La qualification de François Fillon à la primaire de la droite pourrait renforcer les tensions entre François Hollande et Manuel Valls en vue de la présidentielle. Personne, à gauche, n'avait vu venir la victoire aussi large de François Fillon au premier tour de la primaire de la droite et du centre. Mieux, dans le livre Un président ne devrait pas dire ça (Stock), paru le 12 octobre, François Hollande estimait carrément que l'ancien Premier ministre n'avait «aucune chance». «Non pas parce qu'il n'a pas de qualités, il en a sans doute, ni un mauvais programme, il a le programme le plus explicite, non pas parce qu'il n'a pas de densité personnelle... Mais son rôle est tenu par Juppé. C'est-à-dire, pourquoi voter Fillon alors qu'il y a Juppé ?», faisait remarquer le président de la République. Preuve en est que M. Hollande, souvent présenté comme un excellent observateur de la vie politique française, avait cette fois mal réglé sa lunette. Le chef de l'Etat a d'abord longtemps cru que la présidentielle de 2017 serait le décalque de celle de 2012, avec la qualification à droite de Nicolas Sarkozy. Depuis la rentrée de septembre, l'Elysée s'était finalement résolu à abandonner son meilleur adversaire, constatant que M. Sarkozy ne parvenait pas à installer une dynamique de campagne durable. Faute de M. Sarkozy, ce serait donc Alain Juppé. Mauvaise pioche... «Sortez les sortants» Dimanche soir, on voulait néanmoins voir le verre à moitié plein dans l'entourage de M. Hollande. La qualification de M. Fillon présenterait deux avantages pour un chef de l'Etat mal en point dans les sondages et vu comme incapable de se représenter à un nouveau mandat par une bonne partie de son propre camp. «Le score de Fillon est la preuve que les sondages six mois avant ne veulent rien dire», explique un proche du président de la République. A croire que le coup de tonnerre Fillon serait presque une bonne nouvelle pour M. Hollande : puisque personne ne voyait l'ancien premier ministre gagnant et qu'il a réussi à se qualifier, pourquoi le chef de l'Etat n'en ferait-il pas de même en janvier 2017, lors de la primaire de la gauche ? Un optimisme qui frôle la méthode Coué pour beaucoup de socialistes. A commencer par les proches de Manuel Valls. «Penser que la victoire de Fillon est bonne pour Hollande traduit une forme d'inconscience politique», explique un soutien du Premier ministre. Au contraire, du côté du chef du gouvernement, on estime que les résultats de dimanche sont de très mauvais augure à gauche si le chef de l'Etat devait concourir en janvier. Ils témoigneraient d'un réflexe devenu systématique chez les électeurs : «Sortez les sortants.» «Il y a d'abord eu Duflot à la primaire des écologistes. Ce soir, c'est Sarkozy. Dimanche prochain, ce sera Juppé. Le prochain s'appellera Hollande», affirmait dimanche un supporteur de M. Valls. La victoire annoncée de M. Fillon risque donc de renforcer les tensions au sommet de l'Etat au sein du couple exécutif dans la perspective de 2017. D'autant que, pour M. Valls, qui ne cesse de se démarquer du président de la République, la victoire du député de Paris a valeur de test : un Premier ministre qui rompt avec son ancien chef de l'Etat, comme M. Fillon l'a fait avec M. Sarkozy durant la campagne de la primaire, cela paie à l'arrivée... Ecarter toute ambiguïté sociale-libérale Chacun à gauche voit donc un avantage pour lui-même dans la qualification surprise de M. Fillon. Pour Benoît Hamon et Arnaud Montebourg, tous deux candidats à la primaire de janvier 2017, c'est la preuve qu'une forte mobilisation des électeurs peut renverser tous les pronostics. «Il vaut mieux être une tortue constante et cohérente, même un peu terne, qu'un lièvre vibrionnant», explique François Kalfon, directeur de la campagne de l'ancien ministre de l'Economie et du redressement productif. Surtout, pour ces deux opposants internes à la ligne Hollande-Valls, le positionnement clairement à droite de M. Fillon oblige les socialistes à écarter toute ambiguïté sociale-libérale. «Face à la ligne dure de Fillon, il faut un projet de gauche sans équivoque», a réagi dimanche M. Hamon sur Twitter. «Avec son programme thatchérien et réactionnaire sur les questions de société, Fillon ouvre la porte à un candidat authentiquement de gauche et potentiellement rassembleur», estime M. Kalfon, visant clairement pour M. Montebourg l'électorat socialiste et communiste. Emmanuel Macron n'a fait aucun commentaire dimanche soir, mais, même chez le dernier candidat en date à la présidentielle, on se réjouirait presque de ce scénario imprévu. Son entourage considère que l'élimination de M. Sarkozy peut entraîner la non-candidature en 2017 de François Bayrou, et ouvrir un espace à prendre au centre.