Les héros de la Révolution algérienne ne doivent pas être salis. Pourquoi vouloir douter de la valeur d'un combattant tel que Yacef Saâdi ? Les moudjahidine de la Révolution de novembre 54 ne peuvent être jugés par des harkis. Le harkisme est un phénomène qui dépasse la seule traîtrise des armes. Et si le harkisme, c'est aussi trahir le peuple en le privant du pouvoir à se gouverner par lui-même ; c'est aussi l'atteinte à notre patrimoine culturel et historique. Il me faut commencer par dire que je suis un moudjahid membre de l'ALN, et que je n'ai à aucun moment militer dans la Zone autonome. Et donc je ne suis pas un homme de Yacef Saâdi, que je ne connais que de réputation. A ma connaissance seulement deux moudjahidine sont tombés entre les mains de l'armée française qu'ils ont dupés pour se faire libérer et continuer leur combat. Ce sont le commandant Azzedine et Yacef Saâdi. Etant un historien (1) j'ai déjà écrit sur ces personnages, et en tant que patriote je mets mes connaissances aux services de notre triple vérité historique humaine et morale, afin que notre jeunesse ne soit pas dévoyée. Yacef Saâdi est né le 20 janvier 1928, à Alger. Surnom Yacef la malice. Membre de l'OS en 1947, il reçut une préparation militaire et promu chef d'une dizaine d'hommes (groupe de la Casbah). En 1950 dissolution de l'OS, déçu par l'abandon de la préparation de l'action armée. Dès 1952, il s'occupa d'une boulangerie pour subvenir aux besoins de sa famille. Début octobre 1954, Yacef pris contact avec Zoubir Bouadjadj, responsable de l'OS (Organisation Spéciale) pour le secteur la Redoute, Clos Salembier, Birmandreis, Ruisseau, Belcourt. Zoubir informa Yacef de l'éminence d'une action de grande envergure et lui ordonna de constituer des groupes pour un réseau de réserves ; et de se tenir prêt à le remplacer en cas d'arrestation ; ce que devra lui confirmer son chef qui était Rabah Bitat, responsable pour l'Algérois. Un mot de passe pour la liaison indirecte fut établi. La police arrête 650 Algériens en trois semaines, en triant ses fiches et en exploitant ses renseignements. Le FLN D'Alger ville est entièrement démantelé ; son chef Zoubir Bouadjadj, 06 jours après le déclenchement des opérations du 1er novembre Le 6 Novembre 1954, à 05 heures du matin, tombe lui-même entre les mains des policiers, ainsi que Belouizdad, Merzougui, Kaci Abdalah Mokhtar, Kaci Abdalah Abderahmane, Guesmia...et d'autres encore. Mais Bitat échappe aux recherches ainsi que les quatre autres chefs de zone. Yacef se trouva alors seul à Alger avec son groupe composé d'hommes n'ayant jamais milité nulle part, mais courageux et passionnément patriotes. Et pour Yacef il fallait trouver des armes. Son aide première, lui vint de son beau-frère Bouzrina Arezki, dit H'didouche. Homme discret et dynamique, il allait devenir la cheville ouvrière du FLN. La fin du mois de novembre 1954, Rabah Bitat aux abois, se rappela du contact que lui avait suggéré Zoubir Bouadjadj, un certain Yacef qui avait une boulangerie à la Casbah. Un ancien militant de l'OS, le conduit jusqu'à lui et après la prise de contact et de prudentes conversations, la confiance s'installa et Bitat fut hébergé, chez Yacef qu'il chargea de retrouver la trace de ses adjoints Souidani et Bouchaib, responsables de la Mitidja. Yacef Saâdi présenta à Rabah Bitat son beau-frère H'didouche, devenu collecteur de fonds ; celui-ci remit à Rabah Bitat la somme de 7 500 francs (de l'époque). En décembre 1954 Rabah Bitat chargea à nouveau Yacef de retrouver la trace de Krim et d'Ouamrane. Après de multiples contacts et recherches, Yacef finit par obtenir un rendez-vous et les rencontrât pour la première fois chemin Vauban à Alger dans une épicerie ; Après avoir répondu à leurs questions, ils acceptèrent de le suivre chez lui ou se trouvait déjà Rabah Bitat. Et c'est ainsi que depuis et durant presque trois mois que la maison de Yacef Saâdi devint pour ainsi dire en permanence le PC pour l'Algérois et la Kabylie. Pendant cette période, Yacef rétablit le contact avec El Hakim (Larbi Ben M'hidi) à Marnia, et avec le docteur Lamine qui vint directement chez Yacef pour y rencontrer les responsables, dirigeants de l'intérieur. Vers la fin février 1955, ce fut au tour d'Abane, récemment libéré de prison de joindre Yacef où il rencontra Rabah Bitat. Par la suite, par mesure de sécurité le PC fut transféré dans un appartement à Scala, El Biar sur les hauteurs d'Alger. Quelques jours après Rabah Bitat victime d'un guet-apens policier fut arrêté le 16 mars 1955, à 9 heures du matin, dans un café maure de la rue Rempart-Médée, à Alger (la Casbah). Aussitôt la police perquisitionna à la Boulangerie et au domicile de Yacef Saâdi où ils ne trouvèrent personne. Il ne restera à celui-ci que la clandestinité. Rabah Bitat après un long interrogatoire fut transféré à la prison de Barberousse où il rencontra Lamine Debaghine. Mourad Didouche fut tué au cours d'un accrochage en janvier 1955. Puis ce fut le tour de Mostefa Ben Boulaid, arrêté lui en février. Rabah Bitat fut le troisième historique à être éliminé. Abane Ramdane allait prendre la relève. Sur instruction d'Abane, Yacef Saâdi eu pour mission de rejoindre la Suisse pour prendre contact avec les dirigeants du FLN à l'extérieur, Ben Bella ou Boudiaf, qui auront à s'exprimer, au nom de la délégation extérieure sur une question sur laquelle Abane avait lourdement insisté : Tout le monde était-il d'accord sur la primauté de l'intérieur sur l'extérieur ? Yacef prépara son voyage et le 1er mai 1955 muni de faux papiers partit pour la Suisse via la France. Lorsque Yacef arriva en France, il prit contact avec Terbouche et Mahsas qui avaient réellement échappé à deux souricières tendues par la DST aux alentours de boites à lettres dont les adresses avaient été découvertes sur Bitat, lors de son arrestation à Alger ; ils se savaient également rechercher par le MNA et de fait ne demandaient pas mieux que de sortir de Paris ; ils accompagnérent Yacef Saâdi à Zurich où Boudiaf l'attendait à l'hôtel Krone (Couronne). Le 5 mai 1955 en fin d'après-midi, flanqué d'Ali Mahsas, Yacef Saâdi pénétrait dans le hall de l'hôtel. Mohamed Boudiaf devait y être. Il était là en effet. Après les formules d'usage et les embrassades fraternelles, ils prirent place dans un coin discret du salon pour échanger quelques généralités sur le pays. Ils décidèrent de dîner ensemble avant d'entamer la véritable discussion dans une de leur chambre respective. Yacef pensait pouvoir épuiser rapidement l'ordre du jour, et rentrer à Alger dès le lendemain. Après le dîner, Boudiaf proposa d'aller à sa chambre. A peine assis, Yacef ouvrit le débat par un compte rendu détaillé sur l'arrestation de Rabah Bitat. Boudiaf, lui, parut sincèrement navré. Après quoi, ils passèrent au point essentiel. Le groupe d'Alger, expliqua Yacef, désire voir trancher une question à laquelle Abane Ramdane semble accorder une grande importance. Il s'agit du principe de la primauté de l'intérieur sur l'extérieur. Et Yacef dit : je t'informe que, selon les instructions d'Abane, ta réponse vaut engagement pour l'ensemble des membres que tu représentes Il s'ensuit un silence de courte durée. De toute façon, il n'était pas homme à éluder quoi que ce soit. Il dit enfin : «- A mon avis, il n'y a pas lieu de revenir sur cette question dont la réponse est consignée dans la mémoire de tous ceux qui ont préparé la guerre. Krim Belkacem ne l'ignore pas. Mais puisqu'il s'agit d'en confirmer le principe, il y a lieu de dire à Abane qu'en ce qui nous concerne, nous sommes une nouvelle fois d'accord de ce que les dépositaires de cette prérogative soient les combattants de l'intérieur. Tu comprendras aisément que de l'extérieur, il est difficile de diriger une révolution....» Ainsi Yacef obtenait satisfaction dans un registre pour lequel il n'avait bénéficié que d'une formation rudimentaire. Les deux hommes en étaient là de leur entretien lorsqu'on frappa à la porte. -Qui cela peut-il être ? dit Boudiaf. Mahsas doit rester à l'hôtel Léonard jusqu'à ce que j'aille le chercher.... La réponse ne se fit pas attendre : -Police. Ouvrez Et pour la première fois en ce mois de mai 1955, les autorités helvétiques intervenaient dans les affaires du FLN. Les inspecteurs emmenèrent Boudiaf et Yacef aux locaux de la police où ils retrouvèrent Ali Mahsas. Les trois hommes restèrent pendant dix jours au siège de la police de Zurich, où leurs papiers et documents, leur furent saisis et examinés à la loupe ; ils furent même interrogés sur leurs activités. Les policiers zurichois s'intéressaient beaucoup aux problèmes d'organisation et de structuration du FLN. Ils ne cachèrent pas leur surprise à la présence de Yacef. Un nouveau nom -jusque-là inconnu- à inscrire sur leurs fiches. En revanche les deux autres, Mahsas et Boudiaf étaient pour eux de vieilles connaissances. Au bout de dix jours, les trois hommes furent relâchés et conduits à la frontière de leur choix. Aux motifs indésirables en Suisse. Boudiaf et Mahsas s'embarquèrent à destination du Caire ; Yacef refusa de les suivre et partant de là, commettra erreur sur erreur, mais le fait que c'était sa première mission à l'extérieur, constitue l'excuse de ce champion de la clandestinité. Il voulait rapidement regagner l'Algérie pour aller rendre compte de sa mission à Abane. Ainsi Yacef pensait embarquer à Anvers pour Tanger et gagner l'Algérie par le Maroc. A Anvers, il se fait débarquer par un matelot après qu'il lui eut pris l'argent du voyage. Retour à Bruxelles où il prit un avion via Paris. Il avait bien l'intention de ne pas sortir de la salle de transit, ainsi il éviterait les contrôles de police. Mais Yacef ne se doutait pas que les services spéciaux suisses avaient travaillé avec leurs collègues français qui eurent communication de toutes les photocopies des documents et interrogatoires effectués à Zurich. Le 26 mai 1955, Terbouche dont la DST avait lu le rapport à Boudiaf, était arrêté ainsi que les membres du comité fédéral de France, qui était ainsi décapité. A l'arrivée de Yacef à Orly, un comité d'accueil, l'attendait et il fut immédiatement embarqué rue des Saussaies, au siège des services français de sécurité. Les policiers Suisses n'avaient pas osé livrer Boudiaf, Mahsas et Yacef directement à leurs collègues français, mais ils les avaient informés des destinations de chacun des trois hommes. La sûreté Belge prévenue du passage de Yacef l'avait alors expulsé en vitesse. Et le jeune homme est tombé dans la souricière... Il resta dans les locaux de la DST une semaine. Il avait d'abord nié mais les inspecteurs l'informèrent de l'arrestation de Bitat et du rapport que leur avait adressé Djouden, l'adjudant, qui avait livré Bitat, le chef de l'Algérois. Devant ces preuves irréfutables, Yacef admit alors avoir logé Bitat, mais affirma qu'il ne le connaissait pas sous ce nom et qu'il n'avait agi que sous la terreur. Et il expliqua :- On menaçait de me tuer si je ne le logeais pas. Et j'ai eu tellement peur que j'ai pris l'avion pour la Suisse... On transféra Yacef à Alger où il répéta sa fable. La police ne lui reprochait que d'avoir logé Bitat. Et comme celui-ci, n'avait dit mot de Yacef, les services de la DST n'avaient aucune preuve contre lui. Ils résolurent de le recruter. En le relâchant dans quelques semaines, les autres, prendraient contact avec lui. La police d'Alger était décidée à faire de Yacef un indicateur de choix ! Ce n'est qu'à ce moment que la presse révéla l'arrestation de l'envoyé d'Abane. L'état-major algérois du FLN l'apprit par l'Echo d'Alger qui titrait : Yacef Saâdi, responsable du CRUA d'Alger a été arrêté ; Les journaux d'Alger n'emploient encore que le sigle de CRUA pour désigner le FLN qui ne fera son apparition qu'en 1956. Le commentaire de l'Echo d'Alger ravit particulièrement Abane : L'arrestation de Yacef Saâdi marque une étape décisive : le CRUA n'existe plus à Alger. Il n'y a plus personne ! Le tout était que Yacef, ne s'allonge pas devant la police ! Pour le reste Abane pensait lui trouver rapidement un remplaçant parmi les chefs de groupes actions qui se formaient à Alger. Après l'arrestation de Yacef Saâdi, Debbih pris la tête de l'organisation armée à Alger, à partir de juin 1955 ; Un mois après, il prit contact avec Ouamrane. A cette période Debbih n'a jamais cessé de répéter que toute personne qui, tomberait entre les mains des autorités coloniales ne pourrait jamais se taire. Ils ne reculeront devant rien pour obtenir le renseignement ; ils tortureront jusqu'à la mort. Le sujet périra, mais il aura tout dit. Debbih avait pris sa décision, il devait rejoindre le maquis c'est ce qu'il fit. Après un certain temps, il revint à Alger, où il se remit avec le tandem Fettal- Bouchafa pour l'action armée. Zohra Drif qui la bien connu, dira de Debbih Cherif, un géant nommé Si Mourad (son surnom).