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Les senteurs de Achoura
Publié dans La Nouvelle République le 04 - 12 - 2012

Entre tradition prophétique et culture, le jour de Achoura revêt différentes significations. Achoura, dérivé de âchara, qui signifie dix, correspond au dixième jour du mois de mouharem, premier mois de l'année musulmane. De l'islam sunnite à l'islam chiite en passant par le Maghreb, Achoura est vécue différemment. Jeûne, fête ou commémoration, chacun marque à sa façon ce jour.
La fête de Achoura, coïncidant avec le 10e jour du mois de mouharem, est une occasion pour les Tissemsiltis de faire prévaloir les traditions de solidarité et d'entraide sociale. Cette fête religieuse, tant attendue par les plus démunis pour recevoir la zakat de la part des riches comme il est édicté dans la charia de l'islam, est vécue d'une manière très particulière par les populations. En effet, dès le premier jour de mouharem 1433, nouvel an de l'Hégire, les artères et rues commerciales de la ville de Tissemsilt sont prises d'assaut par les citoyens, particulièrement les ménagères qui viennent s'approvisionner en divers articles et produits affichés à des prix réduits. Cet engouement est également observé au niveau des magasins du centre-ville, du Wiam et au souk Hlima. Comme à l'accoutumée, la cité de Tissemsilt se transforme ce jour, en un gigantesque marché où sont exposés tous genres de produits, notamment les articles longtemps entassés sur les étals des magasins. Pour la plupart des commerçants, Achoura est le moment idéal pour se débarrasser des anciennes marchandises, soit en les offrant à des pauvres ou en réduisant les prix. Les plus démunis qui ont reçu leur part de la zakat profitent de cette aubaine pour faire leurs emplettes. La célébration de la fête de Achoura se distingue également par l'aspect culinaire propre à la région de Tissemsilt. Les ménagères préparent les plats préférés, comme le couscous, le refiss, les bagherirs et autres pour concocter de délicieux mets traditionnels. Au plan religieux et spirituel, outre le jeûne observé le jour de Achoura, les mosquées et les zaouïas accueillent de nombreux fidèles, venus pour accomplir le dhikr d'Allah. Pour comprendre le sens de Achoura, il faut remonter à l'an 622 lorsque Mohamed (QSSSL) et ses disciples, après avoir quitté La Mecque, arrivent à l'oasis de Yathrib, la future Médine. Une des trois tribus qui étaient installées dans l'oasis était juive, et le jour de l'arrivée de Mohamed (QSSSL), celle-ci célébrait le Youm Kippour, jour de l'Expiation ou du Grand Pardon. Ce jour-là, les Israélites observent un jeûne absolu et ne travaillent pas car ils font mémoire et demandent pardon à Dieu d'avoir adoré le Veau d'or au cours de l'Exode. Ce jour-là également, le peuple hébreu demande pardon à Dieu pour tous les péchés commis à l'égard de Dieu et des autres au cours de l'année écoulée. Mohamed (QSSSL) conseille alors à ses compagnons de jeûner : «Dieu remet les péchés d'une année passée à quiconque jeûne le jour d'Achoura». Toutefois, deux ans plus tard, lorsque le mois du ramadan est révélé, le jeûne de Achoura devient recommandé mais non obligatoire, à condition de jeûner deux jours, dont celui de Achoura, pour se différencier du judaïsme. Les musulmans considèrent donc Achoura comme un jour de jeûne. Mais, dans certains pays, des pratiques culturelles sont venues s'ajouter aux traditions religieuses. Les musulmans les plus avertis vous diront que ces pratiques sont des innovations et qu'elles ne relèvent pas de l'islam. Mais elles n'en sont pas moins populaires. Il faut savoir qu'en Algérie, le jour de Achoura est une journée fériée ; c'est dire l'importance que revêt cette fête pour les sunnites, les Algériens en particulier, car ce ne sont pas tous les pays musulmans qui accordent une journée fériée pour cette fête. En général, les Algériens aiment jeûner cette journée et accomplissent donc le jeûne et prennent le repas en famille. En Kabylie, on appelle cette journée Taâchourt et, dans certains villages, c'est une journée de bénédiction pour le nouveau-né mâle avec de nombreux rites ancestraux, mais aussi une journées de bénédiction pour les fiançailles de ceux qui font coïncider cet événement à Achoura. Dans les régions de l'Ouest, plus particulièrement à Oran, Tiaret et Tissemsilt, c'est une occasion de se faire un repas en famille. En général, on fait le rougag, c'est-à-dire des feuilles de m'semen cuites sur un tajine en fonte. On découpe grossièrement ces feuilles puis on les arrose de sauce au poulet et aux légumes pimentée. Pour ceux qui ont les moyens et les très croyants, c'est une occasion de sacrifier le mouton et de distribuer la viande aux plus pauvres. C'est aussi une occasion de faire l'aumône. A Constantine, la journée de Achoura est très importante. La ville des ponts suspendus célèbre cette fête depuis des décennies. Autrefois, les petits chantaient «Heddi dar sidna koul'aâm edzidna». Certaines traditions ont disparu, d'autres ont fait leur apparition, mais ce qui est sûr, c'est qu'on y tient toujours parce que c'est comme l'Aïd ou le Mawlid. Achoura est surtout une occasion pour réunir toute la famille autour d'un repas. Le plat est en général la chakhchoukha et on sert du thé avec la kechkeche, un sachet rempli d'amandes, de pistaches, de noix, d'arachides, de dattes, de bombons... A Tipasa, les préparatifs de la célébration de Achoura commencent pour les mères de famille dès l'Aïd El Adha. «Après avoir sacrifié le mouton, on réserve une partie de la viande pour l'Achoura. Les femmes recouvrent celle-ci de sel en vue de la conserver pour l'événement. Cette viande séchée constitue l'ingrédient principal dans la préparation du festin de la fête qui est généralement à la base de berkoukess (gros grains de couscous), de légumes en sauce agrémentés avec des morceaux de poulet qu'on égorge souvent le jour même. Ce plat est partagé avec les plus démunis. La zakat y est importante tout comme le dhikr d'Allah. L'autre tradition qui revient à chaque Achoura ici, comme ailleurs aussi, est d'offrir sa première coupe de cheveux aux enfants. Un nombre non négligeable de parents, si ce n'est pas tous, attend toujours la fête de Achoura afin de couper, pour la première fois, les cheveux de leurs enfants cadets. Cela confère à l'événement une touche de joie, dans la mesure où l'enfant devient le centre d'intérêt de tout le voisinage», nous a-t-on fait savoir. Il en est de même à Alger : repas en famille autour d'un bon tlitli (plat à base de pâtes en forme de langue d'oiseau, accompagnées d'une sauce épicée) ou d'une bonne rechta au poulet et aux boulettes de viande. En Tunisie, l'Achoura commémore aussi le martyre des petits-fils du prophète Hassan et Hussein, morts assassinés en 61 de l'Hégire, le 10 Mouharem, d'après une tradition. C'est un jour où l'on se souvient des morts : il est de coutume d'aller rendre visite aux défunts et d'allumer des bougies autour de la tombe du saint patron du cimetière. Dans certains endroits, la veille au soir, les enfants allument un grand feu, signe de purification, par-dessus lequel ils sautent en chantant. Dans la région de Gabès, on visite les maisons avec un petit roseau, appelé achoura, que les adultes remplissent de bonbons et de monnaies. Au Maroc, l'Achoura est perçue, depuis des siècles, comme la fête de l'enfance, de la famille et des traditions. Cette manifestation revêt une signification spirituelle et sociale indéniable. C'est aussi un jour de partage et de charité. Achoura rappelle l'obligation de faire l'aumône, de s'acquitter d'une contribution matérielle, la zakat, destinée à assister les plus démunis. Vêtus d'habits neufs, les enfants reçoivent des cadeaux, des trompettes, des tambours, des pétards et d'autres jouets. Le lendemain de l'Achoura, c'est «Zem-Zem», allusion au puits du même nom à La Mecque dont l'eau est traditionnellement purificatrice. Les enfants y disposent d'une totale liberté pour asperger voisins, amis et passants. Les garçons et les filles, dont l'âge n'excède pas 12 ans, trottent dans les rues à la recherche d'une proie ou d'un point d'eau pour s'approvisionner. L'Achoura, qui n'est pas mentionnée dans le Coran, est considérée comme une fête mineure par les sunnites. Quant aux chiites, ils lui accordent une extrême importance. C'est le jour de la commémoration de la mort de Hussein, petit-fils du Prophète et fils de Ali Ibn Abi Taleb. En Irak et en Iran, c'est le grand jour de deuil marqué par la représentation de la Passion d'Al-Hussayn. Dans les rues, les hommes se flagellent et s'infligent des coups jusqu'à faire couler du sang. Les gens se lamentent sur la mort de Hussein. En effet, en 680, 61 de l'Hégire, Hussein lève une armée à La Mecque et marche sur l'Irak pour faire valoir ses droits à la succession califale ouverte après l'assassinat de son père Ali, gendre de Mohamed et quatrième calife de l'islam. Après un siège de dix jours de la ville de Koufa, Hussein et son armée sont défaits par les troupes du calife Yazid 1er. La tradition rapporte qu'Hussein fut décapité et son corps mutilé à Karbala, où se trouve son tombeau, lieu saint des chiites.

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