Le samedi 24 novembre 2012, Mazouz Ould Abderrahmane nous quittait des suites d'une longue maladie. Il est enterré au carré musulman du cimetière de Montréal. Flash-back sur son riche parcours vécu tant sur la scène, sur les écrans de nos nuits blanches ainsi que derrière la caméra qu'il maniait de main de maître. Il est né le 27 janvier 1941 dans le faubourg mythique de Tigditt de Mostaganem, un quartier qui a vu naître la majorité de ses artistes. Mazouz fit ses premiers pas dans le groupe de scouts «El Falah» comme son frère aîné Kaki, qui lui est né en 1934. Durant la première période de son aventure théâtrale qui s'étalera jusqu'à la création de la troupe «Masrah el Garagouz» fondée par Kaki le 28 septembre 1959, Mazouz aura pour compagnons de scène Abdelkader Belmokadem, Bouzid et Belkacem Mezadja, Fethi Osmane, Mustapha Chougrani, Mohamed Chouikh, Djamel Bensaber, Allel Bachali, Mohamed Benmohamed. Le jeune Mazouz est formé et influencé par l'école new-yorkaise de l'Actor's Studio sous l'influence de Constantin Stanivlaski et par le style Brechtien. L'artiste, à l'allure décontractée de jeune premier, a pratiquement interprété tout le répertoire de Kaki. D'ailleurs, Avant Théâtre, trilogie comprenant Filet, Voyage et Cabane, restent, à ce jour, une référence jamais égalée en Algérie en tant que théâtre expérimental. C'est ainsi que Gilles Sandier, le critique de théâtre français écrivit et hurla de bonheur à la suite de la représentation d'«Avant-Théâtre», en mai 1964, à Paris : ... Comme il est rare de trouver une troupe d'acteurs qui soit véritablement une troupe, un outil de création théâtrale ; car c'est le cas de la troupe de Kaki, qui cherche depuis dix ans à définir un style de théâtre dans un pays, l'Algérie qui n'a pas de tradition théâtrale. Les comédiens de Kaki ont puisé dans les grandes traditions : nô japonais, tragédie grecque, commedia dell'arte, cérémonies africaines. Ils ont utilisé l'enseignement de Copeau et de l'Actor's Studio. Mais je me demande où est le vrai théâtre, de cette joie profonde du retour aux sources ou des simagrées de nos cabotins. J'ai éprouvé, devant ces comédiens, le rare plaisir qu'on ressent devant le théâtre en train de naître, le jeu dramatique dans sa pureté. Car ils n'ont pas seulement la sincérité et la ferveur, ils ont le don inné du théâtre, aussi bien l'art de faire le clown que l'art d'exprimer notre tragique ; ils ont le sens de la gravité, de l'élégance, du rythme, du raffinement et de la violence par lesquels ils imposent sur la scène un univers profondément, intensément humain...» Dans une correspondance qu'il m'avait adressée en 1996, Mazouz parle de Kaki et de ses débuts dans le théâtre en ces termes : Kaki n'est pas un homme de théâtre, c'est un phénomène de théâtre. Pourquoi ? Parce que habituellement, un homme de théâtre se forme dans un mouvement de pensées, de traditions et suit le cheminement de ses maîtres. Vilar ne s'est pas fait tout seul. Il vient de l'école du théâtre du Cartel qui a bouleversé le théâtre bourgeois français. Déjà, dans les années 1940, Kaki jouait de petites saynètes dans le giron du mouvement nationaliste scout, et c'est là qu'il a pris goût à la pratique dramatique... «J'avais 13 ans en 1954 quand il envoya un barbu manchot pour me coincer dans la rue. Je veux évoquer par-là Allel Bachali, mon grand ami et mon soutien indéfectible. Sans lui, je me serais sauvé de cette cage de fous». De l'art des planches, Mazouz est sollicité régulièrement par des réalisateurs algériens avec lesquels il participera à de nombreux films. Pour mémoire, je citerai L'aube des damnés de Ahmed Rachedi, une figuration dans La bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo et une apparition dans La nuit a peur du soleil de Mustapha Badie. Mohamed Slim Riad fera appel à lui pour La voie et Tewfik Farès dans Les Hors-la-loi. Plus tard, il campera le rôle de Djeha dans un téléfilm de Kaddour Zakaria. Tout en exerçant ses activités professionnelles tant au théâtre national qu'au cinéma, après un retour à Mostaganem, Mazouz crée avec un groupe de jeunes amateurs dont je faisais partie «L'art scénique» qui aura l'audace de remonter les premières œuvres de Kaki et de se lancer dans l'aventure du cinématographe. Avec comme seul moyen une caméra Bell Howell offerte par mon défunt frère Madani qui avait fait ses débuts avec feu Mohamed Bouamari à Paris, nous avons pu réaliser, entre 1966 et 1973, en 16 mm noir et blanc et couleurs La malle, Tant que durera le voyage, Aïcha wa Saïd et Filet. Mais sans conteste le film le plus achevé restera La porte, réalisé par Mazouz avec comme interprètes principaux, Djamel Bensaber et Allel Bachali avec les comédiens de la troupe El Guendouz dirigée par Ghali Bouchama. Inspiré et influencé par le cinéma surréaliste cher à Bunuel et Polanski et d'une durée de 18 mn, La porte est filmée admirablement par Smaïn Lakhdar-Hamina, en vingt quatre heures, sans aucun soutien, dans les environs de Kharouba, le film sera projeté en de rares occasions mais connaîtra, malgré son originalité, la censure de l'époque car considéré par certains décideurs de la chose culturelle comme une œuvre «irrecevable» voire «incompréhensible» et «dérangeante». Mazouz Ould Abderahamane avait une passion infinie des auteurs algériens et étrangers, il nous fit découvrir et aimer Kateb Yacine, Samuel Beckett, Arthur Adamov, Eugène Ionesco et tant d'autres auteurs modernes dont Günter Grass. D'ailleurs, à l'époque, nous avions osé monter à titre expérimental Les Plébiens répètent l'Insurrection. Fernando Arrabal n'était pas en reste puisque nous avions le plaisir, malgré le peu d'expériences du théâtre de l'absurde, de monter Fondo et Lis qui nous avait, lors de nos modestes tournées, procuré beaucoup de bonheur de se trouver dans ce qu'on appelait le «nouveau théâtre» apparu en France dans les années 1950. Slimane de Jean Pélégri et Diwan Sidi Abderrahmane El Mejdoub resteront les dernières réalisations théâtrales de Mazouz à Mostaganem présentées au Festival d'Art dramatique de la même ville qui l'a vu naître. Grâce à Mazouz, fondateur et l'un des principaux animateurs des plus dynamiques du premier ciné-club de Mostaganem des années 1970, j'ai découvert, comme une fenêtre ouverte sur le monde, le cinéma universel, au même titre que mes compagnons d'aventure, je veux nommer ici : Mohamed Ould Maâmar, Amar Djaafar, Touati Belhamri, Djilali Bendani, Mansour Sahnoun... Welles, Kurosawa, Fellini, Antonioni, Kazan, Bunuel, Chahine, Polanski, Bergman nous devenaient familiers. Leurs œuvres portées magistralement à l'écran nous ont marqué à vie. Mazouz avait le sens de la communication. Son souci majeur était toujours de nous former à l'art de la scène et à l'apprentissage des métiers du cinéma. Il n'était nullement matérialiste. Rien ici bas ne lui appartenait, en Algérie et au Canada. Sa demeure était toujours ouverte comme son cœur où l'on entrait sans frapper. Ses préoccupations permanentes étaient d'ordre artistique. Sans plus. Son bonheur : rendre heureux malgré les moments difficiles qu'il traversait. J'ai appris avec Mazouz comment écrire un scénario et procéder à son découpage, ce qu'était une mise en scène. Comment parler au comédien, le rassurer, lorsqu'il doute. Manier une caméra et avoir le sens du cadre. Tout cela, non en un clin d'œil mais sur une décennie de quête, de patience et surtout de remises en cause. A la suite de la décentralisation du Théâtre National Algérien et la création du Théâtre Régional d'Oran, Mazouz intègre le circuit de télévision fermé de l'Institut de Technologie Agricole (ITA) créé en 1970, à Mostaganem. Il sera rejoint par cinq de ses compagnons des planches : Allel Bachali, Bouzid et Belkacem Mezadja, Djamel Bensaber et Charef Daouadji. Ils formeront avec d'autres collègues l'ossature technique et artistique qui produira et réalisera plus de 300 films en 16 mm et plus de 1 000 émissions en vidéo, destinées à la formation des nouveaux ingénieurs agronomes de l'Algérie post-indépendante. Malheureusement, ce patrimoine filmique et photographique a été, dix ans plus tard, abandonné et jeté aux oubliettes, rongé par la rouille par la faute de prédateurs d'un nouveau genre. A cette époque, l'Etat algérien a consenti beaucoup d'efforts et d'investissements pour la création de ce circuit fermé de télévision qui était la fierté de l'Algérie et à l'avant-garde de la formation pédagogique moderne par l'utilisation de l'image en vogue dans beaucoup de pays en ces temps là. Notre ami Mazouz fera un passage à l'Ortf et à l'Ofratem à Paris avant de s'installer définitivement au Québec. A son installation à Montréal en 1977, il devient membre de l'Association des réalisateurs et réalisatrices de film du Québec Inc. En 1978, il réalise et monte L'or d'Eros, un court-métrage de 6 minutes sur les structures miniatures en or de Robert Roumil. Avec Cinéfilms, il prépare et conçoit la constitution d'un dossier de film de long métrage d'après le roman d'Yves Thériault Antoine et sa montagne, déposé à l'Institut québecois du cinéma. Le projet est accepté. Sur une réalisation de Denis Villeneuve, Mazouz, montera un documentaire de 20 mn sur les fabriques de Sothys France avec, comme producteur Cinémagie Sothys Canada. Sur la même lancée et grâce à Pop Citrouillez et Radio Canada, il sera l'auteur de trois sketchs Le piano moqueur, en 1980. La même année, Ciné-Films Taurus 7 lui confie la direction de plateau de post-synchro pour Antoine et ses anges de Claude Castravelli. Répondant toujours présent aux sollicitations artistiques des producteurs, il fera le montage de cinq documentaires sur LG2 pour la société de la baie James, d'une heure chacun avec Ciné-Films SEBJ, en 1981. Entre 1982 à 1984, Ciné-Films Radio Canada lui permettra la conception, la recherche, le montage et la réalisation d'une série de courts-métrages Gestes et mouvements. Il réalisera une série de 65 titres de 4 mn qui sera vendue à plusieurs télévisions dans le monde. Dans la même période, il réalisera un court-métrage pour enfants sur son propre scénario Les aventures de Monsieur parapluie, conçu avec des marionnettes en forme de parapluie sur une création de France Chevrette et Jacques Landesque. Il collabore à l'adaptation pour le cinéma du roman La montagne d'Antoine, du regretté Yves Thériault. Mazouz participera à la transposition du théâtre à la télévision de la pièce Du poil aux pattes commes les Cawc's de Maryse Pelletier, sur une réalisation de Daniel Roussel, présenté en téléfilm à Radio Canada. En 1984, avec La Maison des 4, il adapte le roman de Marie-Claire Blais Le sourd dans la ville, en long métrage, première version. Avec Beaumisart et l'aide de l'Office National du Film, il réalise en 1985, Il était une fois une image, d'une durée de 23 mn qui aura permis à notre dynamique et prolifique réalisateur d'écrire le scénario, de réaliser et de monter ce nouveau court-métrage dont l'historien Michel Lesart écrit : «C'est un film troublant sur notre mémoire visuelle». Mazouz réalise une émission d'une heure sur la vie de Félix Leclerc C'est la première fois que je la chante, pour le compte de l'ONF. Ce même Office du film lui permettra de réaliser son premier long métrage La fille du maquignon, d'après un conte de Pierre-Yves Pépin, géographe de métier et québécois d'origine, chercheur, explorateur, photographe et écrivain, auteur de La terre émue et de L'homme essentiel. Montréal rétro les années 1950 sera son second long métrage produit par l'ONF et diffusé par Super Ecran et Quatre saisons. Le parcours artistique des plus honorables, débuté en Algérie dans les années cinquante et une riche carrière cinématographique étalée sur plus de trente cinq années au Québec laissera Mazouz dans le cœur l'envie de réaliser Le porteur d'eau et les trois Marabouts de Kaki sur un poème épique maghrébin de la tradition orale. Le scénario nous l'avons coécrit ensemble en collaboration avec Ahmed Haroun, un homme de théâtre de la nouvelle génération, qui a travaillé longuement sur l'adaptation du texte basé sur le Chiîr El Melhoun. J'avais entrepris en janvier 1990, les premiers repérages des lieux à Taghit, histoire de proposer et de situer l'action principale du film dans ce ksar où la vie semblait s'arrêter, un jour de disette, sans pitance et où H'lima, l'héroïne du film aurait, malgré son handicap visuel, accueilli à bras ouverts trois caravaniers dans ce jardin d'Eden. La disparition de Mazouz nous laisse orphelins. Qui d'entre-nous reprendra le flambeau longtemps porté par le défunt au prix de durs sacrifices, de l'exil, de la solitude et de la maladie qui l'a terrassé ? Son épouse, Sylvie Melançon, plasticienne, femme de cœur et d'une chaleur humaine exceptionnelle, a versé de chaudes larmes, assise sur les marches de leur demeure dans le quartier d'Outremont quand j'étais de retour vers mon pays. Après avoir eu la promesse des producteurs que le film Le porteur d'eau et les trois Marabouts allait enfin voir le jour. Son fils Mourad, caméraman et sa sœur Djamila qui a étudié la littérature et le cinéma sauront peut-être retrouver la voie tracée de leur père pour perpétuer sa mémoire et ainsi éclairer nos écrans devenus noirs depuis une éternité et un jour...