Le Yémen, pays de 25 millions d'habitants est un Etat islamique régi par la Sharia. L'islam yéménite est composé de deux courants religieux principaux qui rassemblent 98% de la population : le zaydisme, issu du chiisme, très implanté dans le nord du pays (environ 45 % de la population) et le chaféisme, issu du sunnisme et davantage implanté dans le Sud et l'Est (environ 55 % de la population). Depuis sa réunification en 1990, les chiites ont été marginalisés puis réprimés après la rébellion de 2004 conduite Hussein Badreddin al-Houthi qui visait à obtenir une plus grande autonomie pour les chiites au sein de la province de Saada. C'est de ce leader, tué par l'armée yéménite, que la rébellion Houthi a tiré son nom. Soutenus par l'Iran, mais également par le Hezbollah (l'organisation chiite du Liban), les Houthis se sont ralliés en 2011 à la vague de protestation contre le président Ali Abdallah Saleh, née dans le sillage du « Printemps arabe » et en ont tiré profit pour renforcer leur contrôle territorial. En février 2014, ils s'opposent au plan du président de transition Abd Rabo Mansour Hadi, qui prévoyait de faire du Yémen une fédération de six (06) régions et s'engagent dans une rébellion armée. Présenter le fossé entre chiites et sunnites ou la rivalité entre Riyad et Téhéran comme la cause des conflits qui déchirent le Yémen est un fantasme cruel et inutile. Toute tentative visant à fournir un compte rendu cohérent de la lutte politique qui touche le Yémen est vouée à l'échec. Le pays est un creuset de contradictions qui défient les normes de l'analyse rationnelle. Au-delà du brouillard politique enveloppant le conflit, les circonstances tragiques de la vive souffrance infligée à la population civile émergent avec une grande clarté. Bien avant le déclenchement de la guerre civile, le Yémen était connu pour être le pays le plus pauvre de la région, confronté à une pénurie imminente de nourriture et d'eau. L'ONU estime que 80 % de la population a besoin d'une aide humanitaire urgente et que 40 % de la population vit avec moins de deux dollars par jour. En outre, les risques de famine de masse et d'épidémie sont élevés. Dans ce contexte, le Conseil de sécurité des Nations unies a choqué en se montrant favorable à une intervention militaire saoudienne majeure, via des attaques aériennes soutenues, en adoptant à l'unanimité une résolution entièrement anti-houthie (2216). La campagne militaire, qui a commencé en mars 2015, a sérieusement aggravé la situation globale. Cet usage de la force par les Saoudiens est contraire au droit international, viole le principe de base de la Charte des Nations unies, et magnifie les violences dans la société yéménite. Le succès de l'insurrection des Houthis du nord, qui ont chassé le gouvernement yéménite du pouvoir en prenant le contrôle de la capitale Sanaa, a été traité par le Conseil de sécurité comme un coup d'Etat militaire justifiant une intervention par une coalition dirigée par l'Arabie saoudite. Il convient de rappeler que, étrangement, le coup d'Etat militaire non dissimulé de 2013 en Egypte, où les dirigeants élus supplantés par l'armée ont fait l'objet de représailles beaucoup plus sanglantes, n'a suscité aucun murmure de protestation dans les couloirs de l'ONU. Ainsi va la géopolitique au Moyen-Orient. Un discours simpliste La tendance géopolitique à réduire une histoire nationale incroyablement complexe et l'interaction des forces en présence à une simpliste histoire de rivalité entre les sunnites et chiites pour le contrôle du pays rend encore plus difficile la compréhension de l'évolution au Yémen. Avant tout, un tel prisme d'interprétation permet à l'Arabie saoudite de dépeindre le conflit au Yémen comme un autre théâtre de la guerre par procuration opposant le royaume saoudien et ses alliés du Golfe à l'Iran, ce qui constitue un moyen sûr de s'assurer le soutien des Etats-Unis et d'Israël. Le même raisonnement a bien servi le royaume (et desservi le monde) en expliquant pourquoi Ryad soutient les forces anti-Assad en Syrie ces dernières années. D'un point de vue plus objectif, on commence à comprendre que cette optique sectaire rend les choses plus obscures qu'elle ne les illumine. Par exemple, en ce qui concerne l'Egypte, le modèle sectaire a été écarté et les Saoudiens ont immédiatement utilisé leur ressort financier pour aider le coup d'Etat du général Sissi contre les Frères musulmans et consolider le contrôle de ce dernier sur le pays en 2012. Même quand Israël a attaqué Ghaza il y a un an, en cherchant à détruire le Hamas, une version islamique sunnite des Frères musulmans, l'Arabie saoudite n'a pas caché le fait surprenant d'avoir donné son feu vert à Tel Aviv. Ce qui ressort, alors, n'est pas une politique régionale fondée sur des priorités sectaires, mais plutôt une préoccupation pathologique de la monarchie saoudienne concernant la stabilité du régime, des angoisses naissant chaque fois que des tendances politiques qui échappent à son contrôle émergent dans la région et sont perçues comme une menace. Le peuple du Yémen fait les frais de cette politique sécuritaire paranoïaque de l'Arabie saoudite. Pourtant, une grande partie du monde se laisse endormir, ne prenant pas la peine de regarder sous cette couverture sectaire. Peu d'attention est accordée au fait que les véritables menaces à l'ordre régional dans le cas du Yémen ne proviennent pas d'une raisonnable insistance des Houthis en ce qui concerne la question du partage du pouvoir politique, mais résultent principalement de la présence d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) et, plus récemment, du groupe EI, qui ont été ciblés par des drones américains dans le cadre de la guerre contre le terrorisme depuis 2007. Ainsi, et alors que l'Occident soutient la lutte de l'Arabie saoudite contre les Houthis chiites, dans le même temps, il fait de son mieux pour affaiblir leur opposition la plus redoutable, aliénant par ses opérations militaires la population civile yéménite, ce qui est susceptible de générer davantage d'extrémistes déterminés à combattre toute intervention extérieure. Si cela ne suffisait pas à obscurcir la boule de cristal yéménite, il y a également l'alignement des forces internes. D'un côté, le régime qui a succédé au régime d'Ali Abdallah Saleh en 2012 et qui est dirigé par son ancien vice-président, Abd Rabbo Mansour Hadi, lequel «gouverne» apparemment depuis son exil. Du côté de l'opposition au régime, outre les Houthis figurent les principales forces militaires et policières sous l'autorité de Saleh, qui s'opposent à l'intervention saoudienne et ont contribué à changer le cours de la bataille sur le terrain contre le gouvernement dirigé par Hadi. Malgré cette réalité défavorable du champ de bataille, l'ambassadeur saoudien aux Etats-Unis, Adel al-Jubeir, aurait dit : «Nous ferons tout ce qu'il faut pour empêcher la chute du gouvernement légitime du Yémen.» De façon dramatique, cela semble signifier réduire le pays à un chaos qui apporte famine et maladie à la population. Nous voyons là une iranophobie dans la région qui a pris de grandes proportions. On oublie que les Houthis étaient les partisans de la dynastie de l'imam qui a gouverné le Yémen pendant plusieurs siècles ; une forme de chiisme très proche du sunnisme, qui a été soutenu par l'Arabie saoudite pendant très longtemps pour empêcher que la République puisse s'installer durablement. On oublie également que l'Arabie saoudite s'est constituée sur la conquête militaire appuyée par les Anglais, et qu'elle a pris énormément de territoires qui historiquement appartiennent au Yémen. Aujourd'hui, l'Arabie saoudite lutte contre les Houthis, qui se sont apparemment alliés avec l'ancien président, client de l'Arabie saoudite pendant 30 ans, et protégé par elle jusqu'à la fin. Il y a maintenant l'alliance de ce président avec une partie de l'armée yéménite qui lui était restée fidèle, ce qui a expliqué cette conquête facile, de presque l'ensemble du territoire. Ce qui aurait permis, si on l'avait laissé faire, de supprimer Al-Qaïda, qui est très actif au Yémen. Là aussi, ces bombardements massifs et ravageurs couverts par une résolution du Conseil de sécurité, constituent un précédent qui est très grave, et qui peut se reproduire ailleurs, éventuellement au Liban, sous prétexte de vouloir éradiquer le Hezbollah, composante importante de la société libanaise et qui a réussi à libérer une large partie du sud du Liban occupée par Israël durant 22 ans (1978-2000) en infraction aux résolutions de l'ONU. Ceci étant, depuis que les Saoudiens et leurs alliés ont commencé, en mars dernier, à pilonner le Yémen de bombardements aveugles, utilisant même des bombes à sous-munitions, les Etats-Unis ont soutenu fidèlement les Saoudiens dans cette guerre inutile et indéfendable en leur fournissant des armes, du ravitaillement en carburant, et des renseignements. Les Etats-Unis ont aidé les Saoudiens à blanchir et dissimuler leurs crimes, et cela en dépit de rapports crédibles provenant de plusieurs organisations de défense des droits humains et de l'ONU disant que la coalition saoudienne était vraisemblablement coupable de crimes de guerre et peut-être même des crimes contre l'humanité. Ni les Saoudiens, ni leurs mandataires sur le terrain, ne peuvent gagner la guerre au Yémen. La société de mercenaires (Blackwater / Xe) avait été engagée pour fournir un bataillon de combattants étrangers. Ils ont essayé de prendre Taiz aux Houthis, mais ils ont été défaits. Ils ont dû se retirer parce qu'ils avaient trop de pertes. Alors, les Saoudiens ont dépensé 3 milliards de dollars de plus pour que Dyncorp leur fournisse davantage de chair à canon. Ni les Saoudiens, ni leurs mercenaires, ne peuvent gagner la guerre d'aucune manière.