Que devrions-nous comprendre à travers la formulation si prétentieuse qui sert d'en-tête à la pétition dite de sauvetage du journal El-Khabar ? Est-il possible que dans un pays libre où la liberté d'expression est consacrée par une immunité totale du journaliste, on puisse soutenir la thèse d'un complot d'Etat ? Les réponses à ces questions dépendent d'une simple dissertation sur les enjeux et les intérêts des uns et des autres. Dans cette affaire, tout se réduit à l'argent, à son manque d'odeur, aux appétences des uns et des autres, ainsi qu'aux ambitions inavouées et aux compromissions inavouables de certains. Désinformation et propagande El-Khabar n'est pas menacé de fermeture. C'est la transaction El-Khabar-Rebrab qui risque l'annulation pour non-conformité avec la règlementation en vigueur au cas où la justice rend son jugement en sa défaveur et conforte l'action en menée par le ministre de la Communication, Hamid Grine, au nom du gouvernement, qui a invoqué, dans cette transaction, une infraction à plusieurs articles de loi, notamment les articles 25 et 17 pour ne citer que ces deux textes. Quoi qu'il en soit, le journal arabophone El-Khabar et la chaîne éponyme, partie prenante dans cette affaire, n'ont pas jugé utile de respecter la règle de réserve durant l'instruction de ce procès, multipliant les accusations et les attaques contre l'autre partie au procès, et donnant colonnes et plateaux en tribune à ceux, parmi leurs défendeurs et défenseurs, qui veulent bien, sans connaissance du dossier, fournir de faux témoignages quotidiens qui valent leur pesant juridique lorsqu'une affaire est en cours de traitement par la justice. De fait, la justice a le droit et peut convoquer toutes les personnes qui se sont exprimées durant l'instruction pour les interpeller sur les témoignages qu'elles ont pu fournir sous forme de propagande médiatique, d'où peuvent ressortir des constats de diffamation, des cas de complaisance complice, ainsi que des aberrations juridiques qui ont dû, à un moment ou un autre du traitement du dossier, fausser les perceptions de l'opinion publique sur cette affaire et miner, avant même l'annonce du verdict, la décision de justice, censée être, de façon implacable, le reflet d'un respect et d'une application stricts des textes de loi. Un constat embarrassant pour tout ce beau monde peut être fait : Monsieur Rebrab se défend d'avoir un quelconque contrôle sur El-Khabar, mais, dans cette affaire, les colonnes de Liberté, son journal, d'El-Khabar, son autre nouveau journal, d'El-Watan, le journal associé dans les imprimeries ALDP et la ligne politique... heu, pardon...éditoriale, sont corps et âme dédiées quotidiennement à cette affaire, traduisant une inquiétude panique sur l'issue du procès qui, en annulant la transaction, annule de fait un pacte triangulaire, dont le 3e élément n'a pas besoin d'être cité dans ces lignes, qui peut être induit, de facto, en se penchant sur l'historique des écrits des deux journaux (El-Khabar et El-Watan) et sur le processus d'acquisition de leurs équipements et biens patrimoniaux. La vérité des faits Qu'arrive-t-il en fait dans cette affaire ? A l'origine, une transaction entre le groupe El-Khabar et une filiale du groupe Cevital dans laquelle le ministre de la Communication a vu des irrégularités par rapport aux textes de loi qui régissent l'information. El-Khabar, à l'origine un journal créé par des journalistes associés au lendemain de l'avènement du pluralisme médiatique, a laissé apparaître des dissensions entre ses propriétaires, non habitués à réinjecter des fonds dans un journal qui a été rentable de tous temps, et qui, du jour au lendemain, fait face à cette nécessité. Détenteur d'un patrimoine immobilier conséquent, dont certains biens en association avec El-Watan, quelque part à Alger et ailleurs, le groupe El-Khabar n'a pas jugé nécessaire de poursuivre «l'aventure intellectuelle» en procédant à la vente de quelques parties de ce capital immobilier. L'option a été, pour les actionnaires de réaliser le maximum de profit en vendant au montant «affairiste» (plus de trente années de dividendes anticipés pour chaque actionnaire) qui a été révélé après la transaction, en dépit des résistances des journalistes qui proposaient, eux, l'alternative respectable, d'une cession d'une partie du journal au collectif de journalistes. N'est-ce pas l'Etat algérien, qu'aujourd'hui ces journalistes-actionnaires dénigrent avec mépris, qui, au début des années 1990, a permis aux journalistes de créer leurs propres coopératives, moyennant l'octroi à chacun des actionnaires, de 45 mois de salaire, des coopératives qui, comme leur nom l'indique, étaient censées porter une aventure intellectuelle et dont la finalité était non pas de gagner de l'argent, mais de favoriser un véritable pluralisme médiatique ? Qu'advient-il aujourd'hui de cette belle aventure intellectuelle que devaient porter des journalistes alors juste libérés du joug du monologisme idéologique et de la parole unique ? Ouartilane ne se reconnaitrait plus dans ces journalistes-actionnaires affairistes qui jettent leurs collègues en pâture au pouvoir de l'argent, dont la finalité est de soumettre le pouvoir par l'emprise de l'argent. Au risque de le répéter, ces actionnaires-journalistes ont préféré vendre en accumulant chacun l'équivalent d'un capital de trente ans de dividendes anticipés, plutôt que de préserver une ligne éditoriale et un collectif qui a derrière lui rien de moins que l'histoire de la presse écrite algérienne d'après-ouverture médiatique. Que dénonce-t-on aujourd'hui ? Ces journalistes-actionnaires, de leur point de vue, défendent la perspective d'une validation, par la justice, de la transaction entre eux et Rebrab, car ils redoutent d'avoir à rembourser un argent qu'ils ont déjà commencé à dépenser, dont certains en achetant, de façon précipitée, des propriétés à l'étranger pour des places sous un soleil plus permissif aux quinquagénaires en mal de voyeurisme estival. Les journalistes, eux, qui n'ont pas l'appendice substantif «actionnaires» collé à leurs flancs, défendent leurs gamelles, mais ils le font de la mauvaise manière, car on leur a fait avaler la couleuvre qui consiste à croire que c'est la fermeture d'El-Khabar qui est en jeu et l'enjeu de cette action en justice, alors qu'il s'agit ni plus ni moins que de l'invalidation de la transaction qui a permis de céder 94% d'El-Khabar à Issaâd Rebrab. Quant à Issaâd Rebrab, lui, qui a fort à perdre à voir cantonner cette affaire à sa seule dimension commerciale, il a politisé les débats pour porter l'affaire sur le terrain du complot d'Etat ; seule façon pour lui d'accréditer, de manière anticipée, la thèse d'une instrumentalisation de la justice à des fins politiques qui consisteraient, selon lui, à empêcher un homme de son envergure de se doter d'un outil d'influence de la dimension d'El-Khabar en vue d'on ne sait quelle échéance envisagée, généreusement, avec ambition et pugnacité. Cet invraisemblable discours de dénonciation, que contredisent maintes et maintes actions, décisions et actes volontaristes de l'Etat, dont la récente suppression constitutionnelle du délit de presse et la consécration, de fait, d'une véritable immunité pour le journaliste, puisent à un argumentaire anachronique matière à se faire les victimes d'un complot devant l'opinion publique, ne laissant même pas à leurs propres lecteurs le soin de distinguer, par eux-mêmes, le bon grain de l'ivraie. L'information-désinformation, c'est celle-là même que nous promettent ceux qui croient à la presse, non pas comme outil d'information et de promotion de la culture, mais comme outil de propagande et de manipulation au profit du pouvoir de l'argent et au profit d'intérêts étroits d'individus et de groupes. Post-scriptum : Quand j'ai interrogé quelques journalistes d'El-Khabar pour savoir si leurs collègues journalistes-actionnaires avaient manifesté la moindre disposition à faire don de 5% ou 10% de la rente qu'ils ont reçue, j'ai vu sur les visages questionnés du dépit, du dégoût et presque une envie de pleurer. Et l'un d'eux de me répondre, l'air de jouer dans une pièce de Racine : «Tu rêves mon frère, cela fait longtemps que nos chers collègues se sont fait des crocs d'affairistes impitoyables, et s'ils vendent aujourd'hui, c'est la preuve que notre sort, à nous autres journalistes, leur importe comme leur dernière chaussette.» Où sont les victimes, où sont les comploteurs, où réside le délit ? La cession d'El-Khabar au pouvoir de l'argent est le plus grave des délits de presse.