Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, accusé par les défenseurs des droits de l'Homme de diriger un régime très répressif, a renforcé lundi l'arsenal antiterroriste par une loi d'exception qui vise selon ses détracteurs à museler toute opposition de même que les médias. Ce nouveau dispositif, décrété dimanche par le chef de l'Etat en l'absence de l'élection d'un Parlement, est mis en place alors que les attaques visant l'armée et la police se multiplient, commises essentiellement par le groupe djihadiste Province du Sinaï, la branche égyptienne de l'organisation Etat islamique (EI). La nouvelle loi ne change fondamentalement pas grand-chose concernant les lourdes peines et les pouvoirs exceptionnels de la police et l'armée déjà prévus par la législation antiterroriste que M. Sissi avait déjà durcie par des lois pénales instaurant des tribunaux militaires pour les civils ou interdisant et réprimant toute manifestation sans autorisation. Mais un article controversé prévoit une amende très lourde pour les journalistes et leurs médias, y compris étrangers, qui rapporteront des informations contredisant les communiqués et bilans officiels en cas d'attentats ou d'attaques. Le projet de loi initial prévoyait même la prison avant d'être adouci face à un début de bronca des journalistes. La loi controversée, publiée au journal officiel, instaure une amende pouvant aller de 200 000 à 500 000 livres égyptiennes (entre 23 000 et 58 000 euros) pour toute personne diffusant ou publiant de «fausses» informations sur des attentats ou attaques. Un dispositif qui vise aussi les réseaux sociaux, dans lesquels les voies dissidentes sont très actives. Intimider les médias C'est une manière, selon les défenseurs des libertés, d'intimider les médias internationaux très présents au Caire et d'achever de museler une presse égyptienne qui chante pourtant quasi-unanimement des louanges à Sissi et sa «guerre contre le terrorisme». Amnesty International avait qualifié dès juillet le projet de loi «d'attaque flagrante contre les droits à la liberté d'expression et d'association», «un outil de plus pour écraser toute forme d'opposition». La nouvelle loi prévoit par ailleurs la peine de mort pour les personnes coupables d'avoir créé, dirigé ou financé une organisation «terroriste», et la prison pour celles jugées coupables de promouvoir le «terrorisme». La «guerre contre le terrorisme» en Egypte est dirigée essentiellement contre les Frères musulmans, lesquels condamnent régulièrement les attentats. Les Frères musulmans avaient remporté toutes les élections après la chute du régime de Hosni Moubarak, emporté par une révolte populaire fin 2011 dans la lignée du Printemps arabe. Après que Sissi, alors chef de l'armée, a destitué en 2013 le président élu démocratiquement Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, le nouveau pouvoir a tué 1 400 de ses partisans qui manifestaient dans les rues, emprisonné plus de 15 000 Frères musulmans ou sympathisants et condamné à mort en première instance des centaines d'entre eux dont M. Morsi. Plus répressif que Moubarak En représailles à cette politique, qualifiée par Amnesty international et d'autres ONG de «plus répressive» que celle de Moubarak, des groupes djihadistes, dont Province du Sinaï, ont multiplié les attentats visant policiers et soldats, tuant des centaines d'entre eux en deux ans. Puis la branche égyptienne de l'EI a changé de stratégie en commençant à s'en prendre aux intérêts occidentaux. Elle a revendiqué un attentat à la voiture piégée le 11 juillet contre le consulat d'Italie au Caire, qui a tué un passant, et la décapitation la semaine dernière d'un jeune Croate travaillant pour une compagnie française enlevé à 22 km au sud de la capitale. Au lendemain de l'assassinat le 29 juin du procureur général Hicham Barakat dans un attentat spectaculaire au Caire, M. Sissi avait promis une législation plus dure «pour lutter contre le terrorisme».L'attentat avait été suivi le 1er juillet par une série d'attaques de l'EI contre des militaires dans la péninsule du Sinaï et l'armée avait été ulcérée parce que des médias occidentaux avaient contredit ses bilans, parlant de 21 soldats tués.