Publiée un siècle après la mort de Mark Twain par volonté testamentaire, cette autobiographie retrace trente-cinq ans de la vie d'un homme hors du commun. Exceptionnel. Véritable événement éditorial de cette rentrée littéraire, Une histoire américaine» dévoile — comme son titre l'indique, sans exagération — tout un pan de l'histoire des Etats-Unis. Et par là même, puisqu'il s'agit du parcours de l'immense Mark Twain, de l'histoire littéraire. Personnalité hors du commun, pionnier en de nombreux domaines, grande gueule non conformiste, le père de Tom Sawyer et de Huckleberry Finn fut avant tout un fabuleux narrateur d'histoires, une sorte d'Oncle Paul à moustaches blanches que nous aurions tous rêvé écouter au coin du feu. Quand il raconte sa vie, de son enfance à ses voyages, en passant par des anecdotes de prime abord sans grande importance, il vous entraîne aussitôt, en quelques mots, dans ses aventures personnelles, décrites avec minutie, comme si vous y étiez. Son récit du naufrage du clipper Hornet, au large de l'Equateur, premier scoop journalistique, est à lui seul exemplaire. Ernest Hemingway n'avait pas tort de le considérer comme un père fondateur : Mark Twain, de son vrai nom Samuel L. Clemens, joue à la fois les rôles de modèle, d'initiateur, de patriarche, de grand frère pervertisseur et, pour les Européens, de fantasmatique oncle d'Amérique. Enfin édités, ses mémoires, maintenus sous le manteau un siècle durant, par sa propre volonté testamentaire peu avant sa disparition en 1910 pour faire durer le suspense et/ou rebondir dans les limbes de la postérité, nous montrent un écrivain ambitieux, observateur, à la fois idéaliste et réaliste, obsédé par l'argent, digne héritier des pionniers, profondément américain, donc mais néanmoins ouvert sur le monde, curieux de tout, paré pour toutes les expériences. De son œil pétillant, exorbité, Twain s'intéressait aux êtres, quels qu'ils soient, humbles fermiers, esclaves noirs, Amérindiens, militaires, industriels, simples employés, politiciens ou anarchistes. Il était aussi à l'aise dans les salons que sur les fleuves, à Hawaï, Vienne ou Florence, en compagnie des trappeurs, des gamins du Missouri ou des patrons de presse, lui qui fut, entre autres métiers, ouvrier typographe. Cette autobiographie, annoncée en trois volumes, parue il y a deux ans aux Etats-Unis (où elle s'est écoulée à plus de 500 000 exemplaires), se voulait le point d'orgue d'une carrière menée tambour battant : Twain y consacra trente-cinq ans, dictant quotidiennement, à partir de 1906, de longs passages à une assistante sténographe. Il considérait ses mémoires comme une œuvre à part entière, son «grand roman américain» (il avait atteint un demi-million de mots en 1909). Il y réfléchissait sans cesse, et le résultat est à la hauteur de ses espérances : il parvient à intéresser le lecteur à chaque épisode de son existence : l'enfance dans le Sud, les débuts dans le journalisme, la manière dont il réussit à faire éditer les mémoires du général Grant, ses engagements politiques (progressistes pour l'époque), ses rencontres avec les grands artistes de son temps (parmi lesquels Tchaïkovski), mis au même niveau que des événements qui le marquèrent, aussi anodins soient-ils... Ecrivain jusqu'au bout des ongles, Twain ne s'épargne rien, allant jusqu'à décrire, en nous tirant des larmes, la mort de son épouse et celle de sa fille. Pour lui, une autobiographie est à la fois «mensonge absolu et vérité absolue». Ambitieux par-delà les siècles, Twain rêvait de composer, avec ses souvenirs, un modèle de l'autobiographie. Il innove en permanence, joue de tous les supports, de tous les genres, mêlant bribes de récits, extraits d'essais, coupures de presse (sur lui ou ses propres articles), journal intime, réflexions éparses, flash-back, fragments de ses premières tentatives d'autobiographie, courriers, confessions posthumes. Parfois féroce, souvent drôle, le Sudiste reste pourtant pudique. Il reflète son époque. Mais il demeure, malgré tout, d'une sincérité rare. Maître de son style, fluide, direct, sans une once de graisse. Il démontre, une fois de plus, cent ans après sa mort, qu'il fut un écrivain novateur, pour ne pas dire un authentique génie.