Le MaMa déploie ses cimaises à un groupe de six artistes comptant parmi ceux qui animent la scène artistique depuis les années 1970. Leurs noms ont souvent défrayé la chronique, l'illustrant par une permanente présence et une visibilité récurrente que ce soit au niveau institutionnel ou privé, national et international. M. Mohamed Djehich, directeur du MaMa et commissaire de l'exposition, a procédé à un casting représentatif, complémentaire et légitime qui donne à voir et à apprécier un sampling opulent et judicieux qui conjugue de manière harmonieuse des expressions diverses, variées, caractérisées, des techniques identitaires de chacun des exposants et des discours remarquables par leur consistance. Leur notoriété dûment méritée leur donne le caractère d'une familière permanence médiatique, assez évidente pour justifier leur première apparition au MaMa, devenu depuis son inauguration un des lieux emblématiques des arts visuels algériens. Son agenda a déjà été émaillé par des expositions de haut niveau qui nous ont permis d'apprécier les travaux de grosses pointures de la culture tant nationale que mondiale. Son rayonnement s'inscrit progressivement et sans aucun doute dans le concert des Musées du Monde où il commence déjà à brasiller. Les six artistes qui en font actuellement l'actualité ont baptisé cette monstration «A6», formule alchimique vertueuse dont la magie opère de manière spectaculaire dès qu'on franchit le pas du MaMa, formule en jeu de mots qui met en équation, respectivement «A+A+B+N+O», soit dans l'ordre alphabétique Amine-Khodja Sadek, Arezki Larbi, Bourdine Moussa, Djemaï Rachid, Nedjaï Mustapha et Oulhaci Mohamed. Amine-Khodja Sadek : la rhétorique des guenilles Actuellement directeur de l'Ecole régionale des beaux-arts de Constantine, Amine-Khodja Sadek est passé par l'établissement qu'il dirige, puis par l'Ecole supérieure des beaux-arts de Paris pour couronner son cursus universitaire par Paris X où il obtient un doctorat en histoire de l'art moderne. Il présente à notre délectation un ensemble homogène de 21 tableaux en technique mixte à base de collage sur toiles de format moyen (100 cm x 90 cm). Si La Fontaine se «servait d'animaux pour instruire les hommes», Amine-Khodja Sadek utilise dans ses collages des matières insolites (bas déchiquetés, morceaux de sacs en plastique, matières organiques comme des cheveux de femmes…) que son athanor magique transcende dans son «combat pictural» difficile et aventureux. Et si, dans sa boîte à outils il a privilégié ce modeste vocabulaire, qu'à cela ne tienne, il a su étrenner l'idiolecte légitime d'un alchimiste subtil et facétieux. En cela, il emporte notre adhésion de regardeur émerveillé car ses toiles portent en elles une tessitude grave, celle d'une pertinente graphie de la «permanence». Ce discours des bas, discours-débat s'il en est, est celui des piémonts d'une sémantique étrangement volubile. Des bas qui perdent leur fonctionnalité, leur «ustensilité», oserait-on dire, en empruntant ce néologisme à Bertrand Lavier. Des bas qui portent en eux le charriage d'un certain vécu, celui des pieds, symbolique de la marche, celle de l'homme (donc de la femme) vers son destin, celle aussi inexorable de la fuite du temps. Ce langage du textile déchiqueté par les vicissitudes existentielles qui rencontre parfois le même tableau, celui des sachets en plastique noir, de cheveux féminins et même de bas de laine rouges (sans jeu de mots). Par la dimension tactile de la texture, la sobriété du langage, l'économie des arguments plastiques et esthétiques, Amine-Khodja réinvente le discours au diapason, humble, de l'humain. Car, comme il le mentionne dans une citation glanée dans son texte d'accompagnement inséré dans le catalogue général, «ces bas de femmes nous ramènent à notre condition humaine, à la matérialité et à l'immanence du corps». Et c'est souvent dans la sobriété cursive dans l'élagage des enchevêtrements superfétatoires que gît la projection qui nous mène vers nous-mêmes. Vers cette condition humaine précisément qui, de jour en jour, décline inéluctablement vers une certaine forme de déshumanisation. Arezki Larbi : une pictographie de l'absurde Arezki Larbi offre à notre regard et à notre cogitation une installation polymorphe en quatre parties complémentaires dont la première est un tableau de 2,5 m x 1 m, constitué de damiers traités en polychromie selon une technique mixte combinant dessin, peinture et collage intitulée «Route barrée». Ce premier élément de l'ensemble ouvre l'itinéraire du visuel qui nous accueille par une citation d'un poète qui n'est autre qu'Arezki Larbi lui-même : «La peinture devient belle quand elle n'a plus de sens», exergue d'un texte joint au catalogue général, texte opulent par son étonnante rhétorique dont nous avons retenu cette tonitruante objurgation adressée à ceux qui «avancent dans le poème avec le bas-ventre des mots». L'incohérence voulue du collage et l'articulation des différents subjectiles n'ont d'égale que celle de la signalétique profuse encombrée de flèches, de pictogrammes désordonnés colonisant d'improbables damiers approximativement déclinés, allant dans tous les sens, dans toutes les directions et développant une sémantique de l'absurde pleine de fantaisie et d'ironie. La deuxième partie est composée d'une surface murale noire de 12 m sur 2,40 m, tapissée de toiles déclinées en acrylique noire, compartimentée en trois séries superposées de douze plaques chacune de 1 m x 0,80 m également, aussi peintes en noir et maculées de pictogrammes de circulation routière ou autres peints de différentes couleurs et agencées de manière aléatoire. La troisième partie de même consistance et de même configuration thématique comporte six plaques de même format (1 m x 0,80 m), avec chacune son pictogramme peint de différentes couleurs et même en noir. La quatrième partie est composée d'un module de quatre tableaux noirs de 1 m x 0,80 m, assemblés en carrés noirs à la manière des compositions abstraites monochromes de l'Américain Ad Reinhardt, l'un des annonciateurs du minimalisme et du conceptualisme dans son pays. Et quand, à la fin de cet itinéraire plus ou moins suprématisant, on lit les titres de ces compositions («Possibilité des chemins» et «Vers où…»), on subodore le contenu de toute cette combinatoire sémiotique. On en saisit quelque peu la symbolique, celle d'un champ conceptuel et sémantique oblitéré, invalidé, subverti, disqualifié. Celle, consécutive d'une société déboussolée, ataxique, anomique, en déréliction avancée. Une société où les codes sont corrompus et où tout ce qui était destiné à donner sens fonctionne à contre-sens. Et c'est alors, pour répéter Arezki Larbi, que «la peinture devient belle quand elle n'a plus de sens». Dans un monde dépourvu de sens, l'œuvre qui nous est présentée ne peut être à l'évidence que d'une extrême beauté. Bourdine Moussa : un verbatim poétique des gens Pour cet infatigable et prolifique magicien de la palette qui caracole depuis les années 1970 au hit-parade des arts visuels algériens, exposer au MaMa est une légitime consécration. Moussa – qui ne connaît pas Moussa ? – a exposé une multitude de fois tant en Algérie qu'à l'étranger et il ne compte plus les manifestations qui l'ont intégré dans leur casting. C'est une toute mini-rétrospective de son œuvre colossale qu'il présente et où il décline toutes sortes de sujets tant figuratifs, semi-figuratifs, abstraits, semi-abstraits, hybrides…Tout un éventail de merveilles fragrantes de présence. On découvre la verve tranquille qui caractérise son travail dans chacun des tableaux de grand format ainsi que dans ses tableaux sous verre qui brillent d'une attachante proximité. Ces œuvres, au nombre de 23 (8 techniques mixtes sur toile d'environ 1,20 m x 0,90 m et 15 sur papier et divers supports similaires de petites dimensions), présentent un sampling significatif de toute sa dextérité. Elles sont toutes sans titre, ce qui n'est pas surprenant quand on connaît les arguments de Moussa. Il estime, en effet, que titrer un tableau c'est l'encombrer d'un artifice qui n'ajoute rien à son aura. Il sait qu'entre le regardeur et l'œuvre s'insinue un espace de silence qu'il ne faut perturber par aucun ajout superfétatoire. Il est convaincu que l'artiste est dans son rôle, non pas en baptisant l'œuvre, mais quand il la peaufine et la rend causante de par ses qualités intrinsèques. Et le diapason, quand il vibre, n'a pas besoin d'un tempo discursif pour être saisi. (A suivre)