C'est sur la galerie «Sirius » (139, Boulevard Krim Belkacem, Alger) que Karim Sergoua a jeté son dévolu pour nous montrer ses oeuvres récentes, des compositions polytonales reflétant la richesse langagière d'un artiste connu et reconnu qui ne cesse de caracoler sur les adrets de la scène artistique depuis plusieurs décennies. Un artiste plasticien à la légitimité bien établie, omniprésente dans le champ culturel, assumant sans coup férir une ubiquité assumée qui fait de lui une figure représentative et très attachante. Il vient, avec un soupçon de l'apparente désinvolture qui le caractérise, offrir à notre délectation près d'une quarantaine d'oeuvres fédérées sous le titre, on ne peut plus ambigü, de « purification ». Une purification mise en scène, non sans une pincée de drôlerie avec des titres comme « Tendres purificateurs », un tableau représentant un trio de silhouettes intrigantes, menaçantes et vociférantes qui semblent sans conteste avoir oublié leur tendresse au vestiaire. Des personnages qui nous reviennent dans d'autres tableaux affublés d'autres titres tout aussi mystérieux comme « Purification colorée », « Autopurification », « Candidats à la purification », « Observateurs purifiés » etc. Purification, un « mot-signe » qui accompagne la plupart des tableaux que Sergoua a su assaisonner à d'autres sujets savamment intégrés à un ensemble plurithématique de bon aloi. Un ensemble qui exalte la richesse de la facture. Une facture qui a du tempérament. Caressant la part de petit prince qu'il y a en chacun de nous, Sergoua dessine. Pas des moutons. Il dessine, avec dextérité des signes. Des signes omniprésents dans le substratum de ses oeuvres, se manifestant souvent sous forme de prolifération envahissante occupant la totalité du support (toile, papier, bois, céramique et autres subjectiles), ou sous forme d'irruption ponctuelle charriant le génie que l'aléa introduit souvent avec le signe qui occupe une place opportune comme intrant constitutif de l'oeuvre. Cette constellation sémiotique, loin d'être surajoutée, comme elle l'est parfois chez certains artistes classés prétendument parmi les artistes du signe, loin de revêtir le caractère de gadget, d'ingrédient d'assaisonnement qu'utilisent d'autres plasticiens de la même veine, fait corps avec l'ADN du langage de Sergoua. Elle donne à son travail un « je ne sais quoi » qui n'est rien d'autre que du talent. Dans l'ensemble de ses oeuvres qui s'inscrivent dans le schéma d'une esthétique du sens, de la créativité de la poésie et de l'émotion, Karim s'exprime dans une « vocalise » qu'il a su, patiemment, quérir sur les sentiers de la non-figuration, du non-anecdotique, du non-démonstratif, faisant place à un jargon décomplexé qui impacte le support, quelle qu'en soit la nature d'une syntaxe, qui fait penser parfois aux « logogrammes » de Christian Dotremont, artiste belge contemporain, proche des surréalistes et cofondateur de Cobra, ou à A.R. Penck, artiste allemand, un des représentants majeurs du néo-expressionnisme, réputé pour ses tableaux peuplés de personnages archétypaux. Le langage archétypal de Sergoua n'en conserve pas moins son originalité, ses sujets puisant leur sève dans un fonds identitaire patrimonial évident, générant une graphie endogène. Nous ne pouvons nous empêcher de succomber, à ce propos, à l'évocation d'une assertion de Bernard Blissière, directeur des musées de Marseille, lors de l'inauguration d'une rétrospective de l'Américain Jean-Michel Basquiat : « Les toiles parlent toutes les langues, attrapent tous les mots. La parole s'y rythme et s'y diffracte comme autant de tags...Dans la collision du temps, il faut voir la peinture de Basquiat et savoir l'écouter ». Nous ne pouvons éviter de faire suivre cette fulgurante saillie de plusieurs autres que nous suggère cette exposition cousue d'inventivité et d'à-propos. Du Californien John Baldessari par exemple : « Il faut constamment réinventer le langage ». C'est ce que fait avec subtilité Sergoua qui donne également raison à Nicolas Schoffer, un des inventeurs de la sculpture spacio-dynamique, quand il précise que « le rôle de l'artiste n'est plus de créer une oeuvre, mais de créer la création », ainsi qu'à César qui clame « Je suis ce que je suis, je suis mon travail ». Ou au Franco-Hongrois Pierre Szekely quand il déclare : « Ni figuratives, ni abstraites, mes sculptures sont significatives ». A Georges Braque, enfin, qui nous avise « qu'un beau tableau n'en finit pas de se donner ». L'oeuvre de Karim n'en finit pas de se donner ou, plus précisément, de donner à voir et à écouter à l'aune d'un langage allégorique intransigeant et abrasif, les messages de la vie de tous les jours qu'aucun discours ne saurait diffuser. « Artistes, donnez-nous donc des fêtes » demandait à ses contemporains Rainer Maria Rilke, célèbre écrivain autrichien qui fut, entre-autres, secrétaire de Rodin. L'exposition à laquelle nous a conviés Sergoua en fut une. Grande. Elle a rassemblé, en ce vendredi 13 novembre, à 15h13 -notons la précision de la temporalité- beaucoup de monde : des artistes, des collectionneurs, des institutionnels, des journalistes, des enseignants et des étudiants des Beaux-Arts, des cinéastes, des architectes, des parents avec leurs enfants (ce qui est remarquable), des galeristes (et ils étaient nombreux, ce qui est une sacrée gageure) ainsi que des gens, beaucoup de gens venus de partout. Ils étaient tous là, au seuil et à l'intérieur de la galerie « Sirius ». Pour voir, lire et apprécier. C'était une fête. Oui, une fête Monsieur Rilke, avec la puissance de l'émotion qu'une fête peut charrier. P.S. : Au fait, Karim, « Purification» quésaco ?