Les rebelles zaïdites, dits houthis, qui contrôlent depuis des années le nord-ouest du Yémen et qui ont lancé une offensive fulgurante à Sanaa et Aden, sont un puissant groupe armé, soutenu par l'Iran selon les autorités yéménites. Qui sont les Houthis, dont peu d'Algériens connaissaient le nom il y a six mois encore ? Ces rebelles, issus d'une branche du chiisme, majoritaire dans le nord du Yémen, alors qu'à l'échelle nationale les sunnites sont prédominants, sont connus comme les houthis, en référence à leur guide spirituel Badreddine al-Houthi et à son fils, Hussein, tué par l'armée yéménite en 2004. Les houthis ont été rebaptisés Ansarullah, après avoir pris le nom de Jeunes Croyants, leur premier bras politique apparu en 1992 pour dénoncer « la marginalisation » des habitants du nord-ouest du Yémen, le fief des zaïdites qui forment le tiers de la population du pays. Ainsi, de 2004 à 2010, ils ont été engagés dans six guerres contre le pouvoir central à Sanaa, et un conflit les a opposés en 2009/2010 à l'armée saoudienne après l'infiltration de leurs combattants en Arabie saoudite. Des héritiers de l'imamat zaïdite Les houthis se veulent les héritiers des imams zaïdites qui ont gouverné le nord du Yémen durant un millier d'années jusqu'à leur renversement en 1962 par une révolution civile à dominante sunnite. Le conflit entre les partisans de l'imamat zaïdite et les républicains s'est poursuivi dans les années 1970. En 1978, Ali Abdallah Saleh, un zaïdite, est élu président de la République. Il proclame en 1990 l'unification de son pays avec la République démocratique populaire du Yémen du Sud, avant de mater dans le sang, quatre ans plus tard, une tentative de sécession du Sud. M. Saleh a mené six guerres contre les houthis avec l'aide de ses alliés, la puissante confédération tribale des Hached, dominée par le clan des al-Ahmar. De plus, malgré la dimension confessionnelle de leur mouvement, les houthis ont établi un réseau d'alliances avec des tribus zaïdites mais aussi sunnites, hostiles à la confédération des Hached. Ils ont mis à profit notamment la haine que vouent historiquement les populations du nord du Yémen aux influents dignitaires des al-Ahmar, principal pilier du régime de Sanaa. En outre, après avoir joué un rôle actif dans le soulèvement de 2011 qui a conduit au départ, en février de 2012, du président Saleh, les houthis ont conforté leur domination militaire sur la province de Saada, berceau historique du zaïdisme. Passant à l'offensive cette année, ils ont attaqué des fiefs des al-Ahmar dans la province de Amrane, dont ils ont pris le contrôle l'été dernier, avant d'étendre les hostilités à leurs rivaux sunnites d'al-Islah, affiliés aux Frères musulmans, dans les provinces voisines d'al-Jawf et de Marib. Cette offensive qui les a conduits à Sanaa, quasiment encerclée depuis le mois d'août par les houthis, témoigne de la volonté, qui leur est prêtée, de chercher à élargir leur zone d'influence dans le futur Etat fédéral qui doit compter six provinces. De son côté, le président Abd Rabbo Mansour Hadi les accuse souvent de bénéficier d'un soutien de la République islamique iranienne, une accusation qu'ils rejettent, même s'ils opèrent dans le style du Hezbollah, un autre allié régional de Téhéran. L'analyste Samy Dorlian, un expert des affaires du Yémen, souligne cette complicité. « Depuis quelques années, les houthis se sont rapprochés de l'Iran, et du point de vue organisationnel, politique, médiatique, ils sont devenus plus proches du chiisme dominant », explique-t-il. À Sanaa, la capitale du Yémen, les Américains ont fermé leur ambassade le 10 juin, brûlé leurs documents confidentiels, détruit les armes servant à leur sécurité et ramené leur drapeau. Les Français et les Britanniques leur emboitent le pas. L'insécurité semble s'accroître tandis que les manifestations se multiplient contre la prise du pouvoir, la semaine passée, par un mouvement rebelle chiite, les Houthis. Leur chef vient d'affirmer que la sécurité des étrangers sera assurée. C'est en septembre que ces rebelles venus du nord-ouest du pays, de la région de Saada, entrent dans la capitale. Leur leader, un chef traditionnel, se nomme Abdel Malek al-Houthi. Rapidement, des milliers de leurs partisans, des chiites mais aussi des sunnites, organisent des sit-in devant les locaux du gouvernement, à Sanaa. Ils protestent contre le projet de fédération en cours qui ne leur donne pas une autonomie suffisante. Le 20 janvier dernier, ils entrent dans le palais présidentiel et arrêtent le chef de l'Etat, le président Abd Rabbo Mansour Hadi. Le 6 février, le Parlement est dissous. Les Houthis désignent un Conseil présidentiel de cinq membres qui doit gouverner le pays pendant deux ans. Ils promettent un nouveau Parlement.
Une histoire qui se confond avec celle du Yémen Peu de Yéménites auraient parié il y a cinq ans encore que la rébellion houthie, aux allures moyenâgeuses (on l'accusait de vouloir rétablir l'imamat sur le pays), qui se battait contre l'armée dans les montagnes dans le nord-ouest du pays, allait un jour s'installer dans la capitale. Au fil des années et des batailles, Saada, leur fief, cette magnifique ville aux hauts bâtiments de pisé brun et aux ouvertures entourées de blanc, a été interdite aux étrangers. Trop dangereux. De fait, l'histoire des chiites zaïdites, dont sont issus les Houthis, se confond presque avec celle du Yémen. Les zaïdistes sont une minorité au sein du chiisme. Contrairement aux chiites duodécimains, comme les Iraniens par exemple, ils n'attendent pas le retour du douzième imam (qui sera le dernier), mais du cinquième, et partagent certaines interprétations religieuses avec les sunnites. Bref, ce sont des hérétiques pour tous. Un tiers des 23 millions de Yéménites sont zaïdistes (comme l'ex-président Ali Abdallah Saleh chassé du pouvoir en 2011 par le Printemps arabe), mais tous les zaïdistes ne sont pas des Houthis. Nombre d'entre eux sont dans les rouages de l'Etat. Jusqu'à la guerre civile des années 1960, le Yémen était dirigé, depuis 1948, par un imam zaïdiste originaire de Saada. L'imamat a été la forme de gouvernement du pays depuis plus de 1 000 ans (avec certaines interruptions dues aux différentes occupations, ottomane et britannique). En septembre 1962, à la suite d'une révolution, l'imamat est renversé, un régime de militaires (aidé par Nasser) s'installe au pouvoir. L'imam se retranche dans son fief de Saada, au nord-ouest du Yémen. Il y aura huit ans d'une terrible guerre civile (de 1962 à 1970). Elle débouche sur la naissance de la République arabe unie avec Sanaa comme capitale, tandis que le sud du territoire tombe sous la coupe de l'URSS. La République démocratique et populaire du Yémen nait en novembre 1970, avec Aden comme capitale. Frustration La réunification des deux Yémen en 1990, sous la houlette de Sanaa, ne met pas fin aux frustrations des zaïdistes du nord du pays. Ils se sentent marginalisés par le pouvoir installé à Sanaa. Leur mouvement, Ansar al-Allah (les partisans d'Allah), se regroupe autour d'un guide spirituel, Badr Eddine al-Houthi. À partir des années 2002, son fils Hussein al-Houthi, député au Parlement yéménite, devient de plus en plus critique vis-à-vis de la politique pro-américaine menée par le président Ali Abdallah Saleh. Celui-ci, après le 11 Septembre, s'est allié ouvertement aux Américains dans leur lutte contre le terrorisme pour faire oublier que des combattants d'al-Qaida (dont un grand nombre de Saoudiens rentrés d'Afghanistan) se sont installés, nombreux, au centre du Yémen (province de l'Hadramaout) avec la complicité d'une partie du pouvoir. L'invasion américaine de l'Irak en 2003 suscite ouvertement des critiques de la part de Hussein al-Houthi. Lors d'une conférence, il incite les Yéménites à combattre l'hégémonie américaine dans le monde arabe et musulman. Des centaines de contestataires sont arrêtés. Au printemps 2004, al-Houthi prend la tête de la révolte. Il est tué en septembre et remplacé par son frère Abdel Malek al-Houthi. De 2004 à 2010, la rébellion houthie mène six guérillas entrecoupées de trêves et d'accords de paix, sans cesse violés. Farouches adversaires des salafistes et wahhabites À la fin de 2009, les Houthis contrôlent une large région montagneuse à la frontière de l'Arabie saoudite. La guerre s'étend chez leur voisin saoudien. Les zaïdistes, chiites, sont de farouches adversaires des salafistes et wahhabites, la version la plus rétrograde de l'islam, née en Arabie saoudite. L'aviation saoudienne les bombarde, sa marine organise un blocus des côtes du nord-est du Yémen avec l'aval du pouvoir central de Sanaa pour stopper les approvisionnements en armes. Parallèlement, l'Iran approche quatre navires de guerre des côtes yéménites, le tout sous la surveillance de la marine américaine. Cette guerre, largement méconnue, aurait fait environ 10 000 morts (depuis 2004) dont 130 militaires saoudiens. Le Printemps yéménite et le départ du président Ali Abdallah Saleh mettent en veilleuse la rébellion houthie. Les chiites participent à la contestation générale contre le pouvoir dans les différentes villes du pays. Ils attendent que le nouveau président prenne en compte leur revendication d'une plus grande autonomie de la région nord. Un plan de fédération du Yémen qui serait divisé en six régions est proposé en février 2014 par le nouveau chef de l'Etat, Mansour Hadi. Les Houthis le rejettent, estimant que ce plan les affaiblit et les prive d'un accès à la mer. Ils se mettent en marche et descendent sur Sanaa. Qui les soutient ? Longtemps seuls, les Houthis sont accusés par le pouvoir central et les Saoudiens de recevoir du matériel militaire d'Iran via l'Erythrée, sur la rive ouest de la mer Rouge. L'Iran s'en défend. Mais il est vrai que les Houthis et Téhéran ont les mêmes ennemis, pour des raisons religieuses : l'Arabie saoudite et al-Qaida. Ces derniers jours, des affrontements sérieux ont opposé, dans le centre du Yémen, des milices houthis aux combattants d'al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA). Le Yémen, pays de tribus, le plus pauvre du monde arabe, est gangréné depuis longtemps par la corruption, déstabilisé par al-Qaida, les tentations séparatistes du Sud et la rébellion houthie au nord. Le dernier coup d'Etat rend la situation inextricable. L'Arabie saoudite est tétanisée à la pensée d'un pouvoir houthi, donc chiite, installé sur son flanc sud. Au nord du royaume, l'Irak (au moins le sud du pays) est aussi dirigé par des chiites. On voit mal Riyad accepter que la rébellion houthie s'installe durablement à Sanaa. Même si le royaume doit appuyer en sous-main les opposants au risque d'une guerre civile.