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Ce qu'un demi-siècle d'indépendance et d'interdépendance permet de dire

Le général de Gaulle avait programmé en juin 1958 la mise au pouvoir d'Ahmed Ben Bella dans les quatre ans à venir avec l'espoir de conserver 70% du pétrole et d'avoir la mainmise sur le Sahara. C'est ce qu'a révélé dans une émission de radio Jean Méo, qui était chargé de mission du général de Gaulle (1958-1960), puis PDG d'Elf-Erap (1964-1972).
Comme à notre habitude, dès que nous fûmes en retrait seuls, loin du va-et-vient, mon ami M'hamed et moi-même décortiquions l'information. En conclusion, il fallait cacher la vérité et mentir pour tromper l'ennemi ! Donc, ce n'est pas une puissance divine qui protège les moudjahidine — c'est ce que nous croyions à l'époque dans la vie civile —, c'est la malice, l'intelligence, le mensonge et la ruse qui sont les armes du combat ! Et ainsi de suite tout le long de notre parcours du combattant, nous allions apprendre encore et encore beaucoup d'autres choses,qui allaient nous permettre de comprendre la stratégie d'un combat et la tactique de la lutte de libération et, à travers nos analyses, faire la différence entre guerre et guérilla. Dans la lutte révolutionnaire, le facteur politique entre puissamment en ligne de compte et l'action politique est un acte de commandement. A ce titre, elle relève directement du chef de wilaya. Dans la guerre classique, le chef prend sa décision après examen de facteurs logis -tiques et tactiques. La guerre, par définition, regroupe des militaires. De même que l'armée est l'instrument de la conduite de la guerre, un parti politique est celui de la conduite de la politique. Un parti, par définition, est un groupe de militants. C'est par cet ensemble de connaissance et à travers le raisonnement des dirigeants de notre mouvement de libération nationale que nous avons commencé à comprendre ce qu'était la politique. Et c'est ce qui me permet aujourd'hui de dire que si notre lutte armée avait été déclenchée par un parti politique organisé, ayant des structures dans chaque village, les responsables du soulèvement auraient été les cadres de ce parti, et chaque chose se serait faite en fonction du choix et de la sélection qui se seraient faites d'après les règles du militantisme. Et la plupart des responsables issus d'une même organisation ayant eu relativement la même formation politique aboutiraient aux mêmes règles de conduite et à la même logique du raisonnement. Et tous les responsables du FLN/ALN seraient sortis sur le terrain avec la même feuille de route. Mais ce ne fut pas le cas puisque même au sein des «22» qui ont tenu la réunion historique du clos Salembier, décidant du déclenchement du 1er Novembre 54, il y avait déjà un mécontentement sur le choix des futurs responsables, qui auraient dû être choisis en fonction de leurs capacités dans les régions où il y avait d'autres militants qui méritaient d'être choisie [8]. Alors il est juste de croire que c'est là l'une des causes principales de tous les problèmes qui vont naître et dont on parle aujourd'hui, sans tenir compte, pour certains, de ce facteur essentiel. Après les quelques semaines inoubliables durant lesquelles nous avons côtoyé le colonel Boumediene et les membres de l'état-major, nous fûmes envoyés au centre d'instruction de Mélegue où nous firent une entrée digne d'éloges, nous étions des héros parmi les héros. De toute cette péripétie nous avons appris que les adultes aimaient se confier aux plus jeunes et les différents interrogatoires que nous avions subis nous ont appris à deviner les arrière-pensées des adultes, ce qui allait beaucoup nous servir. J'ai souvenance qu'au centre d'instruction que j'ai eu l'honneur de fréquenter à Mélégue, frontière tunisienne (base de l'Est), il y avait au milieu de ce camp d'entraînement un hangar qui servait de foyer et à l'intérieur duquel il y avait un grand écriteau sur lequel on pouvait lire sur une seule ligne : «Aussi petite qu'est la souris, elle n'est pas l'esclave de l'éléphant». Pour l'instant, les souris c'étaient M'hamed et moi. C'est ce que je traduisais à mon ami et c'est dans cet esprit que nous avons puisé toute notre inspiration future,pour comprendre le combat de nos prédécesseurs. Quant à moi, dès lors,fin et attentif observateur, j'étais en constante réflexion sur la nature des hommes que je rencontrais. A savoir que j'essayais de séparer le vrai du faux de tout ce que j'entendais, tout ce dont j'étais témoin et, au risque de ma vie, j'étais toujours volontaire, malgré les dangers, rien que pour comprendre l'enjeu du risque, entendre ce qui se dit de l'événement et comprendre les causes à effets. Il y a eu aussi d'inoubliables veillées durant lesquelles les combattants qui étaient venus des wilayas de l'intérieur du pays nous racontaient les faits d'armes des héros de la lutte de libération nationale. Là encore, j'appris beaucoup de choses sur les grands hommes de cette lutte de libération qui, sitôt engagés, n'avaient cessé de faire parler d'eux,grâce aux sacrifices de petits Algériens, grandis par leurs faits d'armes et leur sens de l'honneur, de l'abnégation et du sacrifice suprême. C'est ainsi que la révolution fut et demeure pour moi la plus grande et la meilleure des écoles qui soit. M'étant résolument engagé dans le combat de libération, adolescent, je n'ai eu d'autre principe que ceux de mes parents, à savoir les principes de Novembre 1954, valeurs authentiques auxquelles le peuple algérien est profondément attaché : liberté, progrès, fidélité et justice sociale, auxquels je suis toujours resté attaché. Et quelles que fussent les missions qui m'ont été confiées j'ai toujours fait mon devoir et rempli ma tâche comme il se doit. Après l'indépendance, j'ai continué à servir mon pays au mieux de mes capacités dans un cadre ouvert et transparent, plaçant l'idéal de justice sociale au-dessus de toute autre considération. J'ai exercé convenablement les fonctions qui m'ont été données jusqu'au moment où les entraves et les tentatives de neutralisation des cadres patriotes, dévoués et connus pour leur droiture, me frappa de plein fouet, j'avais dérangé ! Hélas, un million de fois hélas, j'étais loin du militantisme dans lequel j'avais grandi. J'ai parlé et on a voulu me faire taire, alors j'ai décidé d'écrire pour ne pas être interrompu. Ecrire pour attirer l'attention sur ceux qui ont rongé le pays de l'intérieur et qui persistent encore à nuire. Ecrire aussi pour attirer l'attention sur ces hommes avides de pouvoir, capables d'éliminer leur propre mère pour assouvir leurs instincts infâmes. C'est dire aussi que plus une révolution est grande, plus son combat est dur et difficile et plus sont grands les complots ourdis contre-elle. (Suite et fin)

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