Les élections municipales sont le premier baromètre qui va sans doute changer la donne politique en Turquie. Tous les observateurs s'accordent à dire que ce scrutin sera crucial, surtout dans un contexte vicié, marqué par de grands déballages sur la corruption touchant l'entourage immédiat du Premier ministre. Des affaires qui s'ajoutent aux décisions policières d'Erdogan de fermer le réseau de microblogging Twitter et YouTube, après la fuite retentissante d'une réunion secrète consacrée à la Syrie. Pour le Premier ministre, il n'y a pas l'ombre d'un doute que ces révélations fracassantes lancées sur internet sont le fait de la puissante confrérie de Fethullah Gülen. Depuis 2011, celle confrérie – qui a soutenu Erdogan et son parti, l'AKP, pour conquérir le pouvoir et le garder dix ans durant – a pris ses distances avec le Premier ministre, devenu arrogant à ses yeux. Elle lui reproche aussi ses accointances avec les milieux d'affaires pas très recommandables et sa volonté de fermer les écoles de la confrérie. La rupture, étant donc consommée entre les deux camps, ouvre la voie aux coups bas et aux chausse-trappes. Cette lutte entre le gouvernement de l'AKP et la Jamaa, devenue un «Etat dans un Etat», selon Erdogan, a connu son point d'orgue lors des manifestations populaires de juin dernier. La rue, qui écumait déjà contre son autoritarisme, a explosé la face du Premier ministre qui voulait transformer un jardin public en un ensemble immobilier à Istanbul. La bataille d'Istanbul Pour les gullénistes et les segments laïcs de la Turquie, Erdogan voulait, à travers ce projet, faire plaisir à ses amis, riches entrepreneurs, qui le lui rendent bien. L'opération coup de filet lancée en décembre dernier contre des personnalités proche du Premier ministre, notamment les enfants de trois ministres coupables de corruption, a édifié un grand nombre de Turcs. Mais au lieu de laisser la justice faire son travail, le Premier ministre a lancé la chasse aux sorcières en procédant à des mutations et des radiations arbitraires contre les juges et les policiers à l'origine de la révélation des scandales. Depuis, il ne se passe plus un jour sans que les deux camps n'échangent des accusations. Si la confrérie a beau jeu de dénoncer la corruption de l'entourage du Premier ministre, Erdogan, lui, tente vainement de faire croire qu'il fait face à un complot ourdi de l'extérieur. A coup de meetings, de prestations télévisées et autres explications diplomatiques, Erdogan essaye de discréditer les partisans de Fethullah Gullen, celui-ci étant réfugié aux Etats-Unis. C'est soucieux d'exister sans l'appui de la confrérie, voire contre elle, que Erdogan et son parti vont tenter de prouver par les urnes que le peuple est avec eux. Un test sérieux qui devra trancher le poids des uns et des autres, sous réserve de la régularité du scrutin. Et la première bataille sera celle, très symbolique, de la ville d'Istanbul, qui totalise un cinquième de la population du pays avec ses 10 millions d'habitants. «Celui qui gagne Istanbul remporte la Turquie», a répété, à de nombreuses reprises, Erdogan, qui fut le maire de la plus grande ville de Turquie. Le candidat du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, le maire sortant Kadir Topbas, fait toutefois la course en tête, mais l'écart qui le sépare de son rival du CHP, Mustafa Sarigül, reste ténu, autorisant toutes les supputations. Plus généralement, le scrutin d'aujourd'hui prend l'allure d'un référendum confirmatoire ou révocatoire pour le Premier ministre qui brigue la présidence de la République en août prochain.