disparu en 1997, à l'âge de 90 ans, l'écrivain américain James Michener est l'un des auteurs marquants de la littérature du XXe siècle. Son œuvre abondante - une quarantaine d'ouvrages - le situe dans la tradition de Walter Scott, de Joseph Conrad, mais davantage encore dans celle de Jack London et celle de David Henry Thoreau, le grand poète américain du retour à la nature. Michener avait d'abord été considéré comme un écrivain mineur, car il était venu au roman au moment où la scène littéraire américaine était dominée par des personnalités aussi charismatiques qu'Ernest Hemingway, John Steinbeck, William Faulkner, John Dos Passos ou Scott Fitzgerald. James Michener avait bien reçu, en 1948, le prix Pulitzer, la plus grande distinction littéraire américaine, mais cela ne lui valait pas pour autant de figurer dans le panthéon des gloires qui défraient la chronique. Récompensé pour un récit fondé sur son vécu de marin dans la flotte américaine du Pacifique, il était jugé comme un écrivain atypique. James Michener, en fait, était un homme mesuré et ce caractère lui venait très certainement de son histoire personnelle. Il se définissait d'ailleurs comme un homme sans racines, car il était de parents inconnus. Abandonné dès sa naissance, il avait été recueilli par Mabel Michener, une veuve charitable qui offrait ses services comme blanchisseuse pour nourrir les enfants dont elle avait la charge. James Albert Michener, jusqu'au terme de sa vie, se posa la question de savoir qui il était réellement, et il formulait volontiers qu'il y avait peut-être en lui « une part de musulman, ou de juif, ou de nègre ». C'est ce doute originel qui influença très fortement son œuvre littéraire et le porta à ce grand intérêt pour les communautés marginalisées si présentes dans ses romans. James Michener est ainsi un grand connaisseur et un sympathisant de la cause indienne dont peu d'auteurs américains ont aussi bien parlé que lui. Son roman Colorado Saga est une fresque dédiée justement à la nation indienne. Michener décrit un tribu indienne, Notre Peuple, dont l'esprit chevaleresque consiste à ne pas tuer un ennemi défait mais simplement à le toucher pour accomplir ce que les Indiens de Notre Peuple appellent un exploit. Quel contraste avec la cruauté des conquérants qui, selon la formule du général Custer, considéraient que « les seuls bons Indiens sont les Indiens morts ». Le thème indien est, d'ailleurs, récurrent dans la production romanesque de James Michener, et son œuvre majeure à cet égard reste Chesapeake et l'attachant portait de Pentaquod, cet Indien proscrit, éternellement en fuite, car il ne se sent nulle part en sécurité mais pas au point d'infliger la mort à ses adversaires. Chesapeake continue d'une certaine manière Le Dernier des Mohicans, mais le point de vue de Michener est plus tranché, plus favorable aux Indiens victimes de la tragédie de la dépossession et de la dépersonnalisation, et plus encore des séquelles du métissage qui en fait, partout où ils vivent, des exclus. Il était donc abusif, après qu'il eut écrit Les ponts de Toko-Ri, de voir dans James Michener un écrivain exotique. Sans doute le romancier était-il désireux de porter témoignage en associant les circonstances de sa vie personnelle aux événements de l'histoire. Il avait participé à la guerre, mais il en revenait avec le sentiment que les conflits ne servent pas l'humanité. Cependant, dans le même temps, Michener n'ignore pas que les préjugés sont tenaces y compris en Amérique. Son roman Caravanes, dont l'action se situe en Afghanistan - déjà ! - explore ce syndrome du refus de l'autre à travers l'union entre une Américaine et un Afghan, puis les résistances qu'elle suscite de part en part. Dans nombre de ses romans, James Michener revient sur cette double problématique de la transgression et du déclin. Dans Chesapeake, Pocahantas, emblématique princesse indienne, est déclassée au contact des colons blancs qui ne comprennent et ne respectent pas la civilisation qu'elle incarne. Tout comme les esclavagistes ne comprennent pas le droit à la dignité des populations africaines déportées en Amérique. Dans ses romans, James Michener part du passé pour construire des récits significatifs de l'Amérique actuelle. il avait lui-même conscience d'être un déraciné dans son propre pays. Mais il ne s'en sentait pas moins un Américain qui voulait transcrire tous les dysfonctionnements de sa société. Ce n'est pas une Amérique idéalisée qu'il dépeint donc, mais un héritage d'excès, de violences qui font primer le droit du plus fort. En cela, Michener est un auteur classique dans l'esprit de Rousseau, mais il énonce que ce monde est fait aussi de nuances. Michener a concentré cet a priori dans Centenniel, un lieu-clé de son œuvre romanesque. Mais James Michener, qui a fait de la planète la scène de ses romans, se sentait à l'étroit en Amérique. Dans ses livres, comme le Mexique, la Pologne, les Caraïbes, l'Ibérie, il a cherché à aller à la rencontre du monde pour percer le propre mystère de ses origines et déterminer les liens du monde avec son pays. En tant qu'écrivain, on relève chez lui la persistance de l'imaginaire de l'enfance dans ces histoires qu'il mène rondement de pirates féroces, de trappeurs sournois, de chercheurs d'or cupides et de braves fermiers accablés par les caprices du temps. James Michener a eu le souci, en s'appuyant sur des faits d'histoire, de ne pas faire l'Amérique plus belle qu'elle ne l'est. Ses romans, empreints de la vérité des situations relatées, sont d'un réalisme prenant et c'est à ce titre qu'ils sont largement les romans de l'aventure humaine. Mais il y a tout de même le ressort philosophique de l'écrivain qui ne se satisfait pas des injustices, des inégalités et des dénis. Michener est le romancier des contradictions américaines résumées par cette tentation de l'isolationnisme et le désir expansionniste. Dans cette mesure, les questions posées dans l'œuvre de Michener restent pendantes. L'écrivain s'est éteint, au bout d'une longue vie. Il avait succombé après un long combat contre la maladie à une grave insuffisance rénale.