Si Paris affirme détenir la preuve de l'utilisation d'armes chimiques en Syrie, l'ONU, elle, y croit. Mais sans certitude. Dans leur dernier rapport rendu public mardi 4 juin, le cinquième en vingt-six mois de conflit, les enquêteurs mandatés par le Conseil des droits de l'Homme des Nations unies, basé à Genève, disent avoir des «motifs raisonnables» de penser que des armes chimiques ont été utilisées en «quantité limitée», mais admettent ne pas disposer d'assez d'informations pour «déterminer avec précision quels éléments chimiques ont été utilisés, leur moyen de diffusion ou qui les a utilisés». Le plus grand nombre de témoignages met toutefois en cause les forces syriennes. Au total, ce sont quatre attaques chimiques qui ont pu être identifiées, en mars et en avril. La vingtaine d'enquêteurs indépendants, qui n'ont jamais pu entrer en Syrie depuis le début de leur mandat en septembre 2011, ont mené leurs travaux dans les pays voisins et depuis Genève. Leurs conclusions s'appuient sur 430 entretiens avec des victimes, des réfugiés ayant fui certaines zones et du personnel médical, dont certains grâce à Skype alors qu'ils étaient en Syrie. Ils disposaient également de nombreuses éléments de preuve rapportés du terrain, notamment des photos, films vidéo, images satellite et rapports médicaux. Les experts racontent avoir souvent dû croiser les informations sur l'usage d'armes chimiques et observer les symptômes présentés par les victimes sur lesvidéos diffusées sur YouTube. Les «crimes de guerre et crimes contre l'humanité sont devenus une réalité quotidienne en Syrie», souligne le rapport de 29 pages, qui décrit un nombre important d'atrocités jugées «écœurantes et atterrantes» par le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon. Pas moins de dix-sept massacres sont comptabilisés pour la période couverte de mi-janvier à mi-mai. Le recours aux armes chimiques y est cité au même titre que les massacres et l'usage de la torture, mais ce rapport reste un aveu d'échec. L'équipe onusienne admet ne pouvoir tirer la moindre conclusion définitive quant aux attaques chimiques. Le président de la commission d'enquête, le Brésilien Paulo Sergio Pinheiro, estime d'ailleurs «de la plus haute importance», que l'autre équipe d'experts nommés par Ban Ki-moon et présidée par le Suédois Ake Sellström, obtienne l'autorisation de se rendre en Syrie. Damas refuse depuis le mois de mars à ces quinze enquêteurs l'accès à plusieurs sites d'attaques présumées. Le régime syrien a été le premier à déposer une requête officielle auprès de l'ONU le 20 mars pour l'ouverture d'une enquête sur des allégations d'emploi d'armes chimiques, selon lui, par les rebelles. Depuis le dépôt par Paris et Londres d'une requête similaire pour enquêter, cette fois, sur des allégations d'emploi d'armes chimiques par les forces syriennes, Damas fait la sourde oreille. «Nos enquêteurs sont prêts à se déployer en Syrie dans les 24 ou 48 heures», répètent les responsables de l'ONU. Selon une source diplomatique, «arguant qu'il était important d'avoir un pied dans la porte», le secrétaire général n'excluait pas au départ l'idée d'envoyer l'équipe en Syrie, quelles que soient les conditions posées par Damas. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui, «Ban Ki-moon n'a pas du tout l'intention de céder», insiste cette même source. «Convaincus à 100 % ou pas de l'utilisation d'armes chimiques, les pays membres ont besoin de voir leurs conclusions validées par les Nations unies», renchérit une source occidentale, qui rappelle combien le «syndrome irakien» pèse dans les esprits. Ake Sellström a rencontré à Paris, mardi, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, qui lui a remis les éléments de preuve considérés «irréfutables». Le protocole onusien réclame toutefois des enquêteurs mandatés par l'organisation qu'ils recueillent par eux-mêmes les échantillons soumis à examen. Selon une source diplomatique à Paris, les experts de l'ONU pourraient rendre un rapport «intérimaire» avant la fin juin, fortement «inspiré» des résultats d'analyse français. La France aurait alors la possibilité de demander une saisine du Conseil de sécurité de l'ONU, fait-on savoir au Quai d'Orsay. La priorité de la diplomatieces jours-ci étant à l'organisation d'une conférence de paix de type Genève 2, une telle initiative serait sans doute perçue comme contre-productive. A moins qu'elle ne permette d'accentuer la pression sur Damas et facilite l'obtention de concessions.