Le monde musulman a célébré hier la fête de Achoura. Cette fête, initialement juive, correspond au dixième jour du mois de Moharrem, premier mois de l'année hégirienne. Elle revêt toutefois différentes significations pour les deux grands courants de l'islam, le sunnisme et le chiisme. Pour les premiers, elle marque le début de festivités (offrande, zakat, plats traditionnels…), pour les autres, c'est une journée de deuil important commémorant la mort d'Hussein, petit-fils du Prophète Mohamed (QSSSL) et fils d'Ali Ibn Abi Talib (flagellation collective). Les musulmans considèrent de ce fait Achoura comme un jour de jeûne. Un jour de jeûne recommandé et non obligatoire. Les théologiens se réfèrent à un hadith de Sahih de Boukhari et de Mouslim rapportant que : «Aujourd'hui est le jour de Achoura ; Allah n'a pas fait un devoir pour vous de le jeûner ; que celui qui le veut jeûne et que celui qui ne le veut pas, ne jeûne pas». Avant même d'être une fête musulmane, Achoura était une fête juive, marquant l'exode des enfants d'Israël après leur délivrance par le prophète Moussa. Le prophète Mohammed (QSSSL) en l'an 622, alla à la rencontre des juifs le jour du Kippour, fête de l'expiation durant laquelle ils jeûnaient. Lorsqu'il leur demanda la raison de ce jeûne, ils répondirent que c'était en souvenir du «jour où Dieu donna la victoire à Moussa et aux fils d'Israël sur Pharaon et ses hommes». Ainsi, le prophète Mohammed (QSSSL) ordonna aux musulmans de jeûner ce jour-là. Surpris, ils lui demandèrent le pourquoi, et le prophète leur répondit humblement que c'était parce qu'il considérait Moussa comme «plus proche» d'eux. C'est ainsi que Achoura est entrée dans la sacralité de l'Islam. Un an plus tard, pour confirmer la continuité de la cérémonie juive et s'inscrire dans la tradition de Moussa, le Prophète Mohammed (QSSSL) recommanda aux musulmans de jeûner deux jours, le 9e et 10e jour du mois de Moharrem qui marque Achoura. D'où l'origine étymologique de cette fête. «Achara» signifie dix en arabe et reprend ainsi le dixième jour de Moharrem. Cette fête marque la liaison entre deux religions, le judaïsme et l'islam. C'est un «lien naturel et historique entre deux communautés fraternelles» que tout oppose de nos jours. Rites et traditions Joint au téléphone, Ali Sayad, anthropologue et sociologue au musée du Bardo, nous a indiqué que «l'Achoura n'est pas une tradition uniquement algérienne, mais de tous les musulmans dont les riches sont obligés de payer une redevance égale au 10e de leurs revenus annuels». Le prophète Mohammed (QSSSL) l'avait imposée aux musulmans quand il a quitté La Mecque pour Médine, afin de permettre aux réfugiés de pouvoir survire. Pour ce qui est de l'Afrique du nord, une autre extension existe et la célébration diffère des autres pays musulmans. En effet, selon M. Sayad, cette fête coïncida un jour avec Yennayer (le jour de l'an amazigh basé sur le calendrier lunaire) . Pour cette occasion, les enfants se masquaient en lionceaux et autres animaux légendaires et participaient avec leurs aînés à des rituels de danse et de chants. Ils faisaient aussi du porte- à-porte pour recevoir des cadeaux, des friandises et des pièces de monnaie pour confectionner le plat amélioré de Achoura. Durant cette fête, des plats traditionnels sont préparés, généralement à base de viande de l'Aïd séché et salé (kedid). On sacrifie aussi une volaille ou un lapin pour un couscous garni. Par ailleurs, un autre rite est observé, celui de l'oueziaa ou timechret, où les comités de village cotisent pour acheter des bêtes qu'ils immolent. Cette tradition est célébrée pour permettre aux pauvres de manger de la même manière que les gens aisés. «Les pauvres participent également à cette cotisation en donnant un dinar symbolique», précisera M. Sayad. Le jour de Achora est également synonyme pour les femmes, selon la tradition, de s'interdire de s'adonner à certains travaux, notamment de couture. «Les villageois mettent à cette occasion leurs plus beaux habits pour rendre visite aux saints patrons, munis de tambourins pour des danses improvisées», indique le sociologue. Cela permet aussi aux jeunes filles de sortir à la rencontre d'un potentiel prétendant. D'autres visitent les cimetières, brûlent de l'encens... des rituels qui se perdent malheureusement au fil des années.