L'utilisation des écoles ou des lycées comme lieux de torture pendant notre Guerre de libération est un fait avéré. Ils ont été squattés, en période de vacances estivales, par les parachutistes du général Massu et du colonel Bigeard pour y mener leurs interrogatoires. Ben Youcef Rebah et d'autres ont été transférés au camp de Beni Messous. C'était un centre de tri, «déclaré». «On était plus à l'aise», a-t-il fait remarquer. Il n'y avait pas de corvées. Le camp était administré par un commissaire qui était membre de la SFIO (à l'époque, le chef du gouvernement français était le socialiste Guy Mollet). Régime carcéral, les visites de familles tous les 15 jours. La liste des internés était remise à la préfecture pour un semblant de légalité. Il y avait quelque 30 tentes (guitoun) dans un espace entouré de fils barbelés, à raison de 20 à 30 par tente. Une tente était réservée à une cinquantaine de femmes détenues. Après Beni Messous, Ben Youcef a été transféré au centre de Camp du Maréchal (Tadmaït) qui était réservé aux 18 à 20 ans. Lui, avait 18 ans. «Dès que nous sommes arrivés au camp, à la descente des camions, ce fut une pluie de coups jusqu'aux baraquements que nous avions rejoints en rampant sur plus d'une centaine de mètres», a-t-il raconté. Le centre était tenu par les chasseurs alpins. Régime carcéral. Accès aux toilettes deux fois par jour. Un chef de salle était désigné pour chaque baraque. Il y avait parfois la visite de parlementaires français, les militaires présentaient des détenus, bien propres, bien habillés et les faisaient passer devant des panneaux représentant les «bienfaits» du colonialisme (photos d'hôpitaux, d'écoles...). Il fallait faire semblant d'être intéressés par cette «exposition». Les militaires donnaient des cours qui consistaient surtout à apprendre La Marseillaise et à la réciter. Quand un militaire français rentrait dans la salle, au signal du chef de salle «1, 2, 3», les détenus devaient crier trois fois «vive la France !» et lorsque le militaire allait partir, le chef de salle lançait, à trois reprises, «Algérie !» et les détenus devaient compléter «française !».Ben Youcef s'est rappelé un détenu qui avait été arrêté à Paris et amené à Camp du Maréchal et qui avait refusé de crier «vive la France». Les militaires l'ont sorti de la baraque et l'ont isolé dans un coin pour l'obliger à le faire mais au signal «1, 2, 3», il lançait «vive l'Algérie!». Les militaires ont eu beau insister, il criait à chaque fois «vive l'Algérie!» et à la longue s'est mis à crier n'importe quoi. «Nous avions assisté à cette scène. Les militaires l'ont emmené et on ne l'a plus revu», s'est souvenu Ben Youcef. A Camp du Maréchal, on trouvait des jeunes rescapés d'accrochages. Ils servaient comme «accessoires» à l'armée coloniale; les soldats les prenaient comme supports pour les armes lourdes lors des combats contre l'Armée de libération nationale. La riposte des moudjahidine touchaient d'abord ces pauvres malheureux. Ces jeunes étaient également utilisés comme boucliers humains dans les assauts contre les moudjahidine de l'ALN réfugiés dans les grottes. Sur une centaine, les «rescapés» n'étaient que 15 ou 20 à revenir au centre de Camp du Maréchal. Ben Youcef Rebah avait été arrêté une première fois, en mars 1957, en compagnie de son père, Ahmed Rebah, au domicile de Saint-Eugène. Ils furent conduits de nuit tous deux vers une villa située à quelques km, aux Deux Moulins, mise à la disposition des parachutistes, les bérets bleus, qui s'en servaient comme lieu de torture. Les personnes arrêtées étaient emmenées dans une cave réaménagée et partagée en box ceinturés de fils barbelés, sans cloisons entre eux, «comme en Indochine», leur avait-on dit. La cave donnait directement sur la mer. Les corps des détenus qui succombaient sous les tortures étaient jetés à la mer. Ben Youcef et son père ont été gardés, une nuit, dans un de ces boxes. L'intervention d'un voisin, notable musulman, auprès du capitaine qui commandait ce centre, les sauva d'une «disparition» certainement programmée par les parachutistes. Ils furent extraits de la cave et conduits au Cercle du Baron, à quelques mètres de là, avant d'être libérés dans la matinée. Ben Youcef a été arrêté une troisième fois, un jour de septembre 1959, dans l'après-midi, pour avoir protesté contre des parachutistes qui brutalisaient son père qu'ils venaient d'arrêter dans la rue à Saint-Eugène. Ils furent emmenés, tous deux, au Casino de la Corniche (Pointe-Pescade, aujourd'hui Rais Hamidou) transformé en lieu de torture (après l'attentat à la bombe qui l'a visé le 3 juin 1957). Ben Youcef a été libéré la nuit même (au moment du couvre feu), après l'intervention d'un voisin partisan de l'Algérie française, Mourad Kaouah (qui a, par contre, aggravé la situation du père en le désignant comme le responsable de l'engagement dans l'ALN de l'aîné, Nour Eddine). Les parents, les petits frères et la petite sœur de Ben Youcef étaient effrayés par son état quand il entra à la maison. Les marques de coups étaient bien visibles et il souffrait du genou. Jeté dans un petit vestiaire du Casino, transformé en cellule, « ils se sont mis à plusieurs à me frapper sans arrêt», avait-il raconté. Ben Youcef fut contraint d'interrompre ses études à cause de ces arrestations. Après sa libération de Camp du Maréchal en 1958, il s'est trouvé exclu du Collège Guillemin (actuel lycée Okba) où il était inscrit. L'année scolaire était déjà largement entamée et avec la grève 1956-1957, cela lui faisait deux années consécutives d'absence. Il ne pourra reprendre ses études qu'après l'indépendance. Jusqu'à juin 1965, il a été journaliste à Alger Républicain. Il occupa ensuite un poste de cadre dans la TAL (future Sonipec) puis à la SNLB, et a servi honnêtement son pays, sans jamais réclamer son «attestation communale». Il est décédé le jeudi 30 mars 2017 à Alger, à l'âge de 78 ans. M'hamed Rebah (frère de Ben Youcef) (Suite et fin)