Encore un incendie à la raffinerie de Skikda qui a été largement amortie et qui aurait nécessité un renouvellement presque complet de ses équipements, sinon un nouveau complexe, montrant leur virtuosité et la faiblesse d'un service de maintenance de pointe renvoyant à la ressource humaine, s'il y avait une vision stratégique, l'Algérie important du gasoil, de l'essence super sans plomb et bon nombre de lubrifiants à coups de centaines de millions de dollars. Mais l'essentiel, c'est le manque de prospective au niveau énergétique qui engage pourtant la sécurité nationale. Le PDG de Sonatrach a prévu une baisse de la production d'hydrocarbures des partenaires étrangers associés au groupe pétrolier algérien du fait du déclin de la production dans certains gisements. Ce n'est pas une nouveauté puisque depuis près de cinq années, dans maintes contributions et interviews dans la presse internationale et nationale, je n'ai cessé d'attirer l'attention des pouvoirs publics algériens sur l'éventualité de l'épuisement des réserves, pour le pétrole à l'horizon 2020 et le gaz conventionnel à l'horizon 2030, tenant compte de la forte consommation intérieure, des coûts croissants et de la concurrence face aux nouvelles mutations énergétiques mondiales. Cette présente contribution s'inscrit, face aux nouvelles données, dans le prolongement de mes précédentes analyses. Après 50 années d'indépendance politique, l'Algérie exporte toujours 98% d'hydrocarbures à l'état brut et semi-brut et importe 70-75% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées, dont le taux d'intégration ne dépasse pas 15%. C'est une économie totalement rentière. L'analyse de l'épuisement des réserves de pétrole pour l'Algérie est souvent évoquée dans les rapports internationaux, l'Algérie pouvant se réveiller un jour dans une situation très douloureuse, plus rapidement pour le pétrole, devenant importateur d'hydrocarbures au moment où la population atteindra 50 millions d'habitants. Selon le rapport du ministère de l'Energie publié en 2011, la structure des exportations s'oriente de plus en plus vers les produits gazeux. En effet, la part des produits gazeux durant la période 1962-1999 ne représentait que 29% contre 43% durant la période 2000-2010. Quant aux produits liquides, ils représentaient 71% des volumes exportés durant la période 1962-1999, contre 57% à la fin de 2010. Le pétrole brut exporté représentait 95% des hydrocarbures liquides en 1971 et se situait à 30% en 2010. Quant aux produits raffinés et GNL, leur part a augmenté substantiellement passant de 3% en 1971 à 28% en 2010. De 2000 à 2012, l'Algérie a pu engranger officiellement, selon le bilan de Sonatrach, 600 milliards de dollars de revenus suite à l'exportation des hydrocarbures. Les marchés européens et américains restent les débouchés traditionnels des exportations, ces deux marchés absorbant en volume respectivement 63 et 29% des ventes globales des hydrocarbures et en valeur de 56 et 35%, respectivement. Cette situation est-elle tenable dans le temps ? La majorité des experts internationaux estiment que l'Algérie serait une importatrice nette de pétrole dans moins de 15 ans et de gaz conventionnel dans 25 ans car il faut comptabiliser la forte consommation intérieure. Aussi, comme annoncé par l'ex-Premier ministre algérien et bon nombre d'experts, l'Algérie pourrait commencer à importer du pétrole à partir de 2020 et du gaz à partir de 2030 pour satisfaire la demande locale. La hausse récente des recettes est due essentiellement à la hausse du prix du pétrole et non à l'accroissement de la quantité. Car, il faut être prudent et avoir une vision à moyen et long terme. L'important ce n'est pas la découverte des gisements mais le coût d'exploitation des gisements dans la mesure où les deux vecteurs fondamentaux sont le couple prix international-coût. Plus le prix est élevé, plus on assistera à l'extension des gisements rentables et inversement, selon une relation dialectique. Un rapport récent élaboré par le Club arabe de l'énergie à Beyrouth indique que le remplacement des réserves de gaz de la zone MENA a chuté à son plus bas niveau, de 16 fois les réserves initiales en 1992 et 13 fois les réserves initiales en 2002 à seulement 2 fois les réserves initiales en 2010. Le remplacement des réserves de gaz naturel par pays situe l'Algérie en territoire négatif à côté de l'Iran qui a remplacé près de 4 fois ses réserves initiales. Aussi, comme précisé précédemment, il s'agit de prendre en compte tant les exportations quel la forte consommation intérieure du fait du bas prix du gaz, un des plus bas au niveau du monde, bloqués par la décision D/06-05/CD du 30 mai 2005. Sonatrach supporte en moyenne entre 1,5 et 2 milliards de dollars de subventions par an, selon les variations du prix international. Pour la consommation interne, selon les extrapolations du CREG-2015-2020, elle était de 35 milliards de mètres cubes gazeux en 2010. Mais ce montant a été calculé avant l'annonce des nouveaux projets consommateurs d'une grande quantité de pétrole et de gaz. Avec ce paradoxe, les ménages étant les plus importants consommateurs d'électricité que les entreprises montrant une désindustrialisation du pays, loin donc des normes internationales. Si l'on suppose un retour à la croissance réelle, le niveau de consommation sera encore plus élevé. En plus, ce montant risque d'être fortement augmenté après les décisions en 2012 d'installer plusieurs raffineries fonctionnant au pétrole et d'importantes capacités d'électricité fonctionnant au gaz. Suite aux coupures récurrentes d'électricité, il a été décidé la réalisation du projet de centrale électrique en cycle combiné à Ras Djinet (Boumerdès) d'une capacité de 1.200 MW ainsi que la construction de 9 autres totalisant une puissance de 8.050 MW, 300 postes très haute et haute tension, près de 10.000 km de réseau de transport très haute tension et 500 km de réseau de transport de gaz destiné à l'alimentation des centrales. Ainsi, Sonelgaz financera via le Trésor public environ 27 milliards de dollars d'ici à 2016/2017 pour une capacité supplémentaire de 12.000 MW. Tous ces investissements fonctionneront en majorité en turbines de gaz et pour le Sud au diesel, ce qui est contraire aux règles de l'environnement, le diesel étant polluant et de surcroît importé en Algérie pour plusieurs centaines de millions de dollars. Comme le diesel connaît un prix international très élevé, quel sera le coût du KWH et à quel prix sera la cession ? Dès lors, avec cette augmentation de la consommation intérieure, d'un retour à la croissance, du fait de la décision de ne pas modifier les prix intérieurs, il y a risque d'aller vers 70-75 milliards de mètres cubes gazeux à l'horizon 2017-2020 de consommation interne. En effet, si l'on prend les extrapolations d'exportation de 85 milliards mètres cubes gazeux et 70-75 milliards de mètres cubes gazeux de consommation interne, il faudrait produire dès 2017 ente 155 et 160 milliards de mètres cubes gazeux supposant d'importants investissements dans ce domaine, limitant le financement des secteurs hors hydrocarbures. Cela accélérera l'épuisement de cette ressource non renouvelable. Si certains experts prévoient cette année un baril de pétrole à 113 dollars du fait de la forte consommation mondiale mais également de la faiblesse de l'offre mondiale face à l'épuisement des réserves fossiles traditionnels, il faut en analyser les conséquences comme cela s'est passé le siècle dernier par la substitution des hydrocarbures au charbon. Avec un baril à plus de 110 dollars, le charbon devient rentable et dès 2017, selon l'AIE, il sera la première source d'énergie avant le pétrole. Cela concerne également d'autres sources d'énergie. Ce ne sont donc que des hypothèses dans la mesure où il faut également raisonner à prix constants, le baril de 16/20 dollars des années 1980 équivaut à plus de 90 dollars à prix constant en 2013, renvoyant au pouvoir d‘achat mondial. Toutes ces questions posent le devenir stratégique de l'Algérie mono-exportatrice. L'Algérie n'est pas seule sur le marché énergétique, il y a de nombreux concurrents dont je ne citerai que Gazprom avec les canalisations de North et South Stream de plus de 120 milliards de mètres cubes gazeux en direction de l'Europe, la Russie recelant un tiers des réserves mondiales contre moins de 2,5 % pour l'Algérie de gaz conventionnel dont une fraction est écoulée actuellement à un prix bas aligné sur le marché libre, concurrençant fortement l'Algérie dont le marché naturel est l'Europe. Sans oublier la Libye qui écoule le pétrole léger concurrent du pétrole algérien et le gaz libyen de 1.500 milliards de mètres cubes gazeux à peine exploité, proche de l'Europe. Et le Qatar, l'Iran, les pays du Golfe proches de l'Asie avec des capacités supérieures à l'Algérie, économisant les coûts de transport et les importantes découvertes de gaz en Afrique sans compter les réserves immenses de charbon du continent. Pour l'Algérie, mauvaise nouvelle, les projets Galsi via la Sardaigne et Nigal venant du Nigeria sont actuellement gelés avec des surcoûts exorbitants. Il faudra prendre en compte la croissance ou pas de l'économie mondiale, un élément déterminant de la demande des hydrocarbures et, donc, de l'évolution du prix de cession, les coûts, les concurrents ayant déjà amorti leurs installations, des énergies substituables du fait des importantes mutations énergétiques mondiales. Qu'en sera-t-il du prix du gaz avec la révolution du gaz non conventionnel, la bulle gazière risquant d'aller au-delà de 2016-2018, du recyclage du CO2 du charbon (environ 200 années de réserves mondiales contre 40, voire 50 ans pour le pétrole), du nucléaire, des énergies renouvelables, dont le solaire qui produit à grande échelle, ne feront que réduire leurs coûts et entreront forcément en concurrence avec le gaz conventionnel algérien ? (A suivre)