Pour sa nouvelle exposition, Noureddine Chegrane a jeté son dévolu sur le site emblématique des DEUX BASSINS à Ben-Aknoun à l'enseigne des « Ateliers bouffée d'art et galerie ». Cette jeune galerie qui fonctionne selon un judicieux concept de formation et de diffusion savamment mis en œuvre par Mme Djazia Mokhfi, sa directrice, qui a su alterner deux fonctions complémentaires, est un jalon qui ne manquera pas d'apporter une bouffée d'air dans le paysage artistique du pays. Du côté de «Chez Grane» C'est donc au tour du plasticien Chegrane d'y exposer en solo du 15 novembre au 6 décembre 2014. Il y montre pas moins d'une cinquantaine d'œuvres de différentes dimensions et de toutes techniques (acrylique, huile, aquarelle, pastel, technique mixte, encre de Chine) et exécutée sur des supports diversifiés parmi lesquels une improbable planche à laver judicieusement recyclée et fraîchement sortie d'une récente cuvée chegranienne. Les thématiques abordées sont diversifiées, elles ne décrivent pas, elles écrivent la « nostalgie », « la causet- te », « la visite » , le « départ », « le couple » « les danseuses en mouvements », « la fête de l'olivier éternel (référence au terroir), « la lumière », « les mirages » ainsi que « l'action signe » formule qui qualifie très bien son langage artistique comme le terme « Action painting » avait qualifié le travail de Jackson, Pollock ou l'expression « Art informel » si bien représentée par Soulages, Mathieu, Franz Kline et parfois même Willem De Kooning. On pourrait y ajouter certaines caractéristiques du jargon de Basquiat. Une rhétorique du signe Chegrane est réputé pour n'avoir de cesse que de perpétuer l'une des rhétoriques qui ont fait la réputation de certains artistes ou groupes d'artistes des premières décennies de l'Algérie indépendante. Une rhétorique qui fait de lui un continuateur invétéré de cette tendance mais aussi et surtout un vaillant qui a inscrit son travail dans une permanence régulière qui n'a jamais été démentie. Les cinquante œuvres exposées brasillent par leur caractère identitaire où le signe est resté chevillé à l'ADN de leur auteur. Une permanence qui a su véhiculer un charriage torrentiel de l'expression du signe, par le signe, pour le signe. Une sémiotique devenue atavique chez cet infatigable crapahuteur des sentes du paysage culturel national qui ne s'est jamais éclipsé de la scène des arts visuels depuis les années 1970 qui l'ont vu se convertir à un idôlecte dont il ne s'est jamais départi. Pour le bonheur des regardeurs qui, malgré l'apparente et vertueuse redondance de ce langage, savent apprécier le perpétuel renouvellement que notre artiste a su lui imprimer. Un renouvellement qu'il sait transcender dans son athanor de poète magicien de la gestuelle graphique et d'une grammaire chromatique empreinte d'un flamboyant baroquisme. Les personnages de Chegrane, judicieusement silhouettés et parfois même seulement suggérés, content les soucis de leur quotidienneté, la mélancolie du départ, la nostalgie des années révolues, ils racontent tout et n'importe quoi dans une singulière et pétulante pictographie. Une gestuelle suggestive décomplexée Le travail de Chegrane s'apparente de manière éclectique à celui de l'art informel mais en aidant à la lecture plastique par une gestuelle beaucoup plus suggestive que descriptive. Les œuvres sont à l'évidence le réceptacle de pulsions émotives. Il s'agit, pour le peintre, de donner à lire une visualisation de l'immédiateté subjective transcendée dans une violence gestuelle sous-tendue par une palette fiévreuse qui accentue la dimension éruptive du propos. Il est fort opportun de ne pas cloisonner Chegrane dans un cliché éculé qui en fait trop brièvement un artiste du signe. Il n'est pas uniquement cela, il est un artiste de son temps qui a vibré au diapason de l'évolution de la peinture universelle, notamment celle qui a caractérisé les dernières décades du XXe siècle. Le langage chegranien ne se départit jamais d'une dynamique structurante propre conférant à ses sujets une frénésie qui semble exprimer tout à la fois une certaine joie, parfois maîtrisée de colère que souligne si bien la gesticulation bondissante de ses personnages laquelle gesticulation interpelle le regardeur dès le premier abord par l'impact de sa spontanéité. Cela ne l'empêche pas d'être toujours équilibrée et pertinente avec une audacieuse manipulation de la palette. Une palette dont Chegrane régule à la perfection le tempo. Ce faisant, il rejoint quelque part la nébuleuse des artistes néo-expressionnistes qui se sont tant distingués par leur lyrisme gestuel et le foisonnement des signes conjectionnants de certaines de leurs compositions. Ce n'est d'ailleurs pas la seule caractéristique de son travail. Il a très bien su s'évader de certains sentiers battus pour se laisser séduire par l'influence de certains artistes contemporains de renom tel Soulages comme dans le merveilleux tableau intitulé « Action Signe II » (acrylique de 80x80) où il utilise des mixtures de sa propre alchimie où le brou de noix se mêle à d'autres matières dont il ne cache d'ailleurs pas la formule. Générosité quand tu nous tiens ! Ce qui est loin d'être blâmable car, comme le précise l'Américain Ad Reinardt, un des précurseurs du minimalisme et du conceptualisme : « l'art vient seulement de l'art et ne vient pas d'ailleurs. Le peintre procède seulement des autres peintres et c'est vrai pour toute l'histoire de l'art à l'Est comme à l'Ouest ». Un acte décompressif Le geste pictural devient chez Chegrane un acte décompressif, éruptif, brut de décoffrage transcendé dans un langage qui se veut l'expression de pulsions abyssales expectorées dans un surgissement « pictoral » libérateur. Une expression existentielle arpentant les abrupts d'une intériorité compulsionnelle « qui se termine par un tableau acceptable » (pour reprendre une assertion due au peintre danois ASGER Jorn). Cette exposition nous offre l'occasion de nous délecter de quelques notes de la vaste prosodie qu'est l'œuvre de Chegrane pour qui la création et la production sont les ressorts de ce grand jeu auquel il nous a habitués : la peinture. Ça se passe à la galerie « Les ateliers bouffée d'art » sise à Ben Aknoun, résidence Sahraoui, les Deux Bassins et ce, jusqu'au 6 décembre 2014.