Le plasticien expose pour une quinzaine de jours quelques peintures bien senties. La Galerie Sirius, gérée par l'artiste Valentina Pavlovskaïa Ghanem accueille depuis le 13 novembre dernier l'exposition « Vendredi 13, Purification » de Karim Sergoua signant un retour en grâce après un moment de latence sur les cimaises. L'évènement nous propose aux regards quelque 21 peintures toutes aussi insolites les unes que les autres, souvent en diptyques, triptyques, quadriptyques, de formats divers et aux sujets franchement hallucinants. La première rencontre avec son travail se fait d'abord dans la fraîcheur d'un atelier entrepris comme une vieille zaouia aux contours étranges, Karim Sergoua prend au sérieux ses offrandes. Il s'agit de bouteilles d'eaux offertes au visiteur, de scènes dessinées sur des bouts de papier, de bâtons de pastels laissés ici et là. Un peu plus haut de ce lézard trop immense pour être oublié. Mais aussi de ces dates, sempiternelles, marquées ici et là. De cette peinture blanche qui couvre le tout, de ces jets violents lancés ici et ailleurs pour laver, nourrir, marquer ou évoquer par le geste ultime, le geste salvateur, la marque purificatrice, la sainte zébrure qui de par sa solennelle striure marque le début de la fin. Dans cette quête impassible des éléments, il arrive avec sous ses bras une kyrielle de couleurs, de compositions rapides, de gestes animés avec de nouveaux travaux. Dessinant ici un visage, traçant là-bas une nouvelle ligne, composant ici une nouvelle peinture...le bois aidant et le papier complice, Karim Sergoua, enfant des quatre éléments fils du feu et de l'eau, neveu d'Erzili et d'Isis qui laisse un pan de son histoire se déverser dans les relents de ses souvenirs inconscients. Il fait chaud dans ce minuscule atelier, comme dans une forge vulcanienne. Tout ici n'est que terre, eau et flamboyance pour cet artiste trop sérieux pour prendre au tragique les images qu'il concède à nous donner dans le secret de ses propositions esthétiques. Comment parler de son art, une peinture empirique, qui se laisse aller, prend à témoin des personnages, des silhouettes bonhommes, mystérieuses, qui s'en foutent d'être des hommes, des enfants ou des femmes, peu importe...le style est moderne, se laisse glisser naturellement vers l'élément contemporain, mais il se laisse envahir par des germes immémoriaux, on veut se laver le visage, mettre les mains dans l'eau pure, le geste vivace du début, prendre une giclée de chaux, et bombarder de nos croyances le mur innocent de nos largesses passées. Karim Sergoua, plasticien empirique, naturel, à l'emphase lancinante, reste amusé encore et encore par ce pouvoir qu'il a sur les autres, il rit de vendre ses peintures, s'étonne de les voir plaire aux autres, peut-être qu'il ne sait pas !? C'est sans doute sa chance !? Peut-être qu'il sait !? C'est aussi une chance ? Dans les deux cas le rire est mérité, la joie du partage est méritée. Sur le bois amical, le papier à verre a fait son œuvre, il laisse place aux espaces purificateurs qui éloignent le doute de la question et qui laissent le doute disparaitre dans les limites du sujet. Etres cornus, fantomatiques, laissant la lance prendre le dessus, personnages debout, assis, de dos ou de face, la symbolique est toujours aussi puissante, il compose la peinture, accompagne les personnages, augmente l'énigme et accentue le sensationnel. Les peintures sont ataviques, elles ne se posent pas de questions, refusent tout intellectualisme, penser à quel mouvement se réfère le plasticien pour se situer, peine perdue, on ne sait pas si c'est Aouchem, de la figuration libre ou autre forme d'art contemporain oubliée par les critiques d'art. Aujourd'hui, il s'assied sur un long tabouret, parle de ses réalisations, quelle matière a servi à celle là, ou a-t-il trouvé cette toile de jute. Pourquoi il aime celle là, pourquoi telle autre ne lui dit rien qui vaille. L'art de Karim Sergoua est organique, c'est un art vivant qui dans sa quête purificatrice aujourd'hui laisse une impression animée, vivante, enjouée, jamais indifférente au monde qui l'entoure et aux concepts qui le dirigent. J'avais compris cette quête de purification, c'était un quête de la forme pure, celle originelle, qui ne trompe ni le chaland venu passer du bon temps, ni l'intellectuel épris de nouvelles images. Elles sont des interrogations sur le leadership, le sacrifice et cette incapacité de nous soutenir mutuellement, s'interrogent sur ce qui nous lie, ce qui nous sépare dans le partage de ce que l'on a en commun. Les peintures en face de nous peuvent paraitre troublantes, trop mures pour nos yeux fatigués, elles peuvent amuser ou choquer, parler de ce papier gratté et peint et éteint dans sa force pour les limites colorées du Kraft, trop franc pour être beau, impossible à sublimer même avec les plus belles couleurs du monde. Peuvent nous amuser avec ces acryliques trop modernes pour devoir quoique ce soit à ce plasticien en quête de pureté originelle ou originale que sous d'autres cieux nous aurions appelé « vérité des choses. Dans cet opus vibrant, Karim Sergoua propose aux autres une série de «vérités » peintes, grattées, tatouées ou dessinées sur du bois, de la céramique, du papier...le tout est raclé, dessiné, torturé sur divers supports avec ce soucis ultime de nous livrer la « pure » vérité, la quintessence expressive dans une série de travaux qui se veulent dans la sincérité absolue. Les dialogues entrepris de longue date par le plasticien avec son œuvre nous donnent encore beaucoup à lire et à chercher dans ses espaces artistiques flamboyants de vérité. Quand la céleste dorure vient donner sa sacralité aux rouges indicibles, la vérité des choses n'est jamais très loin. Et il est probable que dans cette éloquence des choses, l'ami plasticien ait encore quelques bonnes vérités à nous dire, prenons notre désir à deux mains pour réécrire la pureté selon les nouvelles règles de l'art et s'en abreuver, juste pour le plaisir... «Vendredi 13, Purification» 2015, exposition Karim Sergoua, Galerie Sirius, 139 boulevard Krim Belkacem, Alger, entrée libre jusqu'à la fin du mois.