Depuis le 5 décembre 2015, le palais de la culture Mohamed-Laïd-El-Khalifa accueille une rétrospective de l'oeuvre peint de Sadek Amine-Khodja. Cette monstration nous a offert le privilège de scruter le travail structuré et fructueux d'un artiste qui a si bien su investir dans la qualité et la permanence d'une production abondante et diversifiée. Les entretiens qu'il a bien voulu nous accorder dans son atelier quelques jours avant le vernissage nous ont donné l'occasion de saisir le profil d'un plasticien affable et d'une généreuse modestie. Durant sa longue et fertile carrière, Sadek Amine-Khodja a su éviter les ornières de certains langages picturaux endémiques caratérisés par une sémiotique élimée palement justifiée par un caractère plus ou moins légitimant. Il a su également ne pas s'embourbrer dans un post-modernisme qui n'en finit pas de décliner. Il doit ce cheminement sécurisé à sa culture qui lui a permis de se projeter sur les pentes d'une recherche des plus valorisantes par son inventivité et son discours. Sa formation -il est historien de l'art contemporain, diplômé de deux universités françaises, Paris X pour cette spécialité et Paris VIII pour l'esthétique et les sciences des techniques- et son profil d'universitaire -il est directeur de l'Ecole des Beaux-arts de Constantine- y sont pour beaucoup. Tout en érigeant patiemment et sûrement une oeuvre équilibrée, riche et diversifiée, il a transcendé dans chacun de ses tableaux les charriages mnémoniques d'un vécu qu'il s'est évertué à restituer à merveille à l'aune d'un professionnalisme sincère, prégnant d'intuition et de vérité. De justesse. Le tout nourri de simplicité et de sage tranquilité , loin des layons corrosifs d'une doxa velléitaire. Avec assiduité, il a su vivre à travers ses travaux une modernité décomplexée. Une contemporaneité. Contemporaneité ! Mot difficile à définir. Pour les historiens de l'art, c'est dû au déficit de recul pour en appréhender les tenants et les aboutissants. Pour les regardeurs, les difficultés d'interprétation et d'appréciation qui en émanent sont dues au polymorphisme et à l'élitisme tapageur et mondain qu'on lui reproche. Car, l'art contemporain on en connaît certains rivages mais on n'en retient souvent que les dérapages. Autrement dit, si on en appréhende laborieusement les rives, on en retient, le plus souvent, plutôt, les dérives que la spectacularisation marchande et événementielle ne se lasse guère de développer. Sadek Amine-Khodja vit au diapason de la contemporaneité dans ce qu'elle a de sage, de créatif, s'abstenant de toute outrance dans le discours et de toute exentricité. Il s'inscrit dans le giron d'une esthétique de la création poétique. Il a juré de nous émouvoir comme promettait Georges Bernanos dans son temps. Il le fait en adoptant une facture qu'il a été quérir sur les chemins de la non-figuration, du non-anecdotique, du non-démonstratif. Il est adepte d'une gestuelle qui sait diffuser du sens dans un tempo patiemment et pertinemment orchestré. D'une dynamique équilibrée qui peut paraître parfois indolente mais qui sait polariser un langage tonitruant, spectaculaire, expressionnisant. Ce langage est souvent empreint de subtilité laissant le discours à la matière et à la couleur, deux intrants codifiants de la grammaire picturale. Les exemples pour l'illustrer ne manquent pas. Il y a -pour nous exprimer de manière « apollinairienne »- Pierre Soulages dont le nom surgit ipso-facto, qui catalyse de façon spectaculaire le lyrisme des charriages chromatiques subtilement orchestré. Il y a Yves Klein dont l'illustre IKB (Yves Klein Blue), bleu outremer profond, a marqué les esprits dans les années 1950-70 notamment quand il maculait de façon théâtrale des corps féminins dans ses fameuses performances malicieusement baptisées « anthropométries ». Il y a, dans la même veine, l'Américain AD Reinhardt, adepte inassouvi du noir qui n'hésite pas à qualifier ses peintures de « hors du temps, sans souffle...sans vie » et qui considère que « la règle première et absolue de tout art authentique c'est la pureté ». il y a Robert Ryman qui n'a eu de cesse de catalyser le blanc dans toutes ses nuances ainsi qu'Ellsworth Kelly, figure influente du Hard Edge dont les protagonistes ont axé leurs recherches sur les amalgames optiques visant la dépersonnalisation et la désubjectivisation des formes, s'inspirant de la technique des papiers découpés de Matisse qui visaient à une harmonisation des formes et des couleurs. Il y a l'irruption, dans les années 1970, du langage du monochrome qui a imprégné la grammaire visuelle aux Etats-Unis ainsi qu'en Europe où l'Allemand Gerhard Richter s'investit dans la spectacularisation de l'oeuvre par la pertinente combinaison du noir et du blanc. De même qu'il y a le roi du « Color Field Painting », Mark Rothko qui voue un culte particulier à l'infinitude et qui n'en finit pas d'essayer de « rendre la peinture aussi poignante que la musique et la poésie » et qui confie, dans une assertion paroxymale : « Celui qui pleure devant mes peintures connaît la même expérience religieuse qui est la mienne quand je peins ». Une façon de donner dans un certain mysticisme. Il y a enfin le philosophe et plasticien Robert Mothewel, une des balises qui jalonnent l'Expressionnisme abstrait, qui développe une théorie poétique du vide méthaphysique qu'il décline en d'immenses formats en couleur (les Open). On ne peut résister à la tentation de citer une de ses pensées : « Tout peintre intelligent porte l'ensemble de la culture picturale moderne dans sa tête : c'est son véritable sujet, et tout ce qu'il peint est à la fois un hommage et une critique, et tout ce qu'il dit est une glose ». Parole d'artiste philosophe ! Cette assertion s'applique sans conteste à tout plasticien qui, comme Sadek Amine-Khodja, ne se départit jamais de sa curiosité cognitive qui lui fait entreprendre, avec constance des recherches cousues de pertinence. Il poursuit ses investigations sans coup férir dans une culture de l'assiduité, de la continuité. Il ne fait pas que chercher, il trouve (pour rappeler le mot de Picasso). Le résultat se niche dans sa manière d'épaissir les supports, de leur donner du relief en y intégrant des matières de récupération comme les bas en nylon et les sacs en plastique qui apportent un plus à l'expressivité des oeuvres de par leur consistance, leur couleur, leur souplesse, leur malléabilité, leur solidité et leur longévité, qualités endogènes qui représentent un incontestable enrichissement de la facture. La déclinaison de l'oeuvre passe par la technique du collage, cet outil pictural majeur, inventé à Cuba au XIXe siècle dans une usine à tabac, réinventé notamment au début du XXe siècle et qui n'a pas cessé de traverser tout ce siècle depuis les dadaïstes et les cubistes suivis sans discontinuer et régulièrement par de nombreux mouvements et d'individualités aussi prépondérantes que Matisse (papiers découpés), Schwitters, ARP, Ernst, les surréalistes, Hains (affiches décollées et recollées), Villeglé, le Pop Art, Rauschenberg (combines painting), etc...L'assemblage et le collage ont été une manière très poétique de dire les choses, ils ont été adoptés et adaptés à toutes les sauces par d'innombrables plasticiens dans le monde entier de même qu'en Algérie où ils n'ont plus de secrets pour les artistes locaux. Dans la même dynamique Sadek Amine-Khodja, poursuivant ses investigations, réinvente le collage à sa manière en miniaturisant, soumettant par exemple des diapositives à de subtiles manipulations comme par exemple d'y intégrer des collages de poils et de cheveux glanés sur sa propre personne. Ces diapositives ont été numérisées et projetées sur écran géant de télévision. Géant. Apothéose qui a retenu unanimement l'intérêt de la foule de visiteurs. Un audacieux et inédit geste pictural qui ne s'éstompera pas de sitôt des mémoires. (Suivra) Artiste plasticien, critique d'art