Le petit führer d'Ankara est en train de nous refaire le coup de l'incendie du Reichstag en 1933 avec Fethullah Gülen dans le rôle de Lubbe. Les historiens sont divisés sur l'implication du jeune communiste vrai-faux pyromane tout comme les observateurs le sont sur celle du prédicateur et intellectuel sunnito-soufi, bête noire du sultan. Il n'y a en réalité peut-être pas de fumée sans feu et les gulenistes pourraient y être pour un petit quelque chose, sans forcément que leur source d'inspiration soit au courant. Comme chaque année, sont décidées au mois d'août les promotions ou rétrogradations des officiers de l'armée turque, et chacun s'attendait à une nouvelle purge contre les militaires soupçonnés de proximité avec Gulen. Ceux-ci ont peut-être tout simplement pris les devants dans une tentative de la dernière chance. Mais beaucoup de choses restent quand même curieuses... Pourquoi les putschistes ont-ils déclenché les opérations un vendredi soir alors que tout le monde est dans la rue (la nuit aurait été une meilleure option) ? Pourquoi n'ont-ils pas visé l'entourage du sultan et se sont-ils contentés de garder des ponts ? Pourquoi, chose très intéressante et passée inaperçue, n'ont-ils pas abattu l'avion d'Erdogan alors que deux F16 aux mains des rebelles en avaient la possibilité directe ? Comme le dit une source militaire interrogée, « c'est un mystère ». Qu'il ait appris le coup à l'avance et ait décidé d'en profiter ou qu'il l'ait orchestré lui-même, le sultan a lancé l'une des plus grandes chasses aux sorcières de l'histoire turque. Militaires, juges ou simples intellectuels critiques : tout y passe. 8 700 policiers mis à pied, 30 gouverneurs et 50 hauts fonctionnaires limogés, 6 000 militaires et 755 juges placés en détention, 103 généraux et amiraux en garde à vue et interrogés, le propre conseiller militaire présidentiel arrêté... Une véritable Nuit des longs couteaux. A tel point que la pourtant munichoise UE pense (et le dit) que les listes de suspects étaient déjà prêtes, préméditées. Pour bien faire, Erdogan demande à ses supporters de rester dans la rue, en théorie pour « mettre en échec une nouvelle tentative de putsch », en réalité pour faire peser la pression de la rue et instaurer un climat de peur. On ne sait pas vers quel iceberg se dirige le Titanic turc, mais il y va à pleine vapeur ! C'était prévisible. Et maintenant place aux deux grands. On note tout de suite un gros froid avec les Etats-Unis et un net réchauffement des relations avec la Russie. Dès samedi, la base otanienne d'Incirlik, d'où décollent les avions américains, avait été interdite d'accès et privée d'électricité. L'on pouvait se dire qu'il s'agissait seulement du contrecoup (admirez le jeu de mot) : effectivement, plusieurs officiers supposés putschistes y ont ensuite été arrêtés, y compris le propre commandant de la base ! Depuis, les opérations semblent avoir repris. Mais cet épisode laissait un goût étrange dans la bouche : des officiers, partisans supposés de l'opposant n°1 à Erdogan en exil aux Etats-Unis, arrêtés sur une base utilisée par ces mêmes Etats-Unis. Choderlos de Laclos aurait parlé de liaisons dangereuses... (A suivre)