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Quand la trajectoire du développement croise celle des aspirations démocratiques (III)
Publié dans La Nouvelle République le 29 - 04 - 2014

«Le terme d'économie politique désigne les tentatives d'analyser l'intersection de l'économie et de la politique au niveau des changements institutionnels et des choix politiques, que ces tentatives reflètent la nouvelle économie politique qui prend racine dans l'économie ou (qu'elles reprennent) une tradition d'analyse distincte fondée sur la sociologie.» Merilee S. Grindle (in Meier et Stiglitz, 2000)
On peut constater que, à la différence de Duverger, Hallowell insiste sur le fondement du pouvoir pour définir la démocratie. Son apport qui s'inscrit dans la lignée de Montesquieu, apparaît nettement plus idéal, sinon idéaliste. En effet, s'il fallait vraiment vérifier les critères établis par Hallowell, on risquerait de trouver fort peu de démocratie sur la surface de la terre. Pour J. Rawls, enfin, la démocratie s'établit dans ce qu'il appelle la théorie de la justice comme équité. Cette théorie énonce deux principes : 1) Chaque personne a un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous qui soit compatible avec un même système de libertés pour tous. 2) Les inégalités sociales et économiques sont autorisées à condition : (a) qu'elles soient au plus grand avantage du plus mal loti ; et (b) qu'elles soient attachées à des positions et à des fonctions ouvertes à tous, dans des conditions de juste égalité des chances. Cette dernière proposition est intéressante surtout en ce qu'elle intègre la dimension socio-économique, même s'il reste à déterminer comment résoudre le paradoxe des inégalités qui seraient au bénéfice du plus mal loti, tout en supposant que l'égalité des chances ne reste pas au stade du principe. Partant donc de tout ce qui précède, Guy Rossatanga-Rignault propose l'esquisse de définition suivante : «La démocratie est le règne de la plus grande liberté qu'une société peut réaliser à un moment donné en garantissant la plus grande égalité entre ses membres sur le fondement d'un pouvoir légitime et légal, produit de la responsabilité de tous dans la plus grande tolérance ». Souveraineté et démocratie Il est nécessaire de redonner à l'expression de la souveraineté populaire la possibilité de prendre des décisions sur l'ensemble des domaines de la politique économique, car cette dernière ne relève pas de la science, mais de la combinaison d'intérêts divergents et contradictoires, c'est-à-dire de la politique. Ce qui fait, la démocratie, ce n'est pas seulement la liberté de parole, c'est le fait que cette dernière aboutisse à produire des dirigeants en mesure de prendre des décisions et devant en assumer les responsabilités. Sans pouvoir d'agir et de décider, il n'y a plus de souveraineté, et quand il n'y a plus de souveraineté, il n'y a plus de démocratie. Développement économique et démocratie La croissance économique, lorsqu'elle a lieu au sein des PED, rime encore avec la pauvreté du plus grand nombre, d'où la crainte que l'intégration internationale ne se traduise par une désintégration sociale et la montée d'un populisme nourrissant un imaginaire critique de la globalisation. C'est pour cette raison qu'un vif débat est aujourd'hui ouvert sur l'effet de la démocratie sur le développement économique. Quelle que soit la position que l'on peut avoir sur cette question, il est clair que les PAD ne se sont pas développés sous des régimes démocratiques. Ce n'est qu'à partir de 1920 que la plupart d'entre eux ont adopté le suffrage universel pour la majorité blanche de la population masculine. Un suffrage véritablement universel ne s'est généralisé dans ces pays qu'à la fin du XXe siècle (l'Espagne a rétabli la démocratie dans les années 70 ; les minorités ethniques n'ont eu le droit de vote qu'en 1962 en Australie et en 1965 aux Etats-Unis ; les femmes, dans de nombreux pays, ne l'ont obtenu qu'après la Seconde Guerre mondiale, et même, en Suisse, qu'en 1971). En outre, jusqu'à la Seconde guerre mondiale, la démocratie, là où elle existait formellement, était d'une médiocre qualité. Le scrutin à vote secret n'a été introduit qu'au début du XXe siècle en France et en Allemagne, et la corruption (achat de suffrages, fraude électorale, corruption des élus) s'est prolongée tard dans le XXe siècle dans la plupart des pays. Schumpeter et la démocratie Chez Schumpeter, la démocratie ne vient pas perturber le processus d'évolution qui caractérise le capitalisme. Au contraire, elle le soutient, voire l'encourage. Elle devient un outil qui fabrique et est fabriqué dans le cadre du système capitaliste. Dès lors, le caractère hétérodoxe de la pensée schumpeterienne en matière d'articulation de l'économique et du politique doit être nuancé. Les perturbations ne proviennent pas du politique, de l'Etat, elles résultent des caractéristiques endogènes du capitalisme. Schumpeter tend vers un économisme envahissant. Sa vision de l'histoire procède d'un évolutionnisme «libéral», où les innovations et les entrepreneurs sont les rouages les plus importants. Le politique remplit un rôle qui ne peut en faire la première cause du changement social. Il «économicise» le politique tout en le neutralisant. Se méfiant du collectif, de l'Etat, il veut rendre à la concurrence un rôle prédominant, puisqu'il en constate les effets positifs : le fonctionnement du capitalisme engendre une hausse du bien-être, notamment pour les classes populaires. La démocratie ne doit pas et n'influence pas de façon déterminante la dynamique sociale: elle ne fait que l'entériner. Promotion du développement endogène par la pratique démocratique «Le développement et plus précisément le développement endogène — comme le souligne Alain Touraine — répond à trois conditions principales : l'abondance et le bon choix des investissements; la diffusion dans toute la société des produits de la croissance, la régulation politique administrative des changements économiques et sociaux au niveau de l'ensemble national ou régional considéré». «En termes plus concrets encore, précise-t-il, la transformation de l'économie de marché en développement suppose un Etat capable d'analyse et de décision, des entrepreneurs et des forces de redistribution». «Or ces trois agents du développement, ajoute-t-il, ont des rapports étroits» avec les trois composantes de la démocratie que représentent la citoyenneté, la représentation des intérêts et la limitation du Pouvoir. Initiant ainsi une modernisation autocentrée, la démocratie est en même temps, comme régime politique fondé sur la défense des droits et des libertés, un facteur de redistribution. Comme système politique autonome chargé de médiatiser la relation entre l'économie de marché et le développement, la démocratie électorale-représentative permet de gérer politiquement les tensions entre l'investissement et la répartition des produits de la croissance. Sa fonction spécifique est, dans ce cas, d'articuler sous le principe du service de l'intérêt général à long terme, ces deux exigences contradictoires, en tenant compte à la fois des besoins de l'économie et des besoins sociaux. Finalement, c'est en tant qu'elle permet à l'Etat d'agir comme agent de développement en limitant son pouvoir par les droits et libertés, que la démocratie électorale-représentative est le facteur absolu du développement endogène. C'est aussi, parce qu'elle réalise l'intégration des acteurs sociaux et économiques du développement en permettant au plus grand nombre de participer aux décisions et d'avoir accès aux crédits publics, que la démocratie est la force motrice du développement endogène. Le développement endogène ne résulte donc ni de l'accumulation du capital par un Etat dirigiste qui favorise l'allocation des ressources par le marché, ni d'une économie de marché fonctionnant librement sous l'accompagnement politique d'un régime démocratique. Il résulterait plutôt de la détermination du développement par les principes constitutifs de la démocratie électorale représentative. Le développement devient endogène lorsque la conscience des droits, la représentativité des forces politiques et la citoyenneté structurent et dirigent le processus de la modernisation économique et de l'industrialisation. Cette transformation des structures par la rationalisation des systèmes de production devient émancipatrice lorsqu'un système politique, fondé sur la défense des droits et des libertés individuelles et collectives, permet de gérer de manière ouverte les tensions entre l'investissement et la redistribution sous le principe du service de l'intérêt général et de la réalisation du bien commun. Le principe démocratique de citoyenneté permet de construire et de renforcer la société nationale, par la modernisation et l'intégration sociale qui visent à «instaurer une dignité minimale des conditions de vie qui donne une forme sensible et tangible au fait de la con-citoyenneté». Le principe de représentation des intérêts s'exprime par la redistribution des produits de la croissance dans le processus de la modernisation économique. Déterminés par le souci d'incarner les droits et les libertés dans les existences individuelles et collectives, l'investissement et l'industrialisation démocratiques sont mises en œuvre pour briser les mécanismes de reproduction sociale et pour substituer l'égalité de condition aux hiérarchies traditionnelles. La société civile : espace et agent de démocratie et de développement C'est au moment où le système démocratique occidental s'érige en référence que l'exercice réel de la citoyenneté semble dans ces pays menacé, voire étouffé par des agents ou des structures de pouvoir peu contrôlables par la société. Parmi ceux-ci, les agents économiques occupent une place de choix. L'économie paraît «décoller» de la politique et celle-ci paraît «décoller» de la société. Le résultat en est une citoyenneté mutilée. Au milieu du brouillard que l'on rencontre lorsque l'on regarde l'avenir sous l'angle de la démocratie et du développement, une piste est cependant apparue : la société civile, dépositaire non pas d'une confiance excessive, mais pour le moins d'espérances, source d'un certain imaginaire face aux multiples barrières. La société civile est «le domaine de la vie sociale civile organisée qui est volontaire, largement autosuffisant et autonome de l'Etat». Une élection est un des événements principaux où la société civile se trouve mobilisée, notamment à travers l'éducation de l'électorat. C'est le corps social,
par opposition à la classe politique (source Wikipédia). Par rapport à la démocratie, cette notion remplit l'énorme vide qui sépare l'Etat décentralisateur d'une citoyenneté aliénée et atomisée. Par rapport au développement, elle agit comme «troisième acteur» entre la planification démocratique et le marché ségrégateur. La société civile a été vue comme espace et agent de démocratie et de développement, non pas pour éliminer la nécessité des autres agents qu'elle côtoie, mais pour la réorienter en fonction des individus et des collectivités réels. La démocratie précède-t-elle le développement ou le développement constitue-t-il une condition nécessaire de la démocratie ? En fait, la question qui sous-tend le rapport entre développement et démocratie est simple, sinon simpliste : la démocratie est-elle compatible avec le sous-développement et la pauvreté qui en est le corollaire ? Si l'on ne devait s'en tenir qu'à la vulgate néo-libérale en vogue et aux théories de Francis Fukuyama sur la fin de l'Histoire, la question du rapport entre démocratie et développement ne devrait plus se poser. Elle ne se poserait plus simplement parce que la réponse serait connue d'avance : il n'y a pas de développement sans démocratie. Le sens de l'Histoire serait donc la course automatique et naturelle vers la démocratie, laquelle porte en elle les germes du développement.La réalité des faits est malheureusement beaucoup plus complexe, pour ne pas dire plus compliquée. Les pays en développement ont-ils les moyens d'entretenir la démocratie ? Nous parlons bien d'entretenir et non d'établir la démocratie. Car établir la démocratie est chose relativement aisée, l'entretenir l'est moins. Plus sérieusement, il est bon de savoir que la démocratie moderne coûte chère. Qu'il s'agisse du coût de l'organisation des procédures électorales ou de celui du fonctionnement des institutions que suppose la démocratie. Concrètement, ce qui précède devrait se réduire aux deux questions suivantes : faut-il d'abord développer avant de démocratiser ? Ou, faut-il démocratiser avant de développer ? C'est autour de ce double questionnement que vont s'articuler les derniers développements dont les deux axes principaux seront constitués par les réponses à ces questions. (Suivra)


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