Américains et Russes ont entamé jeudi à Genève des pourparlers cruciaux sur la Syrie, en affichant d'entrée leurs divergences, peu après l'engagement de Bachar al-Assad de placer son arsenal chimique sous contrôle international, mais seulement si les Etats-Unis ne menacent plus son pays et cessent de livrer des armes aux rebelles. Le chef de la diplomatie américaine John Kerry et son homologue russe Sergueï Lavrov ont donné le ton lors d'une conférence de presse conjointe, avant le début des négociations qui s'annoncent difficiles. «Nous allons travailler pour parvenir à un accord de principe afin de résoudre une fois pour toutes le problème des armes chimiques en Syrie, via l'adhésion de la Syrie à la Convention sur l'interdiction des armes chimiques (...). Nous partons du principe que le règlement de ce problème rend toute frapppe sur la Syrie inutile», a ainsi estimé M. Lavrov. «Les déclarations du régime syrien ne sont pas suffisantes à nos yeux et c'est pourquoi nous sommes là pour travailler avec les Russes», lui a répondu John Kerry, qui a assuré que l'armée américaine «maintenait la pression sur le régime syrien». Et alors que Sergueï Lavrov lui faisait part de ses espoirs de concrétiser leurs attentes respectives lors des discussions, John Kerry a affiché un scepticisme peu diplomatique: «Vous voulez que je vous croie sur parole ? C'est un peu tôt pour cela...» «Les attentes sont fortes (...). Cela doit être réel, cela doit être complet, cela doit être vérifiable, cela doit être crédible. Ensemble, nous allons tester la capacité du régime syrien à tenir ses promesses», a souligné le secrétaire d'Etat américain, qui n'a pas commenté les propos tenus quelques heures plus tôt par Bachar al-Assad. Celui-ci s'était engagé à envoyer aux Nations unies les documents nécessaires pour signer l'accord sur l'interdiction de l'utilisation des armes chimiques, lors d'un entretien à la chaîne publique russe Rossia 24, mais il avait aussi demandé en échange des concessions importantes à Washington. «Quand nous verrons que les Etats-Unis veulent effectivement la stabilité dans la région, cesseront de menacer et de chercher à attaquer, et de livrer des armes aux terroristes, alors nous considèrerons que nous pouvons mener le processus jusqu'au bout», avait déclaré Bachar al-Assad, alors que le Washington Post a révélé mercredi soir que les premières livraisons américaines d'armes légères et de munitions aux rebelles ont débuté il y a deux semaines. Les Nations unies ont annoncé dans la foulée avoir reçu «un document d'adhésion de la part du gouvernement syrien concernant la convention sur les armes chimiques», document «en cours de traduction». Les discussions à Genève, prévues pour au moins deux jours, et auxquelles participent des experts en désarmement, vont porter sur la façon de placer l'arsenal chimique syrien sous contrôle international, une initiative lancée lundi par Moscou qui a éloigné la menace de frappes aériennes occidentales sur le régime de Damas. Les Russes ont transmis aux Américains un plan en quatre étapes dont la première est l'adhésion de Damas à l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), selon le quotidien russe Kommersant. La Syrie devrait ensuite révéler la localisation de son arsenal, évalué par certains experts à 1.000 tonnes, puis autoriser l'accès d'inspecteurs de l'OIAC et décider de la manière de le détruire. A la veille de ces discussions le président russe Vladimir Poutine s'est adressé au peuple américain pour mettre en garde contre une action militaire en Syrie. Un recours à la force en dehors du cadre du Conseil de sécurité de l'ONU serait «inacceptable» et «constituerait un acte d'agression», a déclaré Vladimir Poutine, proche allié du régime syrien, dans une tribune publiée par le quotidien New York Times. Le président russe a également imputé aux rebelles syriens la responsabilité de l'attaque chimique du 21 août près de Damas, qui a fait des centaines de morts, alors que les Occidentaux accusent le régime syrien. La rencontre entre John Kerry et Sergueï Lavrov est censée rouvrir une voie diplomatique pour le conflit en Syrie, qui a fait plus de 110.000 morts en deux ans et demi. Elle vise aussi à repousser une éventuelle action militaire punitive des Etats-Unis et de la France après l'attaque du 21 août. Paris a soumis à ses partenaires de l'ONU un projet de résolution qui prévoit, à propos du désarmement chimique de la Syrie, un éventuel recours à la force en cas de manquements à ses obligations, jugé «inacceptable» jusqu'à présent par la Russie. Le général Sélim Idriss, chef de l'Armée syrienne libre (ASL, rebelles), a rejeté jeudi le plan russe. Il ne faut «pas se contenter de retirer (au régime syrien) l'arme chimique, l'outil du crime, mais juger devant la Cour pénale internationale l'auteur du crime qui a reconnu clairement posséder cet outil et accepté de s'en défaire», a-t-il dit. Pour la Coalition nationale syrienne (opposition), l'initiative russe est une «manoeuvre politique destinée à faire gagner du temps» à Bachar al-Assad. A Genève, avant de voir son homologue russe, M. Kerry a rencontré l'envoyé spécial de la Ligue arabe et de l'ONU pour la Syrie, Lakhdar Brahimi. L'ONU, Washington et Moscou ont depuis des mois le projet d'organiser une conférence internationale de paix, dite Genève 2, qui réunirait la communauté internationale autour du régime syrien et de l'opposition.