Vingt-quatre heures avant un cessez-le-feu en Syrie, les parrains américain et russe de cette trêve semblent ne pas croire aux chances de mettre fin à une guerre qui a ravagé le pays et déstabilisé le Moyen-Orient et l'Europe. Même le toujours optimiste secrétaire d'Etat John Kerry s'est dit toute la semaine "sans illusion" et a brandi la menace d'un mystérieux "plan B", si le régime syrien et ses alliés russe et iranien faisaient péricliter le très mince espoir d'un règlement diplomatique. Le président américain Barack Obama et John Kerry, des grands sceptiques de l'interventionnisme militaire, misent tout sur la diplomatie depuis trois ans pour trouver une porte de sortie à la "catastrophe" syrienne qui a fait au moins 270.000 morts et des millions de déplacés. M. Kerry est l'artisan, avec son homologue russe Sergueï Lavrov, d'une ébauche de plan de paix qui s'est traduite par plusieurs accords internationaux depuis 2012: à Genève, Vienne, New York et le dernier à Munich le 12 février, signé par 17 pays et trois organisations multilatérales du groupe international de soutien à la Syrie (ISSG). L'un des volets en est un cessez-le-feu conclu et parrainé lundi par le président des Etats-Unis et son homologue russe Vladimir Poutine et qui doit entrer en vigueur vendredi à 22H00 GMT. Mais Barack Obama a admis jeudi qu'"aucun d'entre nous ne se faisait la moindre illusion". "La cessation des hostilités (...) est un pas possible vers la fin au chaos. Maintenant, même dans le meilleur des cas (...) nous sommes certains que des combats vont continuer", a souligné le président dans un discours solennel au département d'Etat. «Prier pour la Syrie» A ses côtés, M. Kerry, pourtant le plus ardent défenseur du cessez-le-feu, a lui aussi laissé transparaître ses doutes. Ainsi, lors d'auditions fleuves cette semaine au Congrès, il a reconnu qu'il ne pouvait "pas garantir que cela marchera à tous les coups" et que la trêve et le processus politique entre Damas et l'opposition syrienne seraient "très difficiles" à "faire tenir". Il a même lâché qu'il restait à "prier pour que la Syrie reste unifiée". Et "si cela ne marche pas ?", s'est-il interrogé. Alors, "la Syrie sera complètement détruite, l'Europe sera submergée par encore plus de migrants (...) les troubles et la dislocation seront bien pires que ce qui représente déjà le plus grand défi humanitaire depuis la Seconde guerre mondiale". De fait, a renchéri un responsable américain, "il y a du pessimisme et non de l'espoir" sur les chances que Moscou respecte la trêve, citant les précédentes "violations" russes dans les conflits en Ukraine et en Géorgie. Mais à Moscou, indéfectible allié de Damas, le Kremlin a assuré mercredi que le président Bachar al-Assad était "prêt" à respecter le cessez-le-feu, après un entretien téléphonique entre les présidents russe et syrien. Et lorsque M. Poutine a eu lundi au téléphone M. Obama, il lui a affirmé qu'il ferait "le nécessaire" pour que le régime syrien cesse le combat. En ajoutant toutefois qu'il "espérait" que les Etats-Unis fassent "la même chose" avec l'opposition syrienne qu'ils soutiennent. «Absurde diplomatie américaine» A Moscou et à Washington, les experts sont aussi circonspects. Certes, pour l'analyste indépendant Alexandre Golts, du média en ligne Ejednevny, "le cessez-le-feu pourrait devenir réel (car) il répond aux intérêts de la Russie", mais "une chose pourrait tout gâcher, si le Kremlin et Assad tentent de prendre le contrôle total d'Alep tout en poursuivant les pourparlers". "Si, sous différents prétextes, la Russie poursuit ses bombardements et qu'Assad poursuit son offensive, le cessez-le-feu sera remis en question", redoute le spécialiste. A la Brookings Institution de Washington, le chercheur Shadi Hamid n'est "pas dans le camp des optimistes". A ses yeux, les "efforts" de M. Kerry s'apparentent à de la "diplomatie à moindre coût" et en l'absence de "menace crédible de recours à la force militaire" par les Etats-Unis, rien "n'incite les Russes à agir de bonne foi". L'expert se gausse même d'une diplomatie américaine dont le "niveau d'absurdité (...) défie toute analyse rationnelle". Cette semaine devant le Congrès, le secrétaire d'Etat a évoqué un "plan B" pour la Syrie, mais sans fournir le moindre détail. Il se murmure à Washington qu'il s'agirait de mettre l'accent sur l'option militaire, au cas où Damas et ses alliés à Moscou et à Téhéran feraient capoter la diplomatie.