Le peuple algérien est d'origine afro-amazighe multiethnique, de culture arabo-berbèro- maghrébine islamique traditionnellement tolérante et de mitoyenneté moyen orientale et méditerranéenne ouverte sur l'universel. Actuellement, les données anthropo-culturelles et génétiques permettent, dans une grande mesure, d'établir le constat objectif de l'identité plurale et symbiotique de l'Algérianité mosaïquée. A commencer par les études paléo- anthropologiques menées par des chercheurs algériens et étrangers qui ont pu se faire une idée édifiante, après de longues et patientes années de recherches, des origines du peuplement Nord africain et ce qui en a découlé comme complexes brassages et métissages multiethniques et culturels pluriels au cours du long et incessant processus évolutif de formation des pans interdépendants constitutifs de la nation algérienne souveraine, grandement homogénéisée d'aujourd'hui. Avant d'essayer d'aborder cette importante question des origines du peuplement Nord africain, à la lumière des récentes données anthropologiques et génétiques, il sied au préalable, de s'interroger sur ce terme générique de «Berbère» trop souvent galvaudé par nombre d'historiens et anthropologues, le confondant fréquemment avec celui impropre de «barbare». Alors que cette noble appellation identitariste de Berbère n'aurait absolument rien à voir avec cette dénomination dépréciative de barbare si longtemps vulgarisée. Selon les avis recueillis de spécialistes, à l'origine le mot Berbère emprunté en 1308 au latin barbarus, dérivé du grec ancien «bárbaros (signifiant étranger), était utilisé par les Grecs pour désigner d'autres peuples de mœurs, cultures et civilisation incompréhensibles pour eux, Bárbaros ne présentant, vraisemblablement, aucune nuance péjorative dans ce contexte signifiant simplement le «non grec». Le nom Berbère serait apparu pour la première fois après la fin de l'Empire romain et l'usage du terme se serait répandu surtout après la période d'invasion des Vandales en provenance de la péninsule Ibérique. Et c'est le consul romain en Afrique qui aurait utilisé pour la première fois le terme «barbare» pour désigner les Numides avant que les historiens arabes ne reprennent par la suite ce terme péjoratif tandis que les Européens nommeront, à leur tour quelques temps plus tard, «Barbarie» la côte des Barbaresques... Et bien entendu, ce qualificatif dévalorisant de barbarie à connotation belliciste propre à la perception d'une vision manichéenne adverse d'une partie occidentalo-centriste conquérante - se magnifiant et diabolisant tout le reste des civilisations aux spécificités qui ne s'apparentaient pas aux siennes,- n'a aucun rapport avec la Berbérie de l'Afrique du Nord antique qui a sa civilisation, ses traditions et cultures propres émanant d'un patrimoine multimillénaire aux précieux apports et vestiges-témoins d'une portée indéniablement universelle. A ce propos, il y convient de préciser que les Berbères (Imazighen) ne se réduisent pas à une zone géographique déterminée mais renvoient à un ensemble d'ethnies autochtones réparties dans toute l'Afrique du Nord, où le traditionnel «yennayer amazigh» y est célébré chaque année jusqu'à nos jours. Et à une certaine époque, les Berbères occupaient un large territoire qui s'étendait de l'Ouest de la vallée du Nil jusqu'à l'Atlantique et l'ensemble du Sahara où ils y fondèrent de puissants royaumes, formés de tribus confédérées (Numides, Lebous, Maures, Gétules, Garamantes, etc.), qui connurent au fil du temps, les confessions judaïque, du christianisme, la conquête romaine, l'invasion vandale, l'incursion arabe et la conversion à l'Islam, l'arrivée des Turcs, le colonialisme de peuplement français, les migrations contemporaines d'Afrique, de Méditerranée et d'Orient ...Les spécialistes comptent près de 3 000 dialectes berbères qui se sont constitués au cours de l'évolution historique, faisant rattacher les langues berbères à la famille des langues chamito- sémitiques. Autrement dit, les populations du Maghreb sont très composites avec leurs brassages multiethniques, pluriculturels et linguistiques. Les recherches modernes consacrent actuellement, plusieurs études génétiques, anthropologiques et linguistiques à ces populations, en recourant aux datations au carbone 14 sur d'anciens fossiles, objets de tests génétiques au même titre que sur les populations modernes. L'un des chercheurs ayant cerné de très près la question de l'origine du peuplement berbère de l'Afrique du Nord antique, est l'éminent Gabriel Camps qui, écartant les données des récits mythologiques et fabulateurs, avait mis en évidence la portée scientifique nettement plus fiable de l'anthropologie. Ainsi Camps en vient-il à clarifier : «connus depuis l'antiquité pharaonique sous les noms de Lebu, Tehenu, Temehu, Meshwesh, les Berbères subsistent dans un immense territoire qui commence à l'Ouest de l'Egypte» et qu'«actuellement des populations parlant berbère habitent dans une douzaine de pays africains, de la Méditerranée au Sud du Niger, de l'Atlantique au voisinage du Nil.» Et d'ajouter ce qui rompt avec les considérations classiques d'auparavant sur les origines du peuplement berbère : «La formation de la population berbère, ou plus exactement des différents groupes berbères, demeure très controversée parce qu'elle fut mal posée. Les théories diffusionnistes ont tellement pesé depuis l'origine des recherches que toute tentative d'explication reposait traditionnellement sur des invasions, des migrations, des conquêtes, des dominations. Et si les Berbères ne venaient de nulle part ? Plutôt que de rechercher avec plus ou moins de bonheur de vagues ressemblances de tous ordres et d'amalgamer des données de significations différentes, voire contradictoires, ne vaut-il pas mieux commencer par examiner les Berbères eux-mêmes et les restes humains ultérieurs à l'époque historique, époque où, nous le savons, la population actuelle s'était déjà mise en place ? En un mot nous devons logiquement accorder la primauté à l'Anthropologie.» (1) Cependant, comme avertit l'anthropologue à l'instar d'autres spécialistes de la discipline, cette dernière ne permet pas toutefois de définir avec précision l'originalité «berbère» dans l'ensemble de la population sud méditerranéenne où néanmoins pourraient être identifiés aujourd'hui des groupes berbères dans le quart nord- ouest de l'Afrique Est, reconnaissables principalement à un élément d'ordre culturel- linguistique plus que physique. Pour Gabriel Camps, aux débuts du Paléolithique supérieur correspondant à l'époque d'Homo Sapiens Sapiens en Europe tel que déterminé par les préhistoriens, vivait déjà au Maghreb son contemporain tout aussi «cromagnoide» mais plus primitif : l'Atérien à la culture dérivée du Moustérien dont d'importants éléments mis à jour à Dar Soltan et Djebel Irhoud (Maroc) présentent les caractéristiques d'une forte filiation avec le spécimen connu depuis longtemps au Maghreb sous le qualificatif d'Homme de Mechta El-Arbi. Ce dernier-cromagnoide, selon l'anthropologue, du fait de la similitude de ses caractères physiques dominants, - est tributaire à ses débuts de l'industrie Ibéromaurisienne qui occupait toutes les régions littorales et telliennes. Auparavant l'Homme de Mechta el-Arbi était supposé lié à une origine extérieure , européenne selon les uns, orientale, selon les autres, «deux éléments d'une alternative que nous avons déjà reconnue dans les récits légendaires de l'Antiquité ou dans les explications fantaisistes de l'époque moderne et qui se retrouve dans les hypothèses scientifiques actuelles», souligne Gabriel Camps, observant «malheureusement l'une et l'autre présentaient de grandes anomalies qui les rendaient difficilement acceptables (...) aucun document anthropologique ( ...) ne peut l'appuyer. » (2) Le chercheur considère ainsi que le type d'origine occidentale et autre de type proto-méditerranéenne, diffèrent considérablement de la typologie de l'Homme de Mechta –el Arbi dont «l'origine locale, sur place, la plus simple (c'est la raison pour laquelle sans doute on n'y croyait guère !) et, aujourd'hui la plus évidente depuis la découverte de l'Homme atérien». Ainsi des anthropologues spécialistes de l'Afrique du Nord comme D. Ferembach et M.C. Chamla qui admettent aujourd'hui «une filiation directe, continue, depuis les Néandertaliens Nord-africains (Hommes du Djebel Irhoud) jusqu'aux (...) Hommes de Mechta el-Arbi. L'Homme atérien de Dar es Soltane serait l'intermédiaire mais qui aurait déjà acquis les caractères d'Homo Sapiens Sapiens.» (3). Le type de Mechta el-Arbi s'effacera progressivement au cours de son évolution, mais cette disparition ne fut jamais complète puisqu'on trouve encore quelques spécimens Mechtoïdes parmi les crânes conservés des sépultures protohistoriques et puniques (Chamla, 1976). G. Camps précisant: «Du type de Mechta el-Arbi il subsiste encore quelques très rares éléments dans la population actuelle qui, dans sa quasi-totalité, appartient aux différentes variétés du type méditerranéen : Ils représentent tout au plus 3% de la population au Maghreb, ils sont nettement plus nombreux dans les iles Canaries. (...) On ne peut cependant placer l'Homme de Mechta el-Arbi parmi les ancêtres directs des Berbères (...) Manifestement l'Homme de Mechta el-Arbi n'a pu donner naissance aux hommes proto-méditerranéens. Ceux-ci , qui vont progressivement le remplacer, apparaissent d'abord à l'Est, tandis que les Hommes de Mechta el-Arbi sont encore, au Néolithique, les plus nombreux dans l'Ouest du pays.» (4). Ces derniers auxquels est fait allusion désignant le peuplement de l'Algérie préhistorique, ou celui de toute l'Afrique du Nord ancienne, en fait, que les anthropologues voient partagé en cette période en deux provinces, deux ethnies, voire même deux races, l'une Ibéromaurisienne couvrant les régions littorales et l'Atlas tellien d'Algérie, l'autre Capsienne limitée aux régions des Sebkhas et Chotts des confins algéro- tunisiens. Mais c'est finalement la culture des Capsiens, - caractérisée par une industrie de pierre, d'outils à lames, d'armatures de diverses formes géométriques et notamment d'un grand nombre de gisements d'«escargotières», - qui sera appelée à se développer sur les restes de celle des Ibéromaurisiens, cette civilisation nouvelle dite Capsienne, du nom antique de Capsa (Gafsa, Tunisie), allant même jusqu'à gagner l'ensemble du Maghreb, par la suite pour y perdurer du VIIIe au Ve millénaire. Pour Camps, cette civilisation Capsienne a tout l'air d'être l'ancêtre des Berbères, de leur art et culture, observant : «Il y a un tel air de parenté entre certains de ces décors capsiens ou néolithiques et ceux dont les Berbères usent encore dans leurs tatouages, tissages et peintures sur poterie ou sur les murs, qu'il est difficile de rejeter toute continuité dans ce goût inné pour le décor géométrique, d'autant plus que les jalons ne manquent nullement des temps protohistoriques jusqu'à l'époque moderne. Sur le plan anthropologique les hommes capsiens présentent (...) peu de différence avec les habitants actuels de l'Afrique du Nord, Berbères et prétendus Arabes qui sont presque toujours des Berbères arabisés (...) Quoi qu'il en soit nous tenons, avec les Proto-méditerranéens capsiens , les premiers Maghrébins que l'on peut, sans imprudence, placer en tête de la lignée berbère. Cela se situe, il y a quelque 9 000 ans ! » (5) (A suivre) Mohamed Ghriss (Extrait - synthèse d'un ouvrage en instance d'édition à l'ANEP)