En ce mois de juin 1954, Didouche Mourad était dans son quartier de la Redoute, actuellement El-Mouradia, chez son ami Lamrani Hassène dit «le tailleur» qu'il entretenait de choses importantes, puisque il était passé 18 heures lorsqu'il entra au magasin. Ce ne peut-être que comme cela que le concevait les initiateurs de la lutte de Libération lesquels devaient être convaincus que certaines actions élaborées et exécutées par de petits groupes de partisans sont de nature à faire se développer plus vite les luttes à caractère populaire ; les rapports entre ces actions et les actions de masse, restent à être détaillés d'après le cadre organique qui sera fait. Car si l'objectif est d'unir l'ensemble du peuple dans la révolution, il ne faut pas seulement appeler action de masses, les actions accomplies par les masses, telles les manifestations de rue, mais aussi celles accomplies par une fraction des masses et qui font avancer l'ensemble des masses. Par exemple l'élimination d'un colon n'est pas décidée par l'ensemble des «khemass ou fellah» et pourtant chaque élimination va faire progresser l'ensemble des «khemass et des fellahs», plus l'ensemble du peuple. Il est vrai que le rapport entre les actions de petits groupes et les actions de masse est un rapport complexe, qu'il faut savoir maîtriser avec tact et précautions. Et cela ne peut l'être comme il faut que si l'encadrement politico-militaire partisan, est à la hauteur des exigences de l'action et aussi du niveau que requiert la situation globale, car les répercutions des causalités peuvent retourner un événement en son contraire, et faire en sorte que l'information et la compréhension des faits donnent d'autres échos que ceux escomptés par les chefs d'opérations. Il est donc vrai que des erreurs peuvent être commises, qu'il peut y avoir des actions de petits groupes qui soient des actions irréfléchies, qui ne favorisent pas le développement de lutte à caractère populaire, ou même qui l'entrave l'empêchant de porter son fluide. Tout le travail des responsables algériens va être justement de fixer les lois et les règles de la lutte de Libération nationale et ce, afin de combattre, dans les meilleures conditions, les tendances négatives, et développer le courant positif de la lutte contre l'occupation coloniale française qui se maintient par la force et la malice en cette terre algérienne depuis toujours. En cette Algérie millénaire, où aucune force étrangère, si puissante soit-elle, n'a pu faire plier éternellement le peuple libre de ces régions, car quelle que fut la multitude des envahisseurs qui s'en sont crus maître, le peuple de ce pays a toujours su leur résister avec abnégation et courage, jusqu'à trouver la force et les moyens de les bouder tous hors de ses frontières. C'est pourquoi pensent les précurseurs de la lutte armée, que la lutte de partisans fera avancer le cours de la révolution populaire, en faisant basculer dans notre camp les indécis. Ces architectes de la Révolution pensaient sans aucun doute que c'est la forme que revêtira la révolution populaire dans sa phase de révolution idéologique. Nous savons disent-ils : - «Que toute révolution armée, est préparée par une révolution idéologique, et faute d'école officielle pour former cet état d'esprit, il nous a fallu tous travailler en cachette, dans le secret de la clandestinité, sur des cerveaux longtemps pétrifiés, auxquels il a fallu l'impact psychologique de mai 1945, pour que les esprits prennent conscience que l'indigène, l'autochtone algérien ne valait rien aux yeux de l'autorité coloniale». Et c'est cela qui fait dire aux chefs du mouvement de lutte armée : - «Pour que le peuple prenne le fusil, il faut que les esprits s'y soient préparés, qu'ils soient prêts. Car prendre les armes contre la deuxième puissance mondiale, la France en l'occurrence, n'est pas chose facile. Il faut que le peuple soit décidé à la guerre avec cette puissance qui fait partie de l'alliance des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Car si le peuple n'a pas la motivation pour se battre, il n'aura pas la conviction pour gagner». La préparation des esprits, la construction de l'opinion populaire, c'est cela la révolution idéologique : c'est la préparation de tout un peuple à la guerre. Cependant suite aux instructions de Didouche Mourad, Zoubir Bouadjadj devait rester en contact avec Liès Derriche et Lamrani Hassène avec son neveu Mohamed yeux bleus qui, ayant transmis les instructions à Madani Saïd, fit que le secteur de Derriche Liès était entièrement surveillé, puisque quadrillé par les éléments du groupe de chocs de l'OS. Ces éléments à qui, il a été donné, une formation idéologique politique et paramilitaire était en alerte, en prévision de l'éminent déclenchement de l'action armée. Les chefs de ces groupes de chocs savaient qu'ils devaient prendre de vitesse les Messalistes qui ont annoncé, en terme clair et net, par la voie de leur représentant, lors d'une réunion qui s'est tenue à Birkhadem, que la lutte armée serait déclenchée par eux, «avant la nouvelle année 1955», c'est-à-dire au plus tard le 31 décembre 1954, à 00 h. Au Clos Salembier personne ne savait ce qui allait s'y passer. Les plus avisés des militants qui étaient branché, savait seulement qu'une réunion des cadres Scouts, aller se tenir quelque part dans le quartier. Il y en a eu tellement de réunion clandestine dans ce quartier, que cela n'avait plus rien d'étonnant pour les autochtones. Quant au groupe restreint chargé de la sécurité, ils savaient que la réunion dont il était question, était importante sans plus. En ce qui concerne Liés Derriche, chez qui cette rencontre allait se tenir, il savait quant à lui, qu'elle était «très importante», et qu'elle devait compter «25» personnes, et c'est parce qu'il devait les nourrir qu'il en connut le nombre, quant à l'ordre du jour, comme tous les autres, Liés Derriche ne le sut que lorsque la réunion commença (Selon ce que Liès Derriche lui même a rapporté à l'auteur). L'exigence du cloisonnement voulant que la prévention soit mère de la sûreté, une réunion de coordination des responsables de la surveillance, eut lieu chez Mohamed yeux bleus, à la Cité Nador, et en son domicile se sont regroupés pour examiner la situation: Debbih Chérif, Madani Saïd et Laala Abderahmane. Il y décide du comportement à tenir, et fixe des mots de passe. Il y fut évalué les armes disponibles qui avaient été sorties de leurs caches nettoyées, graissées et essayées dans la terre du jardin, pour s'assurer qu'ils fonctionner bien. Puis ceux qui auront à assumer la sécurité du lieu de la réunion, ont reçu les consignes de sécurité et les armes qui vont avec, pour en cas de nécessité, défendre les invités qui seront là, et leur servir de bouclier jusqu'à les faire fuire en urgence. Tout cela avait été prévu ce soir là au cours de cette réunion, dont tous les membres figureront parmi les premiers chouhada du combat de libération, duquel ils ont veillé à son éclosion. Le père et la mère Derriche, savaient que leur fils Liès allait recevoir des «chefs Scouts» qui allaient tenir une réunion ordinaire, comme il s'en tenait un peu partout dans tous les quartier populaires, et que les invités seraient une trentaine, et Liès avait insisté auprès de la maîtresse de maison pour leur faire un bon couscous, «Mesfouf». Il avait d'ailleurs procédé lui-même aux achats nécessaires, sans oublier le petit lait, le désert et la limonade. Liès Derriche savait que les frères surveillaient sa maison 24h sur 24. Deux militants habitant la même ruelle, se relayaient nuit et jour derrière des volets clos, pendant que d'autres patrouilles à deux ou trois, circulant par intermittences, à travers les rues environnantes, changeant d'itinéraires après chaque passage. Les membres de la famille de Liès Derriche pouvaient dormir dans la tranquillité de l'ignorance du danger auquel ils étaient réellement exposés ! Leur demeure était sous haute surveillance. Puis un beau matin, Zoubir Bouadjadj vint avertir Liès Derriche de la date de la réunion qui va se tenir chez lui et lui dit - «Ce sera le 25 juillet 1954, le dernier dimanche de ce mois. - C'est dans huit jours ? calcula très vite Derriche. - Bouadjadj hocha la tête et lui dit : certains frères arriveront deux ou trois jours avant. - Qu'ils soient les bienvenus dit Derriche spontanément, tout à coup comme soulagé et heureux d'apprendre que le jour tant attendu est enfin arrivé. Il faut dire que le pauvre Liès n'en dormait plus, il passait des nuits blanches d'anxiété. Il était dans le même état de stress qu'un détenu qui attendait le jour de son jugement. Sera-t-il libéré ou condamné, sera-t-il libre ou exécuté. «La peur est humaine». S'impliquer et impliquer les êtres les plus chères de sa famille dans une entreprise insurrectionnelle de cette envergure, c'est plus que dangereux, c'est mortelle. Mettre ainsi sa maison à la disposition d'une organisation clandestine, qui plus, «incite au soulèvement armée contre l'autorité de l'Etat», et quel Etat, une puissance mondiale équivaut à mettre sa tête sous le couperet de la guillotine, sans parler des répercussions sur l'entourage familiale. Il valait mieux ne pas y penser, se disait Liès Derriche, à lui-même, résistant en son fort intérieur à la peur qui le tenaillait. Cet homme, il faut le souligner, en acceptant ainsi de mettre sa maison au service d'un complot d'une telle ampleur, risquait plus que sa tête, la vie de toute sa famille. Car donner asile à ces «repris de justice française» qu'était les inviter à cette assemblée de rebelle, ce n'était pas rien. C'était un «soulèvement armé contre l'Etat français» qu'il s'agissait ! Et accepter cela, équivaut à de l'inconscience ou à de la témérité. Il fallait avoir un supercourage pour l'accepter. Et Monsieur Liès Derriche a eu la bravoure et le courage de le faire. En traduisant ainsi et par cette disposition, l'importance et la valeur qu'avaient à ces yeux la libération du pays. Liès Derriche, a dans les faits, placé l'Algérie avant, et au-dessus de toutes autres considérations. L'Algérie valait plus que ces biens, et sa propre famille. Cet homme a donné à la révolution algérienne tout ce qu'il avait de bien matériel et humain, et dans le même sillage que les autres responsables, il s'est impliqué corps et âme, en risquant sa vie, ainsi que celle de ses respectables parents qu'il a impliqués aussi, puisque ce sont eux qui s'occuperont du gîte et du couvert. Liès comme tout ceux qu'il a hébergés, et comme beaucoup d'autres encore, vont donner, au patriotisme des « indigènes» algériens, ces plus belles lettres de noblesse. Et l'indépendance sans un patriote de l'envergure de Liès Derriche aurait manqué de cette exemplarité dont on s'honore en voyant flotter notre drapeau. Deux jours avant la réunion, les cinq du Crua, Mostefa Ben Boulaïd, Mohamed Boudiaf, Didouche Mourad, Larbi Ben M'hidi et Rabah Bitat étaient arrivés les premiers, pour s'imprégner des lieux, ils furent rejoints encore par Mostefa Ben Boulaïd et Mohamed Boudiaf, et ainsi ensemble ils se répartirent les tâches et se préparèrent à l'accueil de leurs compagnons pour les présenter les uns aux autres. Et au matin du 25 juillet, un dimanche, à l'heure où au Clos Salembier, les femmes préparent le petit déjeuner à leurs enfants, d'autres hommes arrivèrent encore successivement, marchant sur le sol de cette commune, donnant ainsi aux lieux et à l'instant une sacralité éternelle. Et Liès Derriche en se souvenant de ces moments-là comme étant les plus beaux de sa vie, les rapporteras en ces termes : «Puis la maison s'imprégna de la présence de tous ces hommes qui s'étaient succédé par groupe de deux à trois personnes, à quelques minutes d'intervalle entre chaque groupe, comme si quelqu'un posté au coin de la rue régulait leurs apparitions. Ils rallièrent la maison comme s'il était tombé du ciel. Discrets et prompts, rapides et silencieux, ces hommes commencèrent à arriver au Clos Salembier, sans que l'on sache par où ni comment, et parvinrent jusqu'au lieu du rendez-vous, sans que l'on sache qui les a guidés. Liès se souviendra avoir vu entrer successivement chez lui, après les cinq organisateurs, Didouche, Ben M'hidi, Bitat, Boudiaf et Ben Boulaïd où s'y trouvaient déjà : «Ben Tobbal, Boussouf, Benaouda, Souidani, et Bouchaib qui lui, avait été présenté par Didouche, puis tout s'est mélangé dans sa tête et dans son esprit tous se ressemblaient, ne les connaissant pas il ne savait plus «qui était qui». Même les autres ne se connaissaient pas tous, constata Liès Derriche, ému. (A suivre)