Ramadhan a un goût spécial en Turquie. Le mois sacré ne perturbe guère la vie quotidienne, bien au contraire. Les cafés, restaurants, bars... restent ouverts pendant les journées du mois sacré. Il n'y a pas d'exception non plus dans le travail. Les horaires restent inchangés: «Il y a deux ans, Ramadhan avait coïncidé avec l'hiver. Du coup, les employés, qui terminent la journée à 19 heures, étaient obligés de rompre le jeûne dans leurs lieux de travail», souligne Oktay Kantar, conseiller turc en tourisme. Ceci étant et malgré les efforts de laïcisation de la société turque, l'islam reste très présent dans le pays d'Atatürk et le jeûne du Ramadhan y est largement observé, poursuit Kantar. La Turquie, rappelons-le, est un Etat laïc où les activités religieuses sont contrôlées depuis 1924 par la direction des affaires religieuses, laquelle est rattachée à la primature. Pendant le jeûne (Oruç en turc) à Istanbul comme à Ankara, Izmir ou Bursa... la circulation est dense et le trafic est très perturbé dans les grandes villes. Dans la tradition orientale, le commerce est une seconde nature chez les Turcs. Pour passer le temps, l'après-midi, les habitants d'Istanbul préfèrent flâner dans les souks. Le temps passe vite surtout dans Le Grand Bazar, le cœur marchand d'Istanbul, qui incarne bien ce penchant séculaire pour le commerce. Ce souk légendaire est considéré comme le plus grand marché traditionnel couvert dans le monde. Il abrite plus de 4 400 échoppes : Bijoux, épices et condiments, tissus, tapis, cuir, céramique, prêt-à-porter... tout y est. En Turquie, commerce, art et folklore sont souvent mêlés. Et pour cause, le pays était pendant longtemps un passage incontournable vers la route de la soie. Il est aussi le trait d'union entre le monde oriental et l'Occident. A une heure environ du coucher du soleil, les Turcs ont l'habitude de faire la queue devant les boulangeries. Différentes variétés de pain traditionnel se vendent exceptionnellement pendant le mois du jeûne. A leur tête, le pidé. Une variété très consommée pendant le mois sacré. «C'est un pain normal, mais qui rappelle les Turcs de leur enfance, du siècle passé. C'est très nostalgique. Mieux encore, c'est l'aliment qui unit les 80 millions de Turcs», poursuit Oktay Kantar. Juste après, des coups de canons sont tirés au moment de l'Iftar. Autour de la table, famille et amis se réunissent dans une atmosphère mi-pieuse, mi-festive. L'hospitalité est une vertu cultivée durant le mois sacré de même que le respect des traditions. La première quinzaine du mois, les Turcs restent chez eux. A partir de la seconde moitié, c'est le ballet des invitations et visites qui commence. Chez les familles conservatrices, le repas de l'iftar commence d'habitude par les dattes et le lait, conformément aux habitudes du Prophète (QSSSL). Autrement, l'on commence par les olives. La table du f'tour est des plus raffinée. Elle est sous forme de petit déjeuner accompagné de potages. Après les dattes ou les olives, des boissons douces, un petit déjeuner et la «çorba» (lire chorba : un potage le maximum liquide possible) suivi du dîner traditionnel. Les mezzés ne sont pas en reste. Comme en Syrie et au Liban, ce sont des hors-d'œuvre, de petites entrées servies dans des coupelles. Les salades les plus connues sont la salade de choux (lahana) ou celle dite de sérail, composée de tomates, oignons, citron et... menthe. «Les Turcs font tout avec de la menthe sauf le thé», précise Kantar. Le pot-au-feu est généralement composé de viandes, de grillades (kebab) et de riz. «Il y a autant de préparations de riz en Turquie que de recettes kebab», souligne le conseiller en tourisme. Le plat de riz le plus consommé est le boulgur : du blé concassé qui se prépare avec légumes et fines herbes. Le kebab de Bursa servi avec du yaourt est aussi apprécié. D'ailleurs, l'appellation Yoghourt est d'origine turque. Viennent ensuite les boissons : à leur tête le thé noir, le lait battu et... Coca-Cola. Le thé est la boisson nationale n°1, il se boit très fort et parfumé et est généralement servi dans de petits verres en forme de tulipe et des plateaux en cuivre. Le café turc n'est pas très consommé pendant le mois sacré. C'est généralement un café finement moulu qui vient du Yémen. La cuisine turque, rappelons-le, comporte un mélange judicieux de cuisines ottomanes et méditerranéennes. Après l'iftar, les Turcs vaquent à la prière de nuit (yatsi namazi) suivie par les taraouihs (tervih en turc). Chaque soir, les fidèles vont prier dans des mosquées différentes. A Istanbul, ils ont l'embarras du choix. Une centaine de mosquées aussi monumentales que modestes embellissent la ville. La mosquée bleue est la plus célèbre de même que celle d'Eyup Ayoub (mort à Istanbul) et de Salomon le Magnifique. Une vie nocturne très intense Avec ses six minarets, ses coupoles et demi-coupoles savamment disposées, la mosquée bleue donne une impression d'élèvation à la fois esthétique et spirituelle. Dans les prêches et la lecture du coran, qui durent 2 heures et demie environ, les imams font un effort de plus pendant le mois sacré. Ils vulgarisent et expliquent le texte coranique que beaucoup de Turcs répètent sans le comprendre. «C'est un peu triste que des Turcs pratiquent sans comprendre le texte», déplore Kantar. Après la spiritualité, l'animation reprend et se poursuit tard dans la nuit. Du coucher au lever du soleil, la vie nocturne à Istanbul est très intense et offre un spectacle d'une rare beauté dans un cadre enchanteur. Istanbul est aujourd'hui l'une des villes les plus attractives au monde pour sa vie nocturne. «Les municipalités de la ville se livrent à une concurrence rude pour recréer l'ambiance de la Turquie du siècle passé, des années 70 et 80», indique Oktay Kantar. Selon lui, la Turquie a beaucoup changé durant les 30 dernières années. Elle s'est plus occidentalisée. Du coup, le gens sont nostalgiques et souhaitent revivre des moments d'antan. Le tramway devient gratuit pendant tout le mois. Non loin de la mosquée bleue et du sérail Top Kapi qui symbolise la puissance de l'empire ottoman (le terme sérail est une appellation d'origine turque qui renvoie à la résidence du sultan), la place de l'hippodrome. Cette dernière est transformée en site avec des commerçants de l'époque, des costumes traditionnels, tous les caftans d'antan ressortent et même les façades des immeubles changent pour la circonstance. De l'animation et des spectacles y sont offerts chaque soir gratuitement. «C'est uniquement pendant le Ramadhan», précise Kantar. Le Palais des congrès change à son tour de décor et devient ainsi un centre d'attractions et une salle de spectacles qui font ressortir le côté social de Ramadhan. Au quartier Eyup, des scènes se montent et se démontent avec des représentations du théâtre de l'ombre (marionnettes que l'empire ottoman a pu exporter partout, jusqu'en Algérie, sauf au Maroc). Les cafés ne désemplissent pas à leur tour sur les deux rives du Bosphore. L'ambiance est plutôt décontractée à Taqssime, un quartier commercial très animé le soir. Le narguilé suscite un engouement croissant. Des cafés spécialisés dans la pipe orientale s'ouvrent de plus en plus. Dans les anciennes maisons, il y avait toujours un coin spécial réservé au narguilé, car pour les Turcs fumeurs, «le narguilé enseigne la patience et la sagesse, alors que la cigarette est pour les gens nerveux et pressés». Avant les aurores, c'est le sahur (shor). Des bénévoles désignés par la municipalité parcourent les rues et réveillent les gens à coups de tambours. Ils tambourinent et chantent un couplet de rimes. La nuit sacrée, appelée aussi Kadir, l'ambiance est tout autre. Les mosquées sont étincelantes. Des lanternes sont étendues d'un minaret à l'autre. Mieux encore, des reliques et objets personnels du prophète, préservés à Top Kapi, sont exposés dans les différentes mosquées. Les fidèles viennent nombreux se recueillir, toucher et embrasser ces reliques. C'est un rituel. La réapparition de la Lune est synonyme de la fête du sucre en Turquie, appelée aussi seker bayrami.