paris. Il commence à exposer dès les années 1970 qui le voient s'affirmer progressivement sur la scène locale puis nationale et internationale, et sa notoriété ne prend de l'envergure qu'avec les impressionnants travaux monumentaux dont le plus emblématique reste celui qu'il réalisa en 1986 sur le parcours Paris-Roubaix du Tour de France cycliste, réputé pour son impitoyable rudesse et connu sous le nom redoutable d'«enfer du Nord». Mahjoub Ben Bella, par amour pour sa terre d'adoption et par humour, baptisa son œuvre «Envers du Nord». Cette œuvre peinte sur 12 km de pavés donne une idée assez significative du travail titanesque que cela représente. A cela, il faut ajouter, entre autres, une fresque réalisée en 1982 pour l'aéroport international de Riyad en Arabie Saoudite, puis la projection d'un travail de 4 000 m2 projeté dans un stade (Pacaembo) à Sao Paulo en 1999, ainsi que la décoration d'une station du métro de Tourcoing en 2000. Dans la multitude de ses interventions et expositions figurent des centaines de participations individuelles ou collectives. A côté des collections privées de ses œuvres, certaines collections publiques méritent d'être signalées : mairie de Lille, Musée du Luxembourg, Institut du Monde arabe, Fonds national d'art contemporain de Paris, Musée des beaux-arts de Tourcoing, Musée national de Tunis, Musée d'art moderne de Villeneuve d'Ascq (Lille métropole), British Museum de Londres, Galerie royale de Jordanie entre autres. Un pullulement graphique et chromatique Une combinatoire monolithique furibonde hybride entre signes linguistiques proches de la graphie arabe et de signes iconiques nourrit la surface de subjectiles souvent improbables (assemblages en caissons de lamelles en bois de cageots et emballages divers, articulation de charpentes en bois et morceaux de poutres de récupération, pavés, textiles grossièrement matelassés, accumulations d'amulettes et planches parsemées de clous à moitié enfoncés) et donne aux œuvres un baroquisme plein de grâce, d'énergie et de liberté. Elle confère à la palette une prévalence subtilement déclinée permettant au langage esthétique de bouffer l'espace comme une ronce fluviatile changeant d'amplitude et de format au gré des dimensions techniques et iconiques des œuvres. L'inventivité et la virtuosité exécutive les animent d'une présence plastique et d'une robuste prégnance ainsi que d'une déflagrante présence. Une sorte d'engendrement dans la ferveur semble avoir présidé à l'incroyable masse de labeur et d'exigence dans la mise en œuvre. Des explosions de couleurs vigoureuses donnent à l'ensemble un format identitaire spécifique obéissant à ce que M. Mohamed Djehiche (historien de l'art et directeur du MaMa) qualifie de «pulsion impérieuse tyrannique» et révélant un «logiciel interactif», terme de M. Mustapha Orif, historien de l'art et directeur de l'AARC (cf. contributions accompagnant le catalogue de l'exposition élogieusement préfacé par Mme Khalida Toumi, ministre de la Culture). On pourrait même oser parler de «graphi-peinture», néologisme qui nous sollicite à la lecture du texte du critique d'art Gérad Durozoi inséré dans le même catalogue. Une sorte de «signe-mania» rythme le geste fébrile de Mahjoub Ben Bella dans sa picturalisation effrénée du signe. La virtuosité technique de la facture donne à ce code visuel «mahjoubien» une indicible séduction. Une veine expressionniste fluviatile Le langage de Mahjoub Ben Bella procède du caractère esthétique de l'expressionnisme, notamment l'abstraction lyrique et ses multiples variations. On ne peut éviter de situer notre artiste parmi les créateurs les plus significatifs de notre époque et pour ce faire, l'évocation d'un certain nombre d'entre les plus illustres s'invitent à notre évocation tels Christian Dotremont (proche des surréalistes qui s'est illustré surtout par ses logogrammes sur valises), Sam Francis (qui, s'inspirant de la peinture Color Field, s'est distingué par ses peintures instantanées), Simon Hantaï (adepte de Jackson Pollock et de l'Action Painting, auteur de travaux qu'il qualifie de «moments de délire érotique»), Georges Mathieu dont Malraux disait : «Enfin, un calligraphe occidental», Joan Mitchell, proche des expressionnistes abstraits Franz Kline et Willem De Kooning et qui s'est illustrée par son paysagisme abstrait; Jackson Pollock, célèbre par son dripping en all over saturé d'une intensité baroque, Cy Twombly, fervent dessinateur à la remarquable gestuelle automatiste, Wols dont le tachisme trouve son prolongement dans l'Action Painting, Jean-Paul Riopelle dans ses compositions des années 1950 et sa technique de l'égouttement aidé, Jean Dubuffet (dans ses «paysages à personnages» des années 1960), Jasper Johns (dans ses travaux de 1950 comme «Grey alphabets»), Arnaldo Pomodoro et sa technique de caissons déclinée dans ses sculptures en bronze comme «Porta Europa», Maria Héléna Veira Da Silva («Gioso») ; Alain Jacquet (notamment dans ses portraits photomécaniques dont on pourrait rapprocher «Hommage à Van Gogh» et «Hommage à Roberto Matta» de Mahjoub Ben Bella) sans oublier de rappeler le travail de Chuck Close (mais dans une technique différente), ainsi que l'Algérien Boutadjine, Marc Tobey, Pierre Alechinsky, Yayoi Kusama, Christofer Wool, Alfrédo Ossorio, Trancredi, Richard Poussette-Dart... Cette énumération qui n'a aucune prétention exhaustive nous permet de situer Mahjoub Ben Bella dans le gotha des arts plastiques des dernières décennies et corroborer notre conviction que nous sommes en présence d'un artiste talentueux et prolifique qui a embrassé vigoureusement son temps. Il a inspiré son époque et s'en est inspiré, ceci étant inévitable quand on a le cursus universitaire qu'il a. Le MaMa nous donne ainsi le privilège, qui se poursuit jusqu'au 30 septembre 2012, d'apprécier dans une exposition retentissante d'impact un sampling précieux d'une œuvre innombrable, celle d'un artiste puissant qui n'a eu de cesse durant plus de quatre décennies de donner libre cours à un labeur passionné et passionnant pour advenir à soi-même dans un pays d'adoption où il a appris le respect de l'exigence dans une quotidienneté du travail et de la pugnacité. Il saisit, à l'aune de cette exposition, l'heureuse occasion d'advenir à son pays.

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