La rivalité féroce opposant l'Arabie Saoudite sunnite à l'Iran chiite a exacerbé les tensions confessionnelles au Moyen-Orient, mais la mésentente entre ces deux poids lourds de la région est avant tout politique, estiment les experts. Ryad et Téhéran ont souvent appuyé dans les conflits de la région ceux qui partagent leur confession, instrumentalisant le sentiment religieux pour leurs objectifs politiques. Si elle s'avère efficace, cette instrumentalisation prend des proportions dangereuses et difficiles à maîtriser dans un contexte régional divisé selon des lignes sectaires. Des groupes extrémistes ont vu le jour avec un discours exclusivement religieux, comme le groupe Etat islamique (EI) qui qualifie sans ambages les chiites et autres minorités d'hérétiques. Au Yémen, les responsables saoudiens ont placé leur intervention contre les rebelles chiites Houthis sous le mot d'ordre de la lutte du «bien contre le mal». En réponse, l'Iran a accusé Ryad de commettre un «génocide». Quant au conflit en Syrie, l'Iran soutient le gouvernement, qui qualifie régulièrement de «terroriste» l'opposition, majoritairement sunnite et appuyée notamment par l'Arabie Saoudite. Pourtant, les racines des conflits, soulignent les analystes, sont liées à la sécurité, au pouvoir, à la rivalité entre deux puissances régionales, non pas à un schisme religieux vieux de 1 400 ans à propos de la succession de Mahomet. «Parfois les différentes identités religieuses se mêlent à des disputes d'ordre politique ou économique», explique Jane Kinninmont, chef adjoint du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House de Londres. Confessionnel ou géopolitique ? La rivalité entre Ryad et Téhéran, deux puissances pétrolières aux ambitions régionales, dure depuis de nombreuses décennies avec des hauts et des bas. Elle s'est nettement aggravée avec l'invasion américaine de l'Irak en 2003, qui a brisé le statu-quo et fait basculer l'Irak dans la sphère d'influence de l'Iran. Il peut être aisé de percevoir les conflits régionaux sous le prisme confessionnel : en Syrie, l'Arabie sunnite soutient les rebelles, majoritairement sunnites, tandis que l'Iran et le Hezbollah libanais appuient le régime dominé par les alaouites, un avatar du chiisme. Même chose au Liban, Ryad est allié avec l'ex-Premier ministre sunnite Saad Hariri qui est opposé au mouvement chiite Hezbollah. A Bahreïn, la famille royale sunnite est soutenue par l'Arabie, qui soupçonne l'Iran d'inciter la majorité chiite à fomenter des troubles. Au Yémen, pays frontalier de l'Arabie Saoudite, Ryad a pris la tête d'une coalition d'Etats sunnites pour combattre les rebelles Houthis, issus de la communauté zaïdite chiite, proches de l'Iran. Or, «quand il s'agit de politique régionale, ce qui est présenté et perçu sous le label confessionnel sous-tend en réalité des rivalités géopolitiques», assure Fanar Haddad, chercheur à l'Institut sur le Moyen-Orient à l'université nationale de Singapour. Il s'agit d'étendre son influence, de protéger ses frontières ou d'assurer des lignes de ravitaillement dans une région instable. «Souvent, il est présenté comme une évidence que les sunnites et les chiites s'affrontent à cause d'une interprétation différente de l'islam. Mais un regard sur l'histoire et sur les différents pays musulmans montre que ce n'est pas la réalité», relève Jane Kinninmont. Partager la même confession ne signifie pas que l'on partage les mêmes intérêts. Le Qatar et l'Egypte, par exemple, tous deux sunnites, entretiennent des relations exécrables en raison du soutien de Doha aux Frères musulmans, détestés par Le Caire. Mais ils font partie de la même coalition conduite par l'Arabie au Yémen. Et si le Qatar et la Turquie soutiennent aussi Ryad dans son opération militaire au Yémen, ils se disputent le contrôle de l'opposition syrienne. Même si les rivalités sont géopolitiques, elles accroissent dangereusement le sentiment confessionnel. «Le schisme chiite-sunnite est bien réel», note Frederic Wehrey, un chercheur du Carnegie Endowment for International Peace's Middle East programme. En exploitant ce filon, les acteurs politiques peuvent déclencher une violence difficile à maîtriser comme c'est le cas en Irak, ravagé par des massacres à caractère confessionnel. «Le vitriol du confessionnalisme donne certainement des arguments à ceux qui font valoir que la «communauté des croyants (qu'il s'agisse des chiites ou des sunnites) est la cible d'une menace existentielle et qu'il est nécessaire de la défendre», ajoute M. Wahrey.