Depuis le 5 décembre 2015, le palais de la culture Mohamed-Laïd El-Khalifa accueille une rétrospective de l'œuvre de Sadek Amine-Khodja. Sadek Amine-Khodja, comme la multitude de ses contemporains de par le monde, l'ont fait et continuent de le faire, privilégie le travail sur la couleur notamment sur le noir. Une couleur souvent contestée en tant que telle, qui demande une appréhension particulière du fait de sa singularité dans la galaxie chromatique. En dehors de l'aspect contemplatif qu'on lui attribue souvent de façon pertinente, elle s'impose par la puissance de son impact qui nous catapulte le plus souvent dans un noir rétinien flamboyant au gré des rais de lumière qui le révèlent. S'imposent souvent dans le concert euphorique des sujets traités, des silhouettes allusives dont la lecture n'est décryptée qu'en ayant à l'esprit les personnages qui peuplent les récits des pérégrinations tant géographiques (touristiques) qu'historiques que se plaît à évoquer Sadek Amine-Khodja. Des silhouettes, hiératiques souvent qui nous rappellent les graphies du tifinagh, poutre maîtresse de l'héritage identitaire. Un héritage qui interpelle la permanence de l'identité et donc des ancêtres. Permanence dont ne se lasse guère de nous entretenir l'artiste. Et c'est la couleur noir qu'il mobilise pour ce faire. Cette couleur noire embrassée, adoptée, épousée intuitivement pour la nature de son intemporalité, dont Sadek Amine-Khodja ne cesse d'être habité. Elle est mobilisée pour être dévolue à la narration mémorielle qui remonte à la nuit des temps. Cette permanence chromatique est déclinée dans un lexique visuel subtil qui va quérir sa légitimité dans la graphie identitaire comme si l'écriture plastique se transfigurait en chorégraphie tutélaire. Mouvement et moment qui ne cessent de se reconstituer, de recommencer. L'artiste sait qu'en création, les commencements, comme les recommencements, ne sont pas dociles, ils sont indomptables et ils échappent à toute logique. La sente qui y mène est damée de solitude, une solitude difficile à apprivoiser. Mais Sadek Amine-Khodja est réfractaire à la solitude. Quand il est dans son atelier, il n'admet de compagnie que celle de la « solitude », néologisme synonyme d'isolement physique mais pas intellectuel. Car dans cette retraite nécessaire, studieuse et féconde, il retrouve ses œuvres en cours de réalisation et sa bibliothèque devenus « auto-pinacothèque » encombrée dans l'heureux et chaleureux amoncellement d'une grande partie de ses tableaux. Dans l'intimité de cet antre retrouvé, reprenant le travail, il ne peint pas ce qu'il voit mais ce qu'il pense, ce qu'il imagine. Le langage pictural et esthétique qu'il décline, malgré la singularité qui le caractérise ne l'est jamais au mépris de la limpidité, de la consistance, de l'élégance et de la puissance. Ce qui concède au regardeur le savoureux loisir de décrypter les subtilités de l'approche grammaticale utilisée. Certaines œuvres peuvent présenter une certaine aridité de lecture, elles n'en recèlent pas moins un contenu de subtilité et d'évidence, une sagacité facilitant le décryptage. L'art contemporain n'implique nullement d'être initié car la sensibilité et l'émotion n'exigent pas de mode d'emploi ou une quelconque initiation. Les œuvres de Sadek Amine-Khodja recèlent suffisamment d'indices cognitifs évidents qui en facilitent la compréhension. Il arrive cependant, comme pour bien des tableaux d'autres artistes, que le regard fait dire aux œuvres ce qu'elles n'ont pas envie de dire. Porteuses d'évocations mémorielles souvent nostalgiques, ce sont à l'évidence les précisions données par l'artiste ou les cartouches et documents divers mis à disposition qui mettent le regardeur sur la voie de l'interprétation. Les œuvres monochromatiques de Sadek Amine-Khodja sont toujours assez disertes quand elles sont maculées de fulgurances de couleurs multiformes, introduisant une prégnante poésie dont la pertinence insinue une puissance opportune qui déclame un refrain à la vénusté. Cette vigueur plastique s'implique et interfère avec son étiage d'équilibre qui fait d'un tableau un visuel habité de beauté et de vitalité. Un quelque chose qui fait dire à Maurice Denis, l'un des éminents théoriciens du mouvement Nabi (Post-impressionnisme de la fin du XIXe siècle) « qu'une œuvre d'art n'est pas une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ». Une œuvre d'art, c'est de l'émotion. Et l'émotion est au commencement avec le regard, elle est également à la fin à la coagulation d'une opération cognitive bien souvent fugitive. Faire du premier coup et d'un geste juste ce qui est dûment nécessaire, là est le secret de l'artiste qui maîtrise l'effet insaisissable sur le point d'advenir. Et c'est quand ça a l'air « éternel » que ça fonctionne. C'est là, un processus subtil que le plasticien cultive patiemment dans son athanor de magicien. Une assertion nous vient fort à propos pour illustrer notre idée. Elle est de l'artiste plasticien et théoricien contemporain Louis Cane : « L'individualité de l'artiste est le noyau de l'œuvre, son principe organisateur ; si on lui assigne, il perd toute valeur. Il faut qu'il peigne comme il sent. C'est le triomphe du moi, et du plaisir ». On n'assigne pas à un artiste, comme Sadek Amine-Khodja. Il s'assigne à lui-même. C'est son Moi qui s'impose. On retrouve là, le caractère d'un artiste toujours égal à lui-même. Quand l'inspiration lui joue des tours, lui faisant des infidélités en s'éclipsant momentanément, il finit toujours par la séduire pour la conduire sur la sente d'une intériorisation où se rejoignent toujours des bribes de son vécu qu'il restitue dans l'opulence d'un langage plastique lancinant d'urgence. Urgence vitale mais qui n'est pas nécessité et précipitation. Mais, au fait, n'est-on pas toujours dans l'urgence quand on a tant de choses à dire ? A dessiner ? A peindre ? Et des choses à révéler, Sadek Amine-Khodja n'en manque pas. Pas de pénurie dans ce domaine. C'est dans l'intimité de son atelier, un ancien F3 qu'il avait habité quand il était célibataire, qu'il s'abstrait pour dire, dire et dire des choses de son dedans, de son récit personnel, de son vivre, auquel, il a laissé le temps de la germination et d'une féconde maturation. Quand on est peintre contemporain, on peut difficilement obvier à une certaine pollinisation de son œuvre par les charriages globalisants de la post-modernité. Sadek Amine-Khodja, pour sa part, a su le faire de manière perspicace. Cela ne l'empêche pas avec la franchise et la modestie qui le caractérisent, d'avouer que son maître à penser (à peindre) de prédilection n'est autre que Nicolas de Staël et ce, depuis ses années d'université à Paris. Qui n'aurait pas été fier d'une telle revendication au regard de l'envergure et de l'aura d'un artiste dont la vie et la carrière ont revêtu le caractère d'un véritable récit. Un artiste qui occupe une place privilégiée en marge des tendances et mouvements de l'époque. Un poète de la figuration suggestive, informelle, privilégiant le travail de la matière, de la couleur, de l'espace et de la lumière. Cette exposition rétrospective est le panoramique d'une carrière qui synthétise le déroulement d'une vie avec son substratum de permanence laborieuse et ordonnée. C'est pour nous, l'occasion d'appréhender le profil de la carrière et du vécu d'un professionnel de l'art qui n'a eu de cesse de se nourrir aux sources intarissables de l'exigence et qui ne s'est jamais départi de l'idée que « le tableau est une causa mentale qui se lit par le savoir et l'érudition », et que, comme le précisait Felibien, célèbre architecte, historien et théoricien de l'art du XVIIIe siècle : «L'art ne doit pas seulement ravir l'œil mais aussi élever l'esprit». Cette monstration qui convie aussi bien à la contemplation qu'à la méditation est un temps qui se suspend. Les œuvres appellent à creuser la réflexion et lorsque la poésie s'invite c'est le plaisir de voir et d'aimer qui s'impose car on ne peut éprouver de plaisir sans apprécier et aimer. Dans le cadre de « Constantine, capitale de la culture arabe », la rétrospective « Sadek Amine-Khodja » se poursuit avec brio au Palais de la culture « Mohamed Laid El-Khalifa » depuis le 5 décembre 2015. Avec la pertinente et percutante scénographie qui lui a été consacrée, elle arbore une dimension supplémentaire : le talent. (Suite et fin)