Le défunt colonel Kadhafi déclarait à une télévision turque le 7 mars 2011 (huit mois avant sa mort) : «La négligence sur la stabilité de la Libye entraînera l'effondrement de la paix dans le monde via la non-stabilité en mer Méditerranée. Dans le cas où notre pouvoir en Libye devrait s'achever, il y aurait un déversement de millions d'Africains clandestins en Italie, en France... » Et de poursuivre : «... et l'Europe deviendrait noire en peu de temps. C'est notre pouvoir qui bloque l'immigration clandestine. C'est grâce à nous qu'il règne la stabilité en Méditerranée, tout au long des 2.000 km de côtes libyennes. Nous empêchons l'immigration, le développement d'Al-Qaïda. Sauf pour ceux qui se sont faufilés jusqu'à présent ». Donc, si la stabilité de la Libye venait à être ébranlée, cela aurait immédiatement des mauvaises répercussions sur l'Europe et en Méditerranée. Tous seront en danger.» Cela dit, en février dernier à Rome le secrétaire général de l'Alliance, Jens Stoltenberg, a prévenu que « la détérioration de la situation en Libye pourrait déterminer de nouvelles menaces contre la sécurité européenne » et que « l'Otan doit être prête à défendre tout allié de ces menaces ». Il a donc annoncé qu'à partir de 2016 entrera en fonction à Sigonella le nouveau système AGS (Alliance Ground Surveillance) qui, avec des drones Global Hawk et d'autres instruments, permettra de surveiller une vaste zone, de l'Afrique du Nord au Moyen-Orient, en appui des opérations de l'Otan, notamment celles de sa « Force de riposte ». Le premier banc d'essai sera la Libye où, a dit Stoltenberg, « la situation est hors de contrôle » (en oubliant la guerre par laquelle l'Otan a démoli l'Etat libyen), mais où « l'Otan est prête à soutenir les autorités libyennes ». La campagne médiatique orchestrée par l'Otan pour venir en aide aux réfugiés qui se noient dans la Méditerranée n'est que le prélude à une intervention militaire en Libye. Les réfugiés ne sont ici que des alibis dont l'Alliance se soucie fort peu et il ne sera plus question des migrants embarquant depuis la Turquie. Identification, capture et destruction systématique des embarcations utilisées par les trafiquants d'être humains, démantèlement de leur réseau, séquestration de leurs biens : ainsi se résume la tâche de la mission PESD (Politique européenne de Sécurité et de Défense) que la Haute représentante de l'Union européenne, Federica Mogherini, est chargée de mettre au point. En Méditerranée il s'agit de repérer et détruire les embarcations, dans les ports libyens avant qu'elles soient utilisées par les trafiquants, ou de les capturer si elles ont déjà pris la mer. La mission PESD constitue donc le passe-partout d'une autre opération sous direction Otan, qu'on prépare en instrumentalisant l'hécatombe de réfugiés en Méditerranée pour créer une opinion publique favorable à une intervention militaire directe en Libye. Une opération qui, sous couvert « humanitaire », aura comme but réel de constituer une tête de pont en Libye, en occupant les zones côtières les plus importantes non seulement pour leurs ressources énergétiques, mais pour leur position géographique à l'intersection entre Méditerranée, Afrique et Moyen-Orient.