C'est devenu le leitmotiv de Bachar al-Assad : si son régime s'écroule, la Syrie va à la fois sombrer dans le chaos et tomber entre les pires mains islamistes, tandis que les puissances occidentales en paieront le prix. Le 6 avril, il avait affirmé qu'une chute de son régime aurait un «effet domino» au Moyen-Orient et déstabiliserait cette région «pendant de longues années». Hier, après avoir prédit «la fin de la Syrie s'il n'était pas victorieux», il a assuré que ces mêmes pays occidentaux jouaient avec le feu en finançant Al-Qaeda. «L'Occident a déjà payé très cher le fait d'avoir aidé à ses débuts Al-Qaeda. Aujourd'hui, il fait la même chose en Syrie, en Libye et dans d'autres endroits et il paiera cher au cœur de l'Europe et des Etats-Unis», a-t-il déclaré dans une interview menée par la chaîne officielle Al-Ikhbariya, dont des extraits ont été publiés par la présidence syrienne – l'intégralité devait être diffusée dans la soirée. «La vérité, c'est que nous affrontons principalement des forces extrémistes», a-t-il renchéri, toujours à l'attention des capitales occidentales. Pour celles qui soutiennent la rébellion, l'implication de plus en plus forte des mouvements radicaux sur le terrain est effectivement là où le bât blesse. L'acte d'allégeance, la semaine dernière, du Front al-Nosra, un groupe de jihadistes syriens et étrangers, au chef suprême d'Al-Qaeda, Ayman al-Zawahiri, a en effet inquiété les chancelleries. Elle est, curieusement, intervenue à l'heure où la France et le Royaume-Uni se montraient déjà hésitants sur les livraisons d'armes au profit des insurgés, qu'ils avaient pourtant promises peu auparavant. Si elle n'est pas la plus importante en Syrie, l'organisation islamiste, Al-Nosra est, en revanche, la plus connue. Elle appartient à la mouvance de ce que les experts qualifient de «jihadistes internationaux». Pratiquant les attentats-suicides comme en Irak, ses hommes se montrent des plus combatifs et, maîtrisant bien les techniques de communications, s'attribuent certains des succès obtenus par d'autres formations de l'opposition. Selon les estimations, Al-Nosra compte environ 6 000 militants. En évoquant le risque de voir son pays pris dans la spirale d'Al-Qaeda, le président syrien a même fait une claire allusion à l'aide accordée par les Etats-Unis de 1980 à 1988 aux moudjahidin afghans dans leur lutte contre l'occupation soviétique qui, in fine, avait abouti à la présence de bases d'Al-Qaeda en Afghanistan. Il s'en est pris aussi tout particulièrement à Paris. S'employant à retendre la corde nationaliste, il a dressé un parallèle pour le moins tordu entre la colonisation française et l'actuel soutien des pays occidentaux et arabes aux rebelles. Le jour de la diffusion de cet entretien avait d'ailleurs été choisi en conséquence : il consacrait l'indépendance de la Syrie et la fin du mandat français (1920-1946). Préparant le discours du président syrien, la télévision a diffusé des images de l'époque du mandat, accompagnées de commentaires faisant le lien entre présent et passé : «La commémoration du retrait du dernier soldat français est une page éclatante dans l'histoire de la Syrie et les héros de notre valeureuse armée mènent aujourd'hui le combat contre le terrorisme». Sur le même thème, le ministère syrien des Affaires étrangères s'en est pris à la France – Paris avait critiqué la veille une amnistie partielle décrétée par le chef de l'Etat –, lui demandant «de cesser de s'immiscer dans les affaires intérieures syriennes».