Pour la première fois un responsable parle de crise entre l'Etat et les citoyens : c'est le Premier ministre algérien. Du fait de l'importance du texte, qui engage l'avenir du pays, tout pouvoir crédible doit rester attaché à la volonté populaire. L'objet de cette contribution est de poser la problématique de cette révision face à la crise de confiance entre l'Etat et le citoyen, tout en n'oubliant pas le manque de crédibilité des institutions qui isolerait encore plus l'Algérie de la scène internationale. 3.- La révision constitutionnelle doit s'insérer dans le cadre de la refonte de l'Etat Le verdit du Conseil constitutionnel du 24 mai 2012 concernant les élections législatives du 10 mai 2012 ne change donc pas les équilibres du Parlement actuel largement non représentatif. Il y a urgence à revoir le mode de scrutin qui déforme la réalité sociale. Car, environ 80% de la population algérienne n'ont fait aucun choix, ce qui ne peut qu'avoir des incidences politiques. Aussi, le constat, malgré des dépenses colossales et un effort jamais déployé au niveau des appareils de l'Etat algérien depuis l'indépendance politique, nous avons assisté à une très forte démobilisation populaire, notamment de la jeunesse majoritaire, désabusée par tant de promesses non tenues. Quelles leçons tirer de cette démobilisation populaire ? La première leçon fondamentale est la prise en compte tant des mutations mondiales qu'internes à la société algérienne avec le poids de la jeunesse qui, parabolée, a une autre notion des valeurs de la société. Les derniers événements du Sud ont bien montré que ces élus n'étaient pas représentatifs étant rejetés tant par la population locale que par la jeunesse algérienne. Cela se constate à travers la baisse progressive du poids des tribus, des confréries religieuses et de certaines organisations syndicales (dont l'UGTA), du fait de discours en déphasage par rapport aux nouvelles réalités mondiales et locales et dont le pouvoir du fait de l'ancienne culture fait son unique relais. La deuxième leçon liée à la précédente, est l'urgence de revoir le fonctionnement du système partisan et de la société civile. En effet, la Constitution de 1989 et la loi du 5 juillet de la même année ayant consacré et codifié le droit des citoyens à créer des partis politiques, un nombre considérable de formations politiques ont vu le jour, souvent sans véritable programme, ni perspectives sérieuses, se manifestant ponctuellement, principalement à l'occasion de rendez-vous électoraux du fait des subventions de l'Etat (instrumentalisation de l'administration). En réalité que l'on tient compte des tendances au niveau de l' ancien parti unique des années 1980, c'est l'ancien parti du FLN éclaté en trois composantes. Il y a une forte ressemblance avec la démarche des partis de l'ancien président égyptien et tunisien qui ont volé en éclats après le printemps démocratique. En raison des crises internes qui les secouent périodiquement, du discrédit qui frappe la majorité d'entre eux, de la défiance nourrie à leur égard et à l'endroit du militantisme partisan, les formations politiques actuelles, même celles siégeant dans la coalition gouvernementale, sont dans l'incapacité aujourd'hui de faire un travail de mobilisation et d'encadrement efficient, de contribuer significativement à la socialisation politique. Quant à la société civile, sa diversité, les courants politico-idéologiques qui la traversent et sa relation complexe à la société ajoutent à cette confusion, qui est en grande partie liée au contexte politique actuel, et rendent impérative une réflexion qui dépasse le simple cadre de cette contribution. Constituée dans la foulée des luttes politiques qui ont dominé les premières années de l'ouverture démocratique, elle reflètera les grandes fractures survenues dans le système politique algérien. Ainsi la verra-t-on rapidement se scinder en trois sociétés civiles fondamentalement différentes et antagoniques, porteuses chacune d'un projet de société spécifique : une société civile ancrée franchement dans la mouvance islamiste, particulièrement active, formant un maillage dense ; une société civile se réclamant de la mouvance démocratique, faiblement structurée, en dépit du nombre relativement important des associations qui la composent, et enfin, une société civile dite «nationaliste», appendice, notamment, des partis du FLN et du RND, dont plusieurs responsables sont députés ou sénateurs au sein de ces partis. Sollicitée à maintes reprises, et à l'occasion d'échéances parfois cruciales, et souvent instrumentalisée à l'instar des micro-partis créés artificiellement, elle manifestera souvent sa présence d'une manière formelle et ostentatoire, impuissante presque toujours à agir sur le cours des choses et à formuler clairement les préoccupations et les aspirations de la société réelle. Or, une restructuration efficace n'a de chance de réussir que si les associations ne sont pas au service d'ambitions personnelles parfois douteuses. Face à cette situation tant des partis que des associations souvent appendices de l'Etat- providence, déconnectés des réalités sociales, la problématique de la révision constitutionnelle doit s'attaquer à l'essentiel, à savoir la refonte de l'Etat, c'est-à-dire à d'autres aspects que le juridisme qui ne doit pas être une fin en soi. Les pratiques sociales contredisent les textes, si louables soient-ils, devant prendre en considération le couple contradictoire, préservation de la rente/approfondissement des réformes à travers la stratégie divergente des différents acteurs politiques, économiques et sociaux, tant internes qu'externes. Aussi la révision constitutionnelle doit-elle prendre en charge les mutations internes de la société dont la moralisation des institutions à travers cette corruption étalée en plein jour qui menace la sécurité nationale, la lutte efficace contre la corruption étant l'approfondissement démocratique par l'émergence d'une véritable opposition, des contrepouvoirs de la véritable société civile et des organismes techniques de contrôle indépendants tenant compte des engagements internationaux de l'Algérie. La révision constitutionnelle devrait renvoyer pour une efficacité réelle à la refondation de l'Etat algérien pour plus de libertés au sens large, à savoir le respect des libertés économiques, la décentralisation, la commune devant passer du stade de collectivités locales providences à celui de collectivités entreprises responsables citoyennes, politiques (par une meilleure efficacité gouvernementale autour de grands ministères), syndicales, culturelles, des droits de l'homme, la protection de la femme et de l'enfance. En conclusion, l'objectif stratégique de la révision constitutionnelle est de s'éloigner des calculs personnels et du juridisme et de s'attaquer au fonctionnement réel de la société algérienne pour dépasser la situation anomique actuelle qui ne peut que conduire le pays au suicide collectif. Elle doit consacrer l'irréversibilité vers la transition vers l'économie de marché à vocation sociale étant engagé par un Accord avec l'Union européenne dont le dégrèvement tarifaire zéro est prévu horizon 2020, et le gouvernement désirant adhérer à l'OMC, posant la problématique urgente de la transition d'une économie basée sur la rente à une économie hors hydrocarbures dans le cadre des valeurs internationales supposant un réaménagement profond des structures du pouvoir algérien. La révision doit limiter le nombre de mandats présidentiels par l'alternance au pouvoir, garantir les équilibres du pouvoir et l'indépendance de la justice et de tous les médias, une participation citoyenne active et non formelle, pour éviter le divorce Etat/citoyens. En fait, cela implique que le pouvoir bienfaisant ou de bienfaisance inauguré comme contrat politique implicite par les tenants du socialisme de la mamelle, afin de légitimer l'échange d'une partie de la rente contre la soumission politique et qui efface tout esprit de citoyenneté active, ce pouvoir doit céder la place à un pouvoir juste, justicier et de justice. Afin d'éviter de perpétuer des comportements rentiers périmés, de mettre l'Algérie au diapason des nations modernes et de favoriser l'alternance au pouvoir, la voie référendaire combinée à une mutation systémique associant l'ensemble des forces économiques, sociales et politiques, sans exclusive par un dialogue productif, me paraît la seule voie salutaire d'autant plus que l'Algérie a toutes les potentialités pour surmonter la crise multidimensionnelle à laquelle elle est confrontée par le renforcement du dialogue des cultures — la symbiose des apports de l'Orient et de l'Occident, comme le montre clairement mon ami le professeur Mustapha Cherif qui vient d'être honoré au niveau international, au sein de l'espace euro-méditerranéen et euro-africain, espace naturel de l'Algérie. (Suite et fin)