On le croyait perdu pour le football. Après plus de deux ans de blessures et d'inactivité, Mourad Meghni s'est pourtant relancé. Souriant et serein, l'ancien «nouveau Zidane» reçoit autour d'un diabolo citron pour faire le bilan d'une carrière décousue, entre surmédiatisation intempestive, blessures à répétition et bi-nationalité. Salut Mourad. Il y a encore deux mois, beaucoup de gens pensaient que tu avais arrêté ta carrière pour de bon... Moi, à la base, c'est vraiment à cause de mes genoux que j'ai arrêté. Cela faisait deux ans que je n'avais pas joué. Pas un match, rien. Après mon passage au Qatar, je suis revenu en France. J'ai recommencé à jouer au foot avec des amis, puis je me suis inscrit au club de Futsal de Champs-sur-Marne, qui est dirigé par mon frère Saïd. J'ai fait trois mois et ça m'a plu. Mes genoux tenaient, ça m'a rassuré. Tu as fait valoir ta technique ? Oui, mais le Futsal, c'est autre chose, c'est complètement différent. C'est super tactique, les gens n'imaginent pas. J'aimais bien la discipline, mais le fait d'avoir repris le Futsal m'a encore mieux fait comprendre à quel point le foot à onze me manquait. Quand le club sportif constantinois m'a appelé, je me suis dit que ça pouvait être une bonne idée de retenter ma chance. Comment se sont passées les négociations ? Les dirigeants ont vu que j'avais repris le football en salle et ils voulaient savoir quel était mon état d'esprit. Ils ne savaient pas si je voulais reprendre ma carrière. Moi, ça faisait déjà longtemps que j'étais retiré, personne n'avait mon numéro. Ils ont réussi à parler à mon frère par l'intermédiaire d'un agent qu'on connaissait, et ils sont remontés à moi. Au début, il y avait aussi le Mouloudia d'Alger qui me voulait, mais ils n'étaient pas très sérieux. C'était en mode «On te rappelle demain, il n'y a pas de problèmes», mais ils ne te rappellent pas. Derrière, ils t'expliquent qu'il faut d'abord qu'ils parlent avec le directeur sportif et le président. C'était pas clair. Avec Constantine, au contraire, tout était net et précis, du début à la fin. Pour toi, c'est un retour aux sources... Oui, mon père est algérien. Ma mère est portugaise. Jusqu'à mes dix ans, je venais tout le temps en vacances, dans un petit village à côté d'Alger. Je me suis toujours senti très lié à l'Algérie, mais aussi au Portugal. On allait dans un des deux pays tous les étés. Après 1994, quand l'Algérie a connu beaucoup de problèmes avec le terrorisme, on a commencé à privilégier le Portugal (rires). Entre deux voyages, tu grandis à Champs-sur-Marne. C'était comment ? C'était bien, je vivais dans un petit quartier assez tranquille. On traînait entre copains, comme tous les jeunes. On faisait du foot et c'est tout, il n'y avait que ça à faire. Dès que tu mettais la tête dehors il y avait un ballon qui traînait, ça jouait au foot tout le temps. Mais depuis que je suis rentré, il y a deux ans, j'ai remarqué que les jeunes font un petit peu moins de foot qu'avant. Ils sont plus sur leurs portables. Tu as longtemps été considéré comme un prodige. A quel moment as-tu compris que tu étais plus doué que la moyenne ? Au début, j'étais juste content de bien jouer, comme tous les enfants. Je me suis vraiment rendu compte que ça devenait sérieux en intégrant Clairefontaine. J'avais 13 ans. Quand tu commences à aller en équipe de France, forcément ça devient sérieux. J'ai passé trois ans là-bas, de très belles années, qui m'ont beaucoup fait progresser. L'ambiance était bonne. On est 25 joueurs à vivre ensemble 24h/24, donc forcément des amitiés se créent. Dans ma génération, il y avait Jacques Faty, Damien Perquis, Jean Calvé, Mickaël Fabre. Il y avait aussi Ludovic Sylvestre, qui a joué au Barça, il était super doué. On avait une très belle génération, mais malheureusement, tout le monde n'est pas sorti professionnel. Peu de joueurs ont vraiment percé. Tu étais le leader de cette génération. Tu as été le premier d'une longue liste de «nouveaux Zidane», bientôt rejoint par Meriem, Gourcuff ou Ben Arfa... Je pense que ça a toujours été là. Avant Zidane, les médias ont passé leur temps à chercher le nouveau Platini. Mais moi, c'est vrai que ça m'a marqué. Et ça m'a vite fatigué, cette histoire. De ton côté, tu t'identifiais à Zidane ou pas du tout ? Je vais pas mentir, un peu quand même. Il y avait forcément des similitudes. J'étais le n°10 de l'équipe de France des moins de 16 ans. On avait les mêmes origines, le même poste, des qualités plus techniques que physiques. On en rigolait entre joueurs. Ils m'appelaient Zizou, mais c'était entre nous. Forcément, j'étais flatté. J'étais jeune. On te promet une belle carrière. Mais d'un autre côté, je ne me suis jamais trop enflammé. Tout le temps, je me répétais qu'il n'y avait rien de fait encore. Tant que je n'avais pas joué en pro, pour moi, les compliments ne valaient rien. Quand est-ce que les médias ont commencé à te rabâcher cette comparaison ? Aussi loin que je me souvienne, c'est quand j'ai signé à Bologne, en 2000. Les médias ont commencé à en faire tout un flan. L'année d'avant, il y avait eu Jérémie Aliadière qui avait signé à Arsenal. Les journaux disaient que les clubs étrangers pillaient la formation française, que les jeunes talents se barraient. Quand je suis parti moi aussi, ça a été la goutte qui a fait déborder le vase (rires). A partir de là, j'ai très vite été médiatisé. Encore aujourd'hui, on écrit dans chaque article «l'ancien nouveau Zidane», il n'y a rien qui m'énerve plus. J'ai jamais rien demandé. ,Comment on résiste à une telle pression à seulement seize ans ? Je suis resté moi-même. J'essayais de ne pas trop faire attention. A la base, je suis quelqu'un de plutôt réservé. Dans ma famille, on est comme ça, des gens très simples avec les pieds sur terre. Au bout d'un moment, je ne me prenais plus la tête. Qu'on m'appelle Zizou, qu'on me compare, je n'y pouvais rien. Je me suis dit que l'étiquette était là et que je ne pouvais plus l'enlever. Tant pis. Un an après, les attentes et la pression à ton égard ont encore augmenté après le titre de champions du monde des moins de 17 ans... Cela a beaucoup joué, c'est vrai. Cela faisait longtemps que l'équipe de France n'avait pas gagné de titre. Aussi loin que je me souvienne, c'est vraiment à partir de là que les médias ont commencé à s'intéresser aux jeunes footballeurs, et à les médiatiser. Il y a eu ce fameux documentaire champions du monde, diffusé sur France 5... Pour moi, c'est un mauvais souvenir. C'est un reportage qui m'a vraiment fait du mal. Explique-nous... France Télévisions a voulu suivre les 17 joueurs champions du monde. Pendant toute une année, ils nous filmaient en train de vivre avec nos familles. Au final, ils ont décidé de ne garder au montage que trois d'entre nous : Jacques Faty, Mickaël Fabre et moi. A ce moment, j'étais en pleine renégociation de contrat avec Bologne, et Tigana me voulait à Fulham. Cela les a visiblement intéressés. En plus, j'étais le seul à jouer avec les pros à l'époque. Faty, lui, s'occupait de son mariage, il était en couple avec une Libanaise de confession musulmane. Sa mère est chrétienne, pour les médias ça faisait une belle histoire de famille. Fabre, lui, avait des problèmes avec la Fiorentina. Ils se sont dit que c'était un bon trio pour faire de l'audience. Qu'est-ce qui t'a blessé, alors ? Ils m'ont fait passer pour un mec qui ne s'intéressait qu'à l'argent. C'est vraiment à des années-lumière de ce que je suis réellement. Mais encore, si j'étais le seul concerné, ça irait. Seulement, ils ont aussi fait passer ma famille pour des gens intéressés. La journaliste (Véronique Houth, ndlr) qui faisait le reportage n'a reculé devant rien. Ma mère lui parlait très souvent, et forcément, elle s'ouvrait, elle ne se méfiait pas. A l'époque, elle travaillait comme femme de ménage dans un hôtel de luxe à Paris, le Georges V, et elle voyait souvent les stars. A un moment, elle parle à la dame, hors caméra : «Moi, c'est mon rêve, si mon fils un jour gagne beaucoup d'argent, j'arrête de travailler.» La journaliste lui dit quoi ? Elle dit à ma mère de venir avec elle faire un tour en ville. En mode : «Je voudrais que vous veniez avec nous pour faire les magasins, vous avez la même corpulence que ma mère et je voudrais lui acheter un manteau de fourrure avant de rentrer en France.» Ma mère lui dit non. A l'époque, elle ne pouvait pas trop marcher, elle était fatiguée. L'autre insiste, elle lui dit qu'elle va l'amener en voiture. Tout ça pendant que je suis à l'entraînement. Donc finalement, ma mère y va pour rendre service. Forcément, quand elle met le manteau, elle se regarde dans le miroir, et à ce moment, bien sûr, ils l'ont filmée. Au final, quand tu vois le documentaire, il présente ça comme si elle allait faire les magasins en mon absence. C'est pas très classe de leur part, mais il y a aussi ce moment bizarre où tu insultes un vieux... Attends, ils ont tout filmé pendant un an, des repas en famille, des après-midi entre amis ! Pendant un an ! Et ce qu'ils ont décidé de passer à la fin, c'est ce moment où on tourne dans un parking avec des potes pour trouver une place, ça fait une heure qu'on cherche. Et là, il y a un vieux qui nous grille la place alors qu'on attendait. Il y a une insulte qui part, et on retient que ça. Les petits banlieusards. Encore aujourd'hui, on m'en parle : «Eh, je me rappelle de toi quand tu passais le permis, quand ton frère il t'insultait.» Il faut comprendre comment tout ça est fait : je roulais, ils nous mettent un micro, ils nous filment de loin. Au bout d'un moment, tu as 17 ans, tu oublies que t'es enregistré. Et puis même quand tu percutes, tu te dis qu'ils vont pas passer ça, c'est trop nul. Et si, finalement, ils ne passent que ça. Tu es jeune, tu ne fais pas attention, tu te fais piéger. Depuis ce moment, j'ai vraiment un problème avec les médias. Entre les comparaisons avec Zidane et ce reportage à la con, c'était trop pour moi. Signer à Bologne, à l'étranger, c'était un moyen de t'évader, d'échapper à la pression ? Non pas vraiment. J'ai signé à Bologne, car à la base, j'avais signé un contrat de non-sollicitation quand je suis rentré à Clairefontaine. Je ne pouvais signer dans aucun club français, excepté Cannes. Mais à la fin de mes trois années à Clairefontaine, Cannes était en train de couler. Le club n'avait plus rien, ils étaient descendus, ils n'étaient même pas sûrs de pouvoir garder leur centre de formation. Moi, en attendant, j'avais beaucoup progressé, et je ne voulais pas avoir fait trois ans de formation pour rien. C'était le début de ma carrière, je voulais faire le bon choix. Ma seule solution, c'était de signer à l'étranger. Il y avait quelques clubs comme le Milan AC qui s'intéressaient, mais j'ai choisi Bologne. Je me suis dit que c'était un petit club où j'aurais ma chance. L'Italie m'attirait à ce moment-là, à l'époque, c'était le meilleur championnat. Tu n'as pas eu à regretter ce choix au final... Bologne, c'est mon club de cœur. Je n'oublierai jamais. Quand j'y retourne, ça me fait toujours de l'effet. J'ai grandi là-bas. C'était mon premier club, mes premiers pas en tant que professionnel. Quand je suis arrivé, on a directement gagné le championnat avec les jeunes, ce qui n'arrivait pas depuis les années Mancini. C'était le dernier titre qu'ils avaient remporté. Après notre victoire, j'ai intégré le groupe pro. Ensuite, j'ai passé dix ans en Italie, ce n'est pas rien. Cela ne s'oublie pas. J'ai fait pratiquement toute ma carrière là-bas, je suis très lié au pays et à la région.