«94% des actions ont été cédées à Issad Rebrab dans la société par actions (SPA) El Khabar. Il reste encore six actionnaires du groupe aux côtés de NessProd (qui racheté les 94%). Donc les arguments du ministre ne sont pas fondés», explique Cherif Rezki, directeur de publication d'El Khabar. Il y a quelques jours, le ministre de la Communication, Hamid Grine, a enclenché une action en justice pour faire annuler l'opération d'achat par Issad Rebrab des actions du groupe El Khabar. Le ministre s'est appuyé essentiellement sur deux articles du code de l‘information de 2012, dont l'article 17 qui stipule que «dans le cas de vente ou de cession de la publication périodique, le nouveau propriétaire doit demander un agrément conformément aux modalités prévues aux articles 11, 12 et 13 de la présente loi organique». Or, dans le cas d'El Khabar, «ce n'est pas la publication qui a été vendue. Il y a eu cession de parts de la SPA El Khabar, dont la publication est une filiale», précise Cherif Rezki. Juridiquement, «les arguments ne tiennent pas la route», appuie maître Belkacem Aït Salah, spécialisé en droit des affaires. «Le juge administratif est incompétent pour exercer son pouvoir juridictionnel car c'est une affaire à caractère commercial. Donc il doit impérativement, en droit et dans les faits, se déclarer incompétent et dire que la requête du ministre de la Communication est irrecevable dans la forme», précise-t-il. Entités différentes Et dans le cas où il y a litige, «il doit être orienté vers une juridiction de droit privé, soit le tribunal commercial compétent», conclut l'avocat. Le deuxième argument du ministre est l'article 25 qui stipule qu'«une même personne morale de droit algérien ne peut posséder, contrôler ou diriger qu'une seule publication périodique d'information générale de même périodicité éditée en Algérie». Selon les déclarations de Issad Rebrab à la chaîne Berbère Télévision, «la personne morale qui possède le quotidien Liberté, la SAEC, n'a rien à voir avec la personne morale NessProd qui a pris une participation dans le groupe El Khabar même si cette dernière est une filiale du groupe Cevital. Ce sont deux entités complétement différentes. Donc cet article ne peut pas s'appliquer», précise l'industriel avant d'ajouter que «du point de vu du droit, nous n'avons aucun problème». M. Rebrab se demande «si maintenant, dans notre pays, la loi va être appliquée ou pas». Le Syndicat national des journalistes (SNJ) a publié, avant-hier, un communiqué dans lequel il dénonce «la décision du ministère de la Communication de soumettre l'accord conclu entre les deux parties à l'appréciation des juges». Décision qui «cache mal les motivations politiques des commanditaires réels de toute cette opération dont l'objectif est, à n'en pas douter, de faire avorter le rachat du groupe El Khabar». Un cadre au ministère de la Communication, sous le couvert de l'anonymat, confirme que «le ministre a reçu des instructions d''en haut' afin d'annuler la reprise des actions par Rebrab. Il n'est en aucun cas question d'une démarche administrative ou commerciale» ; notre source précise que le ministre «s'est réuni, après l'annonce de la transaction, avec ses proches au ministère afin de trouver une faille pour annuler cet achat. Ils veulent que ce journal ferme à tout prix». «Lobby» Le SNJ s'interroge également comment «le ministre de la Communication, qui a à sa disposition une armée de conseillers juridiques, dont la majorité ont été les artisans directs de tous les textes qui régissent la corporation, notamment le code de l'information, ait mis plus d'un mois pour s'immiscer, et de manière aussi maladroite, dans cette affaire» Depuis son arrivée à la tête du ministère de la Communication, Hamid Grine a multiplié les tentatives d'asphyxie des journaux indépendants. Au forum d'El Moudjahid, cette semaine, il n'a pas hésité à déclarer qu'«un trio de journaux s'est constitué en lobby. Pour ce trio, il n'y a point de salut hormis l'invective, hormis peut-être le suicide. Tout est noir en Algérie», faisant allusion aux rédactions d'El Watan, d'El Khabar et de Liberté. Le même ministre qui a nié, il y a quelques mois, qu'il exerçait des pressions sur les annonceurs privés afin d'étouffer ces quotidiens, a fini par se démasquer sur le site d'information TSA en lançant carrément «un appel à tous les annonceurs privés pour leur dire de ne pas contribuer à renflouer les caisses des journaux qui sèment la discorde et renvoient une fausse image de l'Algérie».