Les Egyptiens éliront lundi et mardi un président, près de onze mois après la destitution et l'arrestation de l'islamiste Mohamed Morsi par le grand favori de ce scrutin, l'ex-chef de l'armée Abdel Fattah al-Sissi, qui n'a qu'un rival, le leader de gauche Hamdeen Sabbahi. Abdel Fattah al-Sissi: icône nationaliste ou nouvel autocrate? L'homme qui a destitué M. Morsi s'efforce de peaufiner l'image d'un candidat affable à la présidentielle, mais son discours dur et la répression meurtrière lancée contre les islamistes renforcent les craintes d'un nouveau régime autoritaire. Il n'a pas eu besoin de battre la campagne tant sa popularité est grande depuis son coup de force du 3 juillet 2013 contre M. Morsi, et la répression sanglante qui a suivi contre sa confrérie des Frères musulmans, bête noire d'une grande majorité d'Egyptiens. Ses millions de portraits qui ornent chaque rue et chaque échoppe depuis 11 mois sont passés de celui du maréchal en uniforme au regard sévère à celui du civil fringant de 59 ans, sourire figé et costume bien taillé, puisqu'il a dû prendre en mars sa retraite de l'armée pour se présenter à la présidentielle. De même, dans des interviews télévisées fleuves mais théâtrales et aux questions complaisantes, il ne se départit jamais de son sourire parfois un peu forcé, même quand il explique que l'Egypte ne sera pas prête pour «la vraie démocratie» avant 20 ou 25 ans, ou que l'on ne peut faire revenir les touristes dans un pays où les gens manifestent. Alors que depuis 11 mois, soldats et policiers ont tué plus de 1.400 manifestants pro-Morsi et emprisonné plus de 15.000 autres, pour nombre d'Egyptiens, il est l'homme à poigne dont le pays a besoin pour retrouver la stabilité et la prospérité. Les partisans le comparent parfois à Gamal Abdel Nasser - lui aussi un militaire -, le charismatique président égyptien devenu dans les années 1950 et 1960 le champion du panarabisme et des Non-Alignés, et qui a mené comme lui une sanglante répression contre les Frères musulmans. M. Sissi n'hésite toutefois pas à faire appel au sentiment religieux des Egyptiens, en très grande majorité musulmans sunnites. Il a la réputation d'être un homme pieux et avait rédigé en 2006 un mémoire intitulé «La démocratie au Moyen-Orient», dans lequel il insistait sur le rôle de l'islam dans la législation. Hamdeen Sabbahi : vieille figure de la gauche égyptienne L'homme de 60 ans à la chevelure blanche fournie se présente en défenseur des idéaux de justice sociale de la révolte de 2011 - «pain, liberté, justice sociale» -, des slogans qui peinent à mobiliser dans un pays réclamant surtout un retour à la stabilité et à la sécurité face à des attentats de plus en plus fréquents, leitmotiv de M. Sissi. Mais M. Sabbahi dit redouter un retour à un pouvoir autoritaire, compte tenu de la répression implacable menée depuis 11 mois par les nouvelles autorités contre toute voix dissidente - islamistes pro-Morsi évidemment, mais aussi la jeunesse révolutionnaire et laïque de 2011. Au contraire de son adversaire qui n'a mené aucun meeting de campagne, M. Sabbahi a sillonné le pays, détaillant inlassablement un programme économique axé sur la redistribution des richesses et se posant en héritier du charismatique Nasser. Arrivé troisième à la présidentielle de 2012 remportée par M. Morsi, M. Sabbahi, qui affirme avoir été incarcéré 17 fois sous ses prédécesseurs, s'était aussitôt engagé dans l'opposition aux Frères musulmans.