Voici un nouvel album aux délicates saveurs aigres-douces «Freelestine» court sur quelques 80 pages dans des sentiers éperdus dans la guerre et le désarroi. Comment raconter un pan de cette Palestine trahie, guerroyant contre les impossibles alliances et souffrant tout seul dans l'amnésie des frères ennemis. Comment dire la guerre, la mort et les souffrances, quand seuls les mots, les images et les récits graphiques arrivent à mettre des mots sur les faits les plus têtus. Quelques personnes, des artistes se sont déjà livrés à ces exercices comme Joe Sacco et d'autres, mais cette fois, l'initiative vient de plus proche, en l'occurrence Samir Toudji à l'eternel Shangaï adolescent, à la mèche permanente et rebelle qui cette fois se révèle être un redoutable chef de bande lecteur des subversives chroniques du polémiste Marc Edouard Nabe si honni par la communauté juive du monde entier. Togui vient pour cette fois domestiquer la fine fleur de ce qui se fait en bande-dessinée sur la scène algérienne pour nous livrer en autoédition un album au titre criant «Freelestine » qui fait écho à cette sentence humoriste et tristounette, «Hagrouna sadiki». Ce sont donc les enfants terribles de la nouvelle scène dessinée algérienne qui se livrent à un délicat exercice de style destiné pour chacun d'eux, garçons et filles à raconter sa « Palestine » dans la plus grande dignité et aussi dans la modestie la plus élémentaire. Ils sont huit dessinateurs, chacun avec ses traits, chacun avec ses mots, pour traduire l'absurdité d'une guerre, la saloperie d'une colonisation et les aberrations en 2015 d'une politique construite sur le sentiment religieux, l'injustice d'un apartheid à l'impertinence construite sur le racisme et le déni de l'autre. Tout cela dans le sentiment d'impuissance le plus éloquent. Mais en finalité, l'éveil de cette impuissance est clairement entrepris par cette régénérescence trouvée on ne sait ou !? la révolte et l'esprit d'initiative pour pouvoir dire d'abord « Hagrouna sadiki ! » mais aussi, nous somme là, et plus jamais ça !!! Sur quelques pages, Nawel Louerrad, éternelle questionneuse devant l'eternel, met ses doutes et ses aspirations au service de ces causes universelles. La gente dame, les épaules un peu voutées, laisses ses traits limpides parler pour elle, investir le monde et mettre justement l'humain au milieu de toutes les questions. Bravo, touché-coulé !!! Pour Khawla Houria Kouza, la poésie en bandoulière, met la délicate mise en scène inversée pour rendre parallèle la question juive avec la question arabe, le procédé est connu, mais il gagne à être réutilisé, et si les Juifs étaient de l'autre côté, et si les Arabes étaient de ce côté !? Il serait probable qu'avec des « Si » on aurait fait la paix au Proche-Orient. Pour Dalia Si Ahmed les prémices d'un bombardement de ce sanctuaire qu'est la plage à Ghaza ne sont pas différents des autres espaces « de paix » que l'on a tous crus trouver ici et là entre les bombes indifférenciées de l'ennemi israélien. Une option choisie par Sofiane Belaksri qui s'inscrit dans le monde de l'enfance et de son impuissance face à cette avalanche de feu et de lave sur une population sans défense dans le mépris total de la moindre humanité. Le noir et blanc utilisé par Belaskri prend ici toute sa substance donnant à ses dessins une épaisseur inoubliable. Chafik Rouag n'est pas en reste avec sa bande intitulée, « The Deal» l'accord de ce partage ignoble d'une terre avec ses occupants originels dans une série de dessins au terrible humour noir. Amine Si Amer nous livre une aventure terrible, dédiée à la mère Palestine, et à tous les enfants des pierres qui ne se sont jamais laissé faire. Le trait est vivace et les planches flamboyantes de sincérité une belle série de strips qui par la couleur et la fougue tapent juste. Somar Sallam et Zaki Sallama, viennent nous donner la poésie qui manquait dans ces planches avec une histoire quasi autobiographique issue de la Syrie voisine avec cette quête migrante de la paix au-delà de la mer. Dessins subtils et compositions efficaces pour une série de planche que Togui veillera à dérider par sa « compréhension » toute personnelle du conflit israélo-palestinien. Voilà une œuvre qui tombe à point nommé pour dire à nos frères que leur cause est la notre, tout aussi simplement que cela. «Freelestine», album collectif, dirigé par Togui, avec Nawel Louerrad, Sofiane Belaskri, Kouza Houria Khawla, Samar Sallama Zaki Sallama, Chafik Rouag, Dalia Siahmad, Amine Siamer, autoédition, Alger 2015.