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Ce qu'un demi-siècle d'indépendance et d'interdépendance permet de dire

Le général de Gaulle avait programmé en juin 1958, la mise au pouvoir d'Ahmed Ben Bella dans les quatre ans à venir avec l'espoir de conserver 70% du pétrole et d'avoir la main-mise sur le Sahara. C'est ce qu'a révélé dans une émission de radio, Jean Méo qui fut chargé de mission du général de Gaulle (1958-1960), puis PDG d'Elf-Erap (1964-1972).
La suite de ces tragiques événements, fut un harki, qui avait pris en pitié ma mère, et lui raconta : «Ton mari avait dans sa poche une lettre avec le cachet du FLN/ALN, et il n'a pas voulu collaborer, alors ils l'ont massacré et ils ont préféré le tuer. Quant à toi tu n'as qu'à dire que tu n'es au courant de rien et que tu as suivie ton mari, de crainte qu'il te batte ou te divorce». Ces conseils l'aidérent certainement, puisque deux mois après, ma mère fut libérée avec Khaled, le fils de son frère Si Hasséne. Ils retournèrent chez l'homme du Douar Zegmotta, qui les avait hébergés. C'est lui qui leur confirma que Si Rezki avait été tué dans la forêt, et sa dépouille laissée en proie aux loups, le lendemain ces restes furent brûlés, par le même soldat qui l'avait tué et auquel Si Rezki a dit : «j'ai été soldat dans l'armée française, et j'ai tué pour le drapeau français, tire je n'ai pas peur de mourir, je meurs pour le drapeau de mon pays». Ma mère avait appris cela de la bouche de l'homme qui les a hébergés et qui en avait été témoin caché dans la forêt. Craignant pour sa sécurité, l'homme était pressé de les voir partir, il leur indiqua le chemin à prendre pour quitter les lieux et partir en sens contraire. Ma grand-mère, qui n'avait pas été arrêtée, à son arrivée à la maison, avait parlé à l'entourage de ce qui s'était passé si bien qu'au bout d'un certain temps tout le quartier connaissait la mésaventure de la famille Chabane. Après maintes difficultés, ma mère et Khaled parvinrent au Clos Salembier, et une fois entrés dans le quartier et qu'elle fut reconnue par les voisins, les youyou des femmes qui étaient au courant de l'histoire, retentirent puis la maison fut envahie de visiteurs. Ma mère en pleurs, raconta l'histoire. Avec peine cherchant ces mots qui entre deux sanglots, lui restaient suspendus entre la gorge et la bouche. Khaled traumatisé, semblant revenir d'un autre monde, les yeux écarquillés, qui voulaient sortir de l'orbite, me tira par la manche pour me dire à l'oreille, j'ai faim. J'ai été dans la cuisine, il m'a suivi, je lui ai donné un morceau de pain, il m'a demandé le pain en entier, il est sortit dans le jardin, comme par pudeur, il s'est mis à l'abri des regards. Et le pain qu'il tenait, bien précieux, il le dévora en un temps record. Je le regardais méduser et le voyant avaler de la sorte, craignant qu'il n'étouffe, j'ai été lui chercher une bouteille d'eau. Et à chaque bouchée qu'il avalait, il revenait à lui, il reprenait son âge. Et ce n'est que lorsque qu'il a fini qu'il me dit que cela faisait quatre jours qu'il n'avait rien mangé. Khaled avait 8 ans, moi j'en avais 14. Je l'ai fait sortir de la maison, et sur le palier, on s'est assis et il m'a raconté à sa façon, les événements dont il avait été témoin [5]. Quant à ma mère, elle nous raconta cette aventure en pleurant. J'avais 14 ans, et j'allais vivre avec l'amertume de ce ressentiment et la haine des soldats français ne me quittera pas pendant longtemps. La haine est tonique, elle fait vivre et inspire la vengeance. Et sous son emprise, j'ai décidé de réagir, selon mes capacités d'enfant endurcis par la perte d'un homme qui était plus qu'un père, c'était l'ami. Le courage ne se mesurant pas à la largeur des épaules, et la valeur n'attendant pas le nombre des années, j'ai décidé de prendre l'initiative, et à mon tour continuais le combat de mon père. Alors, j'ai commencé à militer, à partir de ce qu'il m'avait enseigné et de ce que j'avais appris de la bouche des combattants qui avaient transité par notre maison. Puis, petit à petit, après avoir sélectionné, parmi mes camarades, les plus aptes à participer aux actions que je planifierais, j'en ai recruté six, formant deux groupes de trois. Le premier composé de M'hamed, Abdallah et Cheikh, le second de Mahmoud, Dahmane et Mustapha, auxquels, pour gagner leur confiance, je disais que j'agissais selon les instructions qui me parvenaient des moudjahidines qui venaient chez moi. Ainsi, il en fut, et cela dura jusqu'à ce que j'eus attaqué un adversaire au couteau, et de crainte d'être arrêté j'ai à mon tour rejoint l'ALN avec Abdallah et M'hamed, nous avions à peine 16 et 17 ans. Notre histoire, une aventure rocambolesque a été unique dans les annales du combat de libération. Auparavant, nous avions à plusieurs reprises, tenté de rejoindre l'ALN à l'intérieur du pays, mais en vain à chaque fois nous revenions bredouilles. Alors, me souvenant d'une discussion entre mon père et des moudjahiddines, au sujet du bombardement de Sakiet Sidi Youssef en Tunisie, dont j'avais lu l'événement sur le journal, je me suis rappelé qu'il avait été question de base ALN sur la frontière algéro-tunisienne [6]. Et j'ai compris alors que l'on pouvait prendre la mer jusqu'à Tunis et après arriver par derrière jusqu'à l'ALN. Une carte topographique nous permit de nous situer, et il n'en fallait pas plus pour, nous permettre d'échafauder un plan d'embarquement clandestin sur un bateau en partance pour Tunis. L'aventure ne fut pas facile. Après recherche et prospection, nous avons trouvé un contact en la personne d'un des commandants du bateau dont nous avons fait un ami. Et un beau jour, nous avons décidé de nous introduire dans le bateau de commerce allemand, «le Baltic Trader». Mais une fois arrivés au port de la Goulette, nous fûmes remis à la police tunisienne chargée de la sécurité territoriale (DST), qui sans brutalité aucune, et d'une manière intelligente nous a longuement interrogés sur nos intentions. Pendant une dizaine de jours, nous avons été questionnés par des hauts cadres de cette police et passés de l'un à l'autre des personnalités chargées de vérifier si nous n'étions pas des agents formés et envoyés en Tunisie par les autorités françaises pour vérifier si la Tunisie hébergeait l'Armée de libération algérienne [7]. C'est pour cela que même le président Bourguiba s'intéressa à nous. A tous nos interrogateurs, nous avons répondu avec la spontanéité de notre jeune âge, la franchise de notre éducation musulmane, et surtout avec la haine de l'armée française pour tout ce qu'elle faisait au peuple algérien et au peuple frère tunisien, ajoutions-nous. Petit à petit la confiance s'établit entre les officiers de la DST et nous. Alors les questions furent plus simples et directes : - que pensent les Algériens du président Bourguiba ? - Y a-t-il beaucoup de Tunisiens à Alger ? - Est-ce qu'ils sont avec les Algériens ou avec les Français ? - Avez-vous déjà vu le drapeau tunisien en Algérie, etc. Au bout d'une quinzaine de jours, nous fûmes déposés rue des Tanneurs à Tunis-Ville, siège de l'Organisation algérienne, où il nous fut réservé un accueil des plus chaleureux. Puis nous fûmes emmenés auprès du président Ben Khedda, qui nous reçut en présence d'autres hommes, des ministres du GPRA. Puis après un long moment de questions et réponses, trois hommes nous emmenèrent avec eux dans un autre bureau, où ils nous offrirent des gâteaux, de la limonade et du café au lait. Puis après qu'ils aient écouté notre péripétie dans le détail, ils voulurent des précisions sur telle ou telle autre chose, sur tel ou tel autre sujet. Puis, ils nous demandèrent, des renseignements sur nos familles, leurs engagements dans la lutte de libération. Des renseignements sur ce qui se passait à Alger, et des renseignements sur le commandant du «Baltic Trader», qui nous avait remis aux autorités tunisiennes, alors qu'il aurait pu nous ramener, à son retour, à Alger et nous remettre aux autorités françaises. Finalement, le stage passé chez la DST tunisienne, nous aura servi à ne pas nous emporter d'être ainsi questionnés, par nos propres frères, qui il faut le dire, eux aussi trouvaient invraisemblable que de jeunes adolescents aient pu de leur propre initiative décider de rejoindre l'ALN, et de trouver le moyen d'arriver jusqu'à eux, sans passer par la filière FLN, et sans l'aide d'adultes. (A suivre) [5] Cette histoire fera l'objet d'un autre livre, si la vie nous le permet, Inch'Allah [6] Le 8 février 1958 l'armée française sous prétexte d'«un droit de suite» en représailles, au soutien tunisien au FLN/ALN, bombarda le territoire tunisien de Sakiet Sidi Youssef [7] Le président de la République tunisienne Bourguiba s'était engagé vis-à-vis de la France, à ne pas héberger sur le sol tunisien «les hors-la-loi» algériens.

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