La célébration du nouvel an amazigh dans la wilaya de Tizi Ouzou a connu des modifications au fil des années ayant réduit le côté rituel de cet événement, selon des témoignages recueillis par l'APS auprès de plusieurs villageoises. Des femmes rencontrées au niveau des villages d'Ath Lkaid (commune d'Agouni Gueghrane), de Sidi Ali Bounab (commune de Tadmait) et de Takoucht (commune de Bouzguène), déplorent le «délaissement de plusieurs aspects» qui entourent la célébration de Yennayer, premier jour de l'an Amazigh. «Actuellement beaucoup de pratiques ont disparu à telle enseigne que les jeunes pensent que la célébration de Yennayer se résume en la préparation d'un couscous au poulet, et dont même la recette qui exige la présence de sept ingrédients n'est plus respectée», dit amèrement une octogénaire d'Ath Lakaid. Tassadit, une septuagénaire du douar de Sidi Ali Bounab, se rappelle que lorsqu'elle était enfant, sa mère et les femmes du village veillaient à respecter scrupuleusement les préparatifs et les rituels pour accueillir le nouvel an Amazigh. «La notion de présage +El Fal+ entourant cet événement qui marque la naissance du nouvel an, a fait que les familles ont continué à fêter Yennayer par crainte d'avoir un malheur dans la famille si le rituel n'est pas observé», relève-t-elle. «Aujourd'hui les jeunes femmes continuent à préparer le couscous au poulet servi traditionnellement en pareille occasion, mais négligent le reste des préparatifs qu'elles considèrent comme dépassés ou relevant de la superstition», note Ferroudja, une quinquagénaire du village Takoucht. L'avènement du nouvel an Amazigh était pourtant marqué par d'intenses préparatifs. Selon Mme Malha Benbrahim, historienne spécialiste de l'oralité à l'université de Tizi-Ouzou, les trois pierres du foyer, creusées dans un coin de la maisont traditionnelles pour la préparation des repas, sont remplacées par d'autres neuves. La maison est repeinte à la chaux (tumlilit) et le sol en terre battu nettoyé avec un balai fait de branches de lavande sauvage (Amezzir) qui dégage une odeur agréable et parfume la maison. Des céréales sont versées entre les jarres (Ikouffane) pour signifier et augurer l'abondance. Aujourd'hui, ce rituel n'existe pratiquement plus. La maison traditionnelle ayant presque disparue ou abandonnée. Seules quelques vieilles dames continuent à perpétuer une tradition à laquelle les jeunes femmes accordent peu d'importance, relève cette universitaire. Le soir de Yennayer, la famille se réunit autour du plat et des cuillères sont disposées pour les personnes absentes (les enfants vivant à l'étranger ou les filles mariées), mais ce geste tend lui aussi à disparaître. Par ailleurs, peu de familles continuent à préparer le Sfendj (beignets) ou Lemsemen (pâte feuilletée traditionnelle) le matin de Yennayer. Ces mets à base de pâte levée étaient préparés pour souhaiter une année généreuse. Des rites qui rappellent le lien entre l'homme et la nature. Plusieurs historiens et ethnologues qui se sont intéressés à la signification du rituel de Yennayer observent que cette fête, célébrée depuis les temps les plus anciens en Afrique du nord, est une occasion de rappeler le lien existant entre l'homme et la nature. Le choix du coq, comme animal à sacrifier pour arroser la terre de son sang, est dicté par son chant matinal qui annonce la naissance de la lumière (le lever du jour), pensent certains historiens. «Les rites qui entourent cette fête se croisent avec la dimension agricole au vue de +la sacralité+ de la terre pour l'homme», estime M. Saïd Bouterfa. Selon cet universitaire, qui a eu à s'exprimer sur ce sujet, lors de séminaires organisés par l'université de Tizi-Ouzou, «la symbolique de Yennayer est un sujet très vaste du fait qu'elle était présente dans les sociétés primitives». «Tous les rites pratiqués dans les différentes régions du pays renvoient à des croyances anciennes ayant pour objectif de se prémunir contre les menaces de la nature, comme la sécheresse, les épidémies, la famine, par la présentation d'offrandes à la terre à travers notamment le sacrifice du coq, servant à préparer le repas de Yennayer», souligne-t-il. Yennayer a aussi permis de «pérenniser un patrimoine oral inestimable», relève le directeur de la culture de Tizi-Ouzou, Ould Ali El Hadi. Puisque «c'est durant les longues nuits de sa célébration que bien des contes, des devinettes et des poèmes sont racontés et transmis de génération à une autre, sauvant ainsi de la disparition des pans entiers de notre culture», observe-t-il.