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A la tête d'une grande zaouïa en 1897
Publié dans La Nouvelle République le 29 - 04 - 2016

Je suis à la zaouïa d'El-Hamel. Dans le grand salon de réception, trônent les portraits de l'Emir Abdelkader, du Cheikh Mohamed Belkacem, fondateur des lieux, du Bachagha Mokrani, ainsi que ses armes, et les portraits des autres membres de la famille qui se sont succédé à la tête de la zaouïa.
Mais il manque toujours le portrait de Lalla Zineb qui a pourtant assuré la gloire du lieu. J'ai toujours été intrigué par cet oubli ou par ce trou de mémoire concernant cette femme qui a traversé, il y a plus d'un siècle, comme une comète le ciel de l'islam. Pourquoi tant d'auteurs européens lui ont consacré des pages vibrantes et que rien – du moins à ma connaissance – n'a été entrepris sur elle en Algérie, sinon un ou deux articles de journaux ? Pourquoi, au début du siècle dernier, une écrivaine américaine, Helen Gordon, traverse l'Atlantique pour visiter la zaouïa d'El-Hamel ? Pourquoi l'Université de Berkeley lui consacre une étude monumentale et que l'Université algérienne semble en ignorer l'existence? Pourquoi la photo de cette grande dame, que l'on trouvait dans tous les souks d'Algérie, manque toujours, là où elle a œuvré ?»
Le vendredi 31 août 1877, le Cheikh de la zaouïa d'El-Hamel, Mohamed Belkacem, âgé alors de cinquante-sept ans, se rend, après un malaise cardiaque, chez le cadi de Tamsa, village non loin de Boussaâda, pour rédiger son testament. Il lègue tous ses biens à son enfant unique, «Zeineb, et aux enfants, garçons et filles pouvant lui naître ultérieurement». L'héritage est colossal.
Le cheikh est à la tête de la confrérie la plus puissante du pays, la Rahmaniyya, et sa zaouïa d'El-Hamel comptait alors le plus grand nombre d'adeptes. En 1895, le cheikh commence à montrer des signes de fatigue. Connaissant le poids de la confrérie, le gouverneur général ordonne au commandant de la place de Boussaâda de faire une enquête sur les éventuels successeurs. Le commandant dépêche à El Hamel le capitaine Crochard. Ce dernier fait une enquête approfondie sur le neveu du cheikh, Sidi Mohamed, pour «s'assurer de ses aptitudes, de son état d'esprit et de ses sentiments envers la France».
Il jette son dévolu sur le personnage qui lui semble «acquis à la France», mais émet toutefois quelques réserves : «Il est d'intelligence moyenne, mais il est ambitieux, orgueilleux, et enclin à l'excès.» Le capitaine précise également que Sidi Mohamed ne jouit pas d'une grande estime auprès des adeptes de la Zaouïa qui le considèrent comme «rapace et avare». Cependant, il sera le candidat de l'armée française. Le 10 mars 1897, le capitaine Crochard assure qu'il a reçu une lettre du cheikh de la zaouïa lui confirmant qu'il désignait Sidi Mohamed comme son successeur.
Deux mois plus tard, le mercredi 2 juin 1897, Cheikh Mohamed Belkacem meurt d'une crise cardiaque alors qu'il rentrait d'un séjour à Alger. Conformément à la tradition, le Cheikh est ramené à El Hamel pour y être enterré le lendemain à proximité de sa maison. Une foule immense se presse à la prière du mort. Son neveu, Sidi Mohamed, se voit déjà Cheikh de la zaouïa. Après l'enterrement, il se précipite aussitôt dans les appartements du Cheikh pour en prendre possession.
Mais là, il se heurte à sa cousine, Lalla Zineb, qui lui exhibe le testament de son père, rédigé en 1887, et lui annonce qu'elle est la seule héritière légitime ! Même si elle a passé toute sa vie recluse dans le gynécée de son père, Lalla Zineb avait accès à la vaste bibliothèque de son père. Elle avait suivi, dans la petite mosquée attenante à la maison du cheikh, des cours d'arabe et de théologie.
Enfant unique, elle a dû profiter de tous les récits de voyage de son père et l'enfance passée avec les enfants des réfugiés Mokrani lui a sûrement ouvert les yeux sur les réalités du colonialisme. Surpris, puis désarçonné par la réaction de sa cousine germaine, Sidi Mohamed lui montre alors la lettre-testament du cheikh. Elle lui rétorque qu'elle a été arrachée de force par les militaires français à son père et qu'elle ne la reconnaissait pas. Furieux, Sidi Mohamed tente de l'enfermer à double tour dans la maison du cheikh dotée de six lourdes portes.
Mais en vain. Dehors, une altercation violente éclate entre partisans de Lalla Zineb et ceux de son cousin. A la prière du aasr, Lalla Zineb sort, le visage nu. Elle a 35 ans. Pour la première fois de sa vie, elle voit des hommes et, pour la première fois, des hommes la voient. Sidi Mohamed harangue la foule et la met en garde contre cette hérésie – «une femme à la tête de la confrérie la plus importante du pays, c'est un comble !» – et il cite des hadiths du Prophète maudissant les nations qui se laissent commander par les femmes. Mais la foule penche pour Lalla Zineb. Il faut dire qu'elle ressemble comme deux gouttes d'eau à son père.
D'après une tradition orale, la terre aurait alors tremblé et les hommes auraient entendu le Cheikh Mohamed Belkacem crier depuis sa tombe : «C'est ma fille qui a ma baraka.» Comme les miracles sont faits pour exaucer les rêves des hommes, nous croyons en celui-ci. L'écrivain et armateur français, Paul Eudel, qui l'a rencontrée quelques années après ces faits, en donne cette description : «La marabouta ne porte pas le voile ordinaire des femmes de sa religion, sa figure est découverte.
C'est une femme d'une trentaine d'années au visage émacié, d'une maigreur ascétique, avec des yeux intelligents et doux. Ses vêtements blancs, épais et lourds, donnent d'abord l'impression d'une abbesse du grand siècle.» Au cercle militaire de Boussaâda, c'est la consternation totale. Le capitaine Crochard écrit : «Cette femme a détruit tout ce que j'ai mis en place». Le commandant Fournier alerte l'état-major à Alger et demande s'il faut prévoir une intervention militaire pour destituer la «rebelle» et introniser Sidi Mohamed.
En attendant, l'armée préfère temporiser et dépêche, le lendemain, le capitaine Crochard à El Hamel pour tenter de ramener Lalla Zineb à la raison. L'entretien du mois de juin 1897, consigné par l'interprète, est un chef-d'œuvre de tactique. L'officier s'efforce de faire revenir Lalla Zineb sur sa décision. Elle lui répond de nouveau qu'elle considère la lettre de son père comme un faux. Et quand l'officier élève le ton, Lalla Zineb se rappelle les récits des rescapés Mokrani.
Elle se souvient de tous les chefs de confrérie écrasés par la machine de guerre coloniale, les Ouled Sidi Cheikh, les Bouamama, les Haddad. Il serait suicidaire pour elle d'aller à la confrontation, de déclarer, comme l'ont fait les autres chefs de confrérie, la guerre pour l'honneur. Elle va alors décider d'attaquer l'administration coloniale sur son propre terrain : le droit colonial. Elle annonce à Crochard qu'elle va porter plainte en justice contre lui et ses supérieurs.
L'officier quitte la zaouïa furieux et envoie ce rapport à Alger : «Passionnée au point de haine, audacieuse au point de l'insolence et de l'impudence, très hautaine et avide de traitement déférent, elle affiche dans les pires façons les qualités de son père, sa charité n'est rien d'autre qu'extravagance, elle n'hésite pas à tromper ou à faire de fausses accusations pour poursuivre le plan d'action qu'elle a en tête.» Le soir même, Sidi Mohamed revient à l'attaque et propose à Lalla Zineb un marché : il l'épouse et ils se partagent à eux deux la direction spirituelle de la zaouïa.
Lui dehors et elle au foyer. La proposition plonge Lalla Zineb dans une haine définitive de son cousin et elle lui déclare la guerre. Il faut dire aussi que l'enjeu est de taille. L'héritage du Cheikh est estimé à deux millions cinq cent mille francs. Une fortune! Pour avoir une idée de cette somme, il suffit de savoir qu'en 1890, dans le département d'Alger, les colons payent, en moyenne, 1,50 fr par jour, les ouvriers occupés aux labours, sulfatages... Pour les vendanges, l'ouvrier ne gagnait que 1,25 fr.
Lalla Zineb, très remontée, le congédie aussitôt. Elle refuse le mariage et crie qu'elle fait vœu de chasteté à jamais ! Sur ce, elle interdit aux étudiants et au personnel de la Zaouïa d'obéir aux ordres de son cousin et décrète qu'il est interdit d'accès à la bibliothèque, aux salles de cours, aux bâtiments, et qu'il ne peut détenir aucune clef des entrepôts de la zaouïa. Pour justifier cet acte, elle déclare que «l'attachement excessif de Sidi Mohamed aux choses de la vie est antinomique avec la dimension spirituelle d'El Hamel et risque de mettre en péril le caractère social de la zaouïa».
(Suivra)


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