Entre le 25 et le 27 février courant, la maison Abdellatif, l'Ecole supérieure des Beaux-arts d'Alger «Ahmed et Rabah-Salim Asselah» ont, sous la direction de la revue Naqd, en partenariat avec l'AARC, organisé des journées d'études sur «La production esthétique dans les sociétés en crise». Au programme donc, un séminaire de haute facture, des conférences, projections de films, ainsi qu'une exposition de travaux artistiques issus d'un workshop organisé par le plasticien Karim Sergoua. Sous la modération de Daho Djerbal, différents intervenants se sont succédé en interpellant de nombreuses images artistiques pour essayer de saisir, à travers des évocations précises, le sens profond des crises, de l'hypermédiatisation, de l'image manquante avec autant de réflexions sur les diverses formes d'images esthétiques qui racontent le monde, le deuil, la crise et la douleur de la séparation quelle qu'elle soit et la saveur de la réparation quand elle sublime la blessure pour en faire une œuvre d'art, espace potentiel d'accueil des passions. Comme l'aura dit Marie José Mondzain, philosophe et écrivain, directrice émérite de recherche au Cnrs, spécialiste du rapport à l'image, elle s'interroge souvent à travers ses recherches sur la violence des images et signe de nombreuses productions écrites sur le sujet. Il faut dire que le propos de ces journées d'études est un écho à des travaux de discussions qui ont été réalisés en 2002 suite à la sortie du numéro 17 de la revue Naqd consacrée à «L'esthétique de la crise » et qui avait réuni ensuite, en 2006, à l'Espace Noun, un panel de créateurs, critiques d'art et chercheurs en compagnie du critique d'Art, Fouad Asfour représentant de la Dokumenta 12. L'étroite relation entre l'histoire contemporaine et la création, entre fictions diverses, documentaires, performances pertinentes et travail des artistes en prise avec des situations de massacres, crimes de masses, génocides et violence ethniques et religieuse ne se lasse pas de produire des traces, pendant et après coup. L'Art devient ainsi ce lieu d'accueil de la douleur et de la passion, en vertu d'une naturalité expressive qui, justement, est la faculté de l'art de «transcrire» le propos sur un champ esthétique précis et à dimension humaine. Peu importe que les artistes aient été loin des génocides, qu'ils ne soient pas «légitimes» par le sang ou par la géographie, le «langage» est le même, il est porteur de la masse critique de la sensation, la pertinence du message, la pertinence de l'image, même si celle-ci est dans le cas par exemple des disparitions au Cambodge manquante. C'est ainsi que Soko Phay, maître de conférence en théorie et histoire de l'art assure la direction de l'équipe «esthétique pratique et Histoire des Arts» et «Art et Poste mémoire au Cambodge et au Rwanda», ainsi que «Archives du présent », elle est aussi fondatrice avec Pierre Bayard du «Centre International de Recherche et d'Enseignement sur les Meurtres de masse», a présenté lors de ces journées de nombreuses images d'artistes, de documentaires et de performances d'artistes divers notamment Cambodgiens en quête de cette image manquante, l'image du miroir qui dit la vérité dans une conjoncture où les Khmers rouges ont procédé à une élimination structurelle de masses, avec un effacement méthodique de la mémoire. Pour Nassima Metahri, les cas rencontrés lors du terrorisme islamiste sont aussi porteurs de stigmates de l'effacement et du trauma dans une large proportion vus dans les familles et victimes du terrorisme qu'elle a accueilli à l'hôpital psychiatrique Frantz Fanon dans lequel elle pratique depuis 1993 au sein du service de Pédopsychiatrie. La place des familles dans le soin, le soin des bébés dans la culture, la question du trauma ont été le nœud gordien dans lequel elle s'est exprimée à la lumière d'une situation qui, à nos jours, continue de livrer son lot d'horreur psychiatrique. La modération bienveillante du sieur Daho Djerbal, docteur habilité, maître de conférence en histoire contemporaine, nous aura éclairé sur une série de faits, de vérités scientifiques qui au-delà de l'écrit laissent aussi la part belle à l'oralité comme source documentaire. Les journées d'études ont ainsi livré et libéré leur flot de paroles mais aussi d'images à travers quelques tableaux qui ont été réalisés et exposées à la Villa Abdellatif avec un ensemble de réflexions à effet miroir justement sur les reflets de cette violence sur les générations témoin et les générations post- terrorisme, intéressantes approches qui restent à décortiquer et à renouveler avec le temps, car le temps malgré tout ne guérit pas tout.