Leurs rythmes, leurs chants et leurs sons ont contribué à façonner la musique américaine du XXe siècle, du blues au rock: cet apport des Amérindiens, largement occulté, est maintenant loué dans le documentaire «Rumble». C'est un travail d'archéologue auquel il a fallu se livrer pour identifier, dans la musique moderne, les traces des «Native Americans», les Indiens d'Amérique, le plus souvent cachées, volontairement ou non. Car «au début du XXe siècle, personne ne voulait être un Amérindien», souligne Stevie Salas, guitariste renommé, d'origine apache et producteur exécutif du documentaire, «Rumble: The Indians Who Rocked the World». Déplacés, parqués, voire massacrés durant les XVIIIe et XIXe siècles, les Amérindiens n'ont en effet obtenu la pleine citoyenneté américaine qu'en 1924, plus de cinquante ans après les Noirs (1868). Considérés comme non-Blancs, ils ont continué à subir par la suite la ségrégation raciale jusque dans les années 1960. «Notre culture a également été prise pour cible», explique dans le document le musicien et activiste John Trudell, originaire de la tribu Santee, rappelant le massacre de Wounded Knee, en 1890. Craignant la montée d'un mouvement religieux baptisée «Ghost Dance», célébré par des danses et de la musique, l'armée américaine s'en est en effet pris, à l'époque, aux Indiens Lakota, tuant environ 300 hommes, femmes et enfants dans le Dakota du Sud. «C'était un génocide, et ils voulaient effacer toute perception culturelle que nous avions de la réalité», martèle John Trudell dans le documentaire, coproduit par la chaîne franco-allemande Arte, qui le diffusera le 1er décembre. - Un Indien père du blues ? - Pourtant dès l'invention du blues - genre fondateur de la musique américaine moderne - les Amérindiens étaient représentés, notamment par l'intermédiaire de Charley Patton (1891-1934), d'origine choctaw, une tribu du sud-est des Etats-Unis. C'est l'une des découvertes de l'auteur canadien d'origine amérindienne Brian Wright-McLeod, qui a tout remis à plat dans son «Encyclopedia of Native Music» (2005), base du documentaire qui est projeté à New York jusqu'au 8 août et qui le sera également dans plusieurs villes des Etats-Unis jusqu'en septembre. Pour le célèbre rockeur Jack White, Charley Patton est même le père spirituel du «Delta Blues», courant fondateur issu du delta du Mississippi. «Il était une référence pour tous les autres musiciens blues» de l'époque, a-t-il expliqué en 2015 à la radio publique NPR. Le documentaire fait ainsi la démonstration que le blues ne tient pas uniquement ses origines des Afro-Américains, mais aussi des Amérindiens. Certains reconnaissent même dans le rythme et le chant de Patton plusieurs caractéristiques de la musique indienne. Outre Charley Patton, d'autres guitaristes de légende d'origine indienne ont été considérés comme des influences majeures de l'histoire du rock, à commencer par Link Wray, dont le morceau emblématique, «Rumble», a donné son nom au film. «Il n'y aurait peut-être pas eu les Who, le Jeff Beck Group, ou Led Zeppelin, sans Link Wray», affirme le batteur du groupe rock Foo Fighters, Taylor Hawkins, dans le film. Tout au long du documentaire, un impressionnant aréopage de stars du rock défile pour rendre hommage à ces pionniers, aux origines souvent tues. «Quand nous avons fait «Rumble», nous savions que nous devions amener les gens à penser différemment de ce qu'on leur avait appris toute leur vie», explique Stevie Salas, qui est à l'origine du projet. «Et pour cela, nous avions besoin que des gens célèbres et crédibles le disent et en fassent la preuve». A partir des années 60, des artistes ont connu le succès tout en revendiquant leur généalogie indienne, comme la chanteuse folk canadienne Buffy Sainte-Marie ou le guitariste Jesse Ed Davis, prisé des Beatles ou des Rolling Stones. Mais pour la reconnaissance, il a fallu attendre beaucoup plus longtemps. «Les gens ne savaient pas si c'était lié à la mode et à l'esprit des années 1960, ou s'ils s'habillaient comme ça parce qu'ils étaient Amérindiens», explique Stevie Salas. «Je sais que ça semble dingue», dit-il, mais ce n'est que durant les années 1990 et (le film) «Danse avec les loups» que les Etats-Unis ont accepté cet amour de la culture indienne.