Tenter de cerner avec autant d'objectivité que possible l'actuelle problématique relation entre l'Orient et l'Occident dans un ouvrage de plus de 250 pages est en soi un défi qui ne manque pas d'attirer à son auteur des critiques de tous horizons tant les passions sont exacerbées par l'intensité des bouleversements que connaît le monde aujourd'hui, en particulier dans sa région moyen-orientale. C'est le défi que relève avec panache le chercheur algérien en relations internationales, Amir Nour, avec la publication de son livre «L'Orient et l'Occident à l'heure d'un nouveau Sykes-Picot» (*) dont la version en langue arabe vient d'être publiée en mai 2016, a l'occasion du centenaire de la signature, le 16 mai 1916, des accords Sykes-Picot. Cet ouvrage tente de porter une voix singulière dans le tumulte médiatique et académique occidental qui, le plus souvent, nous sert de seule référence pour comprendre la relation Orient-Occident, avec tous les risques que comporte cette vision souvent unilatérale et intéressée des événements qui concernent notre région arabo-musulmane. Structurée en cinq chapitres allant d'«un monde post-américain» à la «vocation de l'Islam», la démarche de l'auteur part d'un constat affligeant rappelant que «le monde musulman aujourd'hui est aux prises avec des convulsions multiformes sans précédent». De ce fait, il se trouve «plongé dans un chaos dont certains aspects n'ont d'égal... que le visage hideux de sa longue nuit coloniale». Incapable de s'adapter aux bouleversements géostratégiques «dans un monde globalisé entrant dans une phase de recomposition accélérée», le monde musulman est amené à subir les conséquences de «changements que l'époque (lui) imposera de l'extérieur», comme le soulignait Malek Benabi cité dans le 5e chapitre de l'ouvrage. Par ailleurs, l'auteur nous rappelle que la fin de la guerre froide et son corollaire l'effondrement du camp socialiste d'Europe ont consacré «deux réalités majeures» que sont l'affirmation de la toute puissance hégémonique américaine et l'émergence d'un nouveau pôle de puissance notamment économique dans la région Asie Pacifique. Ces deux réalités ont bouleversé la configuration classique des relations internationales jadis basée sur la suprématie européenne qu'illustre à propos des accords «Sykes-Picot» de 1916 qui écartelaient la région moyen-orientale entre les deux des plus grandes puissances de l'époque, la Grande-Bretagne et la France, à l'heure du déclin de la seule puissance musulmane de l'époque, l'empire ottoman. La puissance européenne a été renforcée puis relayée par la puissance américaine dès la fin de la Première Guerre mondiale. Ce processus permet à l'Occident, particulièrement les Etats-Unis après les événements du 11 septembre 2001, de «mettre en œuvre leur stratégie de domination dans le monde musulman». Avant d'être mise en œuvre cette stratégie est, à l'évidence, conceptualisée à différents niveaux politiques, académiques, intellectuels et de presse, notamment les think tanks qui sont légion notamment dans le monde anglo-saxon et sont devenus de véritables machines à opinions. Dans ce contexte, l'auteur qui s'appuie sur une multitude de références bibliographiques, distingue 3 catégories «d'auteurs de la littérature occidentale traitant de l'Islam et des relations conflictuelles entre l'Occident et l'Orient ou entre la chrétienté et l'Islam» : les «ennemis irréductibles» comme l'Américain R. B. Spencer «qui va jusqu'à mettre en doute l'existence même du prophète de l'Islam» ou la journaliste italienne Oriana Fallaci « qui compare l'Islam au nazisme et au fascisme» ; les théoriciens du «choc des civilisations» comme le prof US Philips Huntington, le Britannique Nial Fergusson... dont la rhétorique est basée sur la confrontation ; et les partisans du dialogue des civilisations comme la Britannique Karen Armstrong, le prof John Louis Esposito... qui prônent «la connaissance mutuelle et le dialogue entre toutes les civilisations». Parmi les événements politiques majeurs enregistrés ces dernières années dans le monde arabo-musulman figure, à l'évidence, le Printemps arabe. Ce mouvement, à l'origine porteur de tous les espoirs légitimes des peuples arabes en révolte, a été détourné de sa voie originelle par et au profit de forces politiques rétrogrades tant locales qu'étrangères. D'espoir, le mouvement s'est transformé en cauchemar. Dans ce contexte, l'auteur écrit que les vents du Printemps arabe ont soufflé sur des «champs qui n'ont toujours pas fleuri». Il explique l'échec de ce processus par celui «patent des dirigeants politiques et des élites des pays de la région dans leur tentative de construction, après leurs indépendances, d'Etats-nations forts, démocratiques, justes et prospères». Soulignant que les dissensions internes au monde musulman ont été exacerbées «entre autres raisons, par les crises irakienne, syrienne, égyptienne et palestinienne» et rappelant que la cause palestinienne «est pour le moment mise entre parenthèses», l'auteur ajoute à juste titre que «le péril le plus grave qui le (monde musulman) menace de désintégration est incontestablement celui de la discorde que représente le conflit, aux allures inédites, entre chiites et sunnites». Revenant à l'antagonisme Occident-Orient, l'auteur cite Tony Blair ancien Premier ministre de la Grande-Bretagne qui considère que «l'islamisme est une idéologie incompatible avec le monde moderne- politiquement, socialement et économiquement». Le Premier ministre israélien lui emboîte le pas et déclare que «le terrorisme islamique provient d'une source culturelle hautement irrationnelle». Ceci nous conduit au «rôle important que joue Israël dans les plans de démembrement des Etats arabes et d'approfondissement des clivages ethniques et confessionnels dans le monde musulman». Parmi le nombre impressionnant d'écrits sur les relations d'Israël avec le monde arabo-musulman, l'auteur rappelle un qui est devenu une «référence» en la matière. Il s'agit du tristement célèbre «Plan Oded Yinon» qui constitue le meilleur «des scenarii dont pourraient rêver les concepteurs des plans de déstabilisation, d'affaiblissement, de démantèlement et de domination du monde arabo-musulman». Dans ce sillage, le journaliste israélien Aluf Benn écrit dans un article publié en mars 2011 dans Haaretz que «l'Occident comme Israël préfère voir un Moyen-Orient fragmenté et occupé par des querelles intestines permanentes et ne fera rien pour compromettre le processus de fission en cours». Revenant aux facteurs endogènes d'affaiblissement du monde musulman, l'auteur souligne avec pertinence la responsabilité des dirigeants arabo-musulmans dans cette situation en citant un article publié par The Economist du 5-11 juillet 2014 où il est dit que «le mantra des monarques et des militaires (dirigeants arabes) est la «stabilité». En temps de chaos, l'attrait qu'elle représente est compréhensible ; mais la répression et la stagnation ne constituent pas une solution... Les dirigeants dans leurs palais doivent comprendre que la stabilité nécessite la réforme. C'est un message aux dirigeants arabes qui mêlent sciemment stabilité et immobilisme voire régression pour justifier le statu quo contre la volonté de leurs peuples, mettant ainsi en danger l'existence même de leurs nations. Dans ce contexte, l'auteur se réfère au Dr Ahmed Taleb Ibrahimi qui déclare : «Il y a 50 ans nous rêvions de l'unité arabe et islamique. Aujourd'hui, par une étrange ironie, nous en sommes arrivés à craindre même pour la préservation de l'intégrité des entités existantes.» L'auteur poursuit sur un rappel opportun et succinct de la vision de Malek Benabi sur l'Islam, le monde arabo-musulman et ses relations avec l'Occident. Qualifié par l'auteur de visionnaire, Benabi écrit notamment «...nous devons, nous autres musulmans, introduire des changements au sein de nos sociétés, sous peine de subir d'autres changements que l'époque nous imposera de l'extérieur.» Pour conclure, l'auteur nous rappelle l'effort laborieux que dispensent certains intellectuels occidentaux pour la promotion du dialogue entre l'Orient et l'Occident. Cet effort courageux qui n'est pas sans risques, est illustré par les écrits de Richard Bulliet, professeur d'histoire à la Columbia University de New York, demandant le retrait du discours public de l'expression «choc des civilisations» et son remplacement par le concept de «civilisation islamo-chrétienne». Le dialogue entre religions et civilisations prendrait tout son sens. En ces temps de troubles et d'incertitudes qui marquent notre région, cet ouvrage vient à propos pour tenter d'éclairer celles et ceux qui, parmi nous, ou au-delà de la Méditerranée, s'interrogent et s'inquiètent sur l'avenir d'une région actuellement en proie au déluge de feu et de fer, mais qui n'aspire qu'à la paix et au développement. L'ouvrage comporte 4 appendices sur les accords de Sykes-Picot, une conférence de Lord Lothian, un entretien avec ce dernier et une conférence sur la politique étrangère du président américain Barack Obama. (*) Amir Nour «L'Orient et l'Occident à l'heure d'un nouveau «Sykes-Picot» Editions «Alem El Afkar» Mohammadia- Alger – 2014- 252 pages. Version en langue Arabe publiée par «Alem El Afkar» en mai 2016.