Sylvestre Huet : «Le Parlement français a voté une loi interdisant la technique de la fracturation hydraulique pour l'extraction de gaz de schiste !». Sur le dossier du gaz de schiste, on assiste ces derniers temps à un durcissement des positions qui se résument bien souvent par l'attitude pro ou anti...Des experts algériens mais aussi des spécialistes étrangers de renom demeurent sceptiques quant à l'exploitation du gaz et de l'huile de schiste en Algérie le tout enveloppé dans la faiblesse du cadre réglementaire en matière de protection de l'environnement et d'aménagement des acticités d'exploration et d'exploitation à l'exemple de l'Allemagne ou les ministres de l'Energie et de l'Environnement qui ont promis une interdiction de la fracturation hydraulique jusqu'en 2021, date a laquelle se tiendra une autre relance de bataille au regard des évolutions scientifiques . Le «wait and see» du gouvernement allemand, a été possible grâce à la mobilisation et la constatation des écologistes. En France, par contre le Parlement a voté une loi en 2011 interdisant la technique de la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'extraction de gaz. Plusieurs experts contactés par nos soins, ont été unanimes pour nous déclarer en ces termes, que sur la question de l'exploitation de gaz de schiste initiée par les décideurs algériens : «Beaucoup reste à faire en Algérie !». Sylvestre Huet journaliste scientifique à «Libération», mais aussi un fin analyste, conférencier et auteur de plusieurs ouvrages dont : Le nucléaire : Quel scenario pour le futur ?, L'imposteur c'est lui (une réponse à Claude Allègre), Quel climat pour demain ?, etc. Lisons l'interview qui nous a été accordée par cet éminent journaliste scientifique pour comprendre les tenants et les aboutissants, d'un autre genre de brasseurs de la problématique gaz de schiste, donc celle des énergies fossiles, de ce fait, celle de notre manière d'exploitation des ressources énergétiques avec son cortège hideux de conséquences, plus au moins connues, et dans une indifférence totale ,se règle et se régente dans des sphères de décision loin des univers de vie des citoyens. A son insu, et faute d'une démocratie participative ou délibérative, la population demeure le dernier maillon de la chaîne à être consultée à être dans les différents processus. De ce fait, son exclusion a une supposée participation dans les prises de décisions politiques, qui se font pour la plupart du temps dans des conditions peu ou proues palpables. La Nouvelle République : Pour commencer cette polémique qui fait tache d'huile dans plusieurs pays et pour éclairer notre lectorat, à combien estimez-vous l'extraction en millions de dollars d'un seul puits de gaz de schiste ? Sylvestre Huet : Il n'est pas possible de donner une estimation de cette sorte, car le coût d'extraction doit être rapporté à toute une série de dépenses antérieures, d'exploration et d'installation d'infrastructures pour acheminer le matériel et l'eau utilisée pour la fracturation hydraulique, ainsi que pour conduire le gaz extrait jusqu'à une infrastructure de stockage ou de transport préexistante. Tout dépend donc de la localisation des gisements, de leur productivité, des législations protectrices ou non de l'environnement, etc. Ce qu'indique l'exemple américain, le seul pour l'instant à avoir connu un développement de taille industrielle, c'est que ces coûts totaux sont, dans le cas américains, inférieurs à celui d'une importation de gaz pour les Etats-Unis. C'est une évidence puisque les Etats-Unis, depuis plus 2005, ont augmenté leur production totale de gaz naturel, et ont diminué leurs importations de gaz, après avoir foré plus de 500 000 puits et mis en exploitation plus de 100 000 puits de gaz non conventionnels (réservoirs compacts et gaz dit de schiste) utilisant la fracturation hydraulique. Ce nombre peut sembler extravagant, mais un puits de ce type produit beaucoup moins qu'un forage de gaz conventionnel et sa durée de vie n'est que de quelques années. Au total, les Etats-Unis visent l'autosuffisance en gaz naturel, voire une exportation vers certains pays, le Japon en particulier, où le prix du gaz est très élevé. Il convient toutefois d'être très prudent dans l'extrapolation de cet exemple à d'autres pays. Le gouvernement US a favorisé cette industrie en l'exonérant de nombre d'obligation de protection de l'environnement. Les ressources sont abondantes. Le régime juridique du sous-sol a favorisé une expansion rapide. Il s'est formé une bulle financière avec un investissement spéculatif dans les petites entreprises exploitant le gaz de schiste qui ne peuvent survivre qu'en ouvrant sans cesse de nouveaux puits, car ils s'épuisent très vite, en quelques années. Le marché était disponible pour acheter ce gaz, en substitution à des importations, notamment pour les centrales électriques. Bref, ces conditions spécifiquement américaines ne sont pas présentes dans d'autres pays. Ainsi le prix du gaz et du pétrole (il y a beaucoup de puits mixte) à la sortie du puits est proche de 80 dollars le baril pour le pétrole et 35 dollars l'équivalent baril pour le gaz. L'intérêt macroéconomique du pétrole et du gaz de schiste pour les Etats-Unis : diminution de leur dépendance pétrolière, quasi indépendance pour le gaz acquise et probablement une exportation de gaz dans les années qui viennent, une industrie chimique boostée par un prix du gaz très inférieurs aux prix européens et japonais. Des pays européens n'ont pas attendu Bruxelles pour prendre des décisions qui s'imposent quant à l'interdiction de la fracturation du gaz de schiste. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ? La situation française est que le Parlement a voté en 2011 une loi interdisant la technique de la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'extraction de gaz. Comme c'est pour l'instant la seule technologie disponible pour l'extraction du gaz de schiste, cela conduit de facto à l'interdiction de son exploitation. Les permis qui avaient été accordés n'étaient pas des permis d'exploitation mais des permis d'exploration. Ils ne sont, pour l'instant, pas mis en œuvre par les entreprises qui les avaient obtenus puisque la seule technologie possible leur est interdite par la loi. Pour l'instant, toute activité est donc suspendue. Que pensez-vous de la décision de l'actuel gouvernement algérien qui a déjà pris une décision hâtive au sujet de l'extraction de gaz de schiste ? Je ne connais pas assez bien la situation algérienne pour répondre à cette question ainsi qu'aux suivantes sauf sur deux points, les risques de l'exploitation des gaz de schiste et l'intérêt algérien au plan économique. Les risques sont de divers ordres. Tout d'abord le gaz de schiste est du méthane, identique au gaz des gisements conventionnels. Il présente donc les risques industriels classiques de ce dernier (c'est un gaz inflammable, explosif, qui ne doit pas être inhalé ou ingéré, il ne doit donc pas polluer les sols et l'eau potable). Ensuite, l'exploitation des gaz de schiste pose des problèmes classiques pour le gaz et spécifiques. Les problèmes classiques sont la sûreté des installations industrielles, l'étanchéité des puits afin d'éviter des fuites, dans le sous-sol vers des ressources en eau par exemple, ou en surface. Les risques spécifiques sont liés à l'utilisation de grandes quantités d'eau – de 5 000 à 20 000 mètres cubes par puits, et d'adjuvants pour la fracturation hydraulique. Il faut donc disposer de cette eau, ce qui semble un problème majeur pour l'Algérie qui ne pourra que puiser dans ses ressources en eau fossile, épuisables par définition, pour cela. Puis, faire face au risque de pollution de nappes phréatiques en sous-sol et aux réseaux hydrauliques en surface lors de la remontée des boues de fracturation, avec éventuellement des éléments naturels toxiques, et à la multiplication des moyens de transports en raison du grand nombre de puits à forer. Enfin, le méthane est un gaz à effet de serre donc son usage augmente le risque de changement climatique, mais il s'agit là d'un risque global et non local même si l'un des problème est la fuite de méthane sur les sites d'exploitation qui est avéré selon des études réalisées aux Etats-Unis et ferait du gaz de schiste un acteur du changement climatique de même efficacité que le charbon. Le risque pour les populations est défini par leur présence ou leur absence à proximité des puits et des réseaux de transport ainsi que par la capacité des entreprises exploitantes à respecter les règles de sécurité et les normes environnementales. Dès lors qu'une population est proche d'un site de production, elle subira des nuisances de cette activité industrielle (bruit, transports, atteinte aux paysages, risque de pollution....). L'opportunité économique de se lancer sans attendre dans l'exploitation de gaz de schiste semble peu élevée pour l'Algérie dans une perspective de court terme. Cette dernière dispose de gisements de gaz conventionnels qu'elle peut développer dans l'immédiat. Et devrait plutôt considérer ses réserves de gaz de schiste comme une ressource de plus long terme, qui pourrait devenir précieuse dans la perspective, d'ici quelques décennies, où le gaz naturel sera plus rare et plus cher à l'échelle mondiale. A l'inverse, inonder trop rapidement le marché mondial de gaz issu de ces ressources non conventionnelles pourrait conduire à une baisse des prix préjudiciable à l'intérêt de l'Algérie qui devrait se tourner en priorité vers l'investissement dans des activités productrices (industries de transformation, agriculture) afin de diminuer sa dépendance à ses revenus fondés sur l'exportation d'hydrocarbures. L'extraction et l'exploitation de gaz de schiste au Sahara algérien, dans certains axes des Hauts-Plateaux et à l'Ouest algérien sont- ils extrêmement dangereux pour notre sous-sol ? A l'exemple de l'utilisation de l'hélium et autres substances nocives ? L'utilisation d'hélium pour l'exploitation de gaz de schiste ne me semble pas raisonnable vu le coût de l'hélium liquide. Il s'agit là d'une hypothèse peu crédible. En revanche d'autres pistes techniques pour remplacer la fracturation hydraulique sont en cours d'examen avec parfois de premières expérimentations : injection de gel de propane, de vapeur d'eau, de CO2, arcs électriques, explosifs... Pour l'instant, il n'est pas possible de déterminer si l'une de ces pistes aboutira. En tant que journaliste scientifique êtes- vous pour ou contre la décision de l'exploitation du gaz de schiste qui a été prise sans prudence et dans la précipitation par certains pays ? L'Europe de l'Ouest est en situation de très forte dépendance pour son énergie en particulier pour le pétrole et le gaz, dépendance vis à vis de producteurs d'Afrique, d'Asie et de la Russie. C'est une faiblesse considérable et un risque de rupture d'approvisionnement en cas de crise. A long terme, l'Europe de l'Ouest dont les ressources propres en gaz et pétrole sont faibles et en voie d'épuisement est la région du monde la plus concernée par la nécessité de s'affranchir de cette dépendance aux hydrocarbures importés. Dans ce contexte, les ressources en gaz non conventionnels peuvent apporter une réponse partielle et provisoire à des besoins en gaz pour des usages domestiques et industriels. Les premières explorations ont montré que le potentiel des gisements est souvent très loin de ce qui a pu être imaginé sur la seule foi des cartes géologiques (voir l'exemple polonais). Et les populations européennes n'accepteront pas les risques environnementaux pris aux Etats-Unis. Si cette ressource est exploitée, ce sera donc avec prudence et sans précipitation. L'extraction et la production du gaz de schiste est une opportunité ou une calamité écologique pour l'Algérie ? Il faut toujours regarder les sujets sérieux de manière objective... et celui de ses ressources en hydrocarbures est crucial pour l'Algérie.