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Eté 1957 : Quand le lycée de Ben Aknoun était un lieu de torture secret
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Publié dans El Watan le 29 - 04 - 2017

L'utilisation des écoles ou des lycées comme lieux de torture pendant notre Guerre de Libération est un fait avéré. Ils ont été squattés, en période de vacances estivales, par les parachutistes du général Massu et du colonel Bigeard pour y mener leurs interrogatoires. Le lycée de Ben Aknoun, à Alger, (actuel lycée El Mokrani), a été un lieu de détention, tenu secret, dont la fonction se situait «à mi-chemin» entre le centre de torture (en amont, évidemment secret également) et le centre d'internement (en aval, qui avait un statut «administratif», à la limite «légal»).
C'était un «centre de tri» né de la légalisation, en avril 1957, des centres clandestins dans lesquels les parachutistes détenaient des Algériens depuis janvier 1957. Mais ces centres de tri étaient contrôlés par les militaires et échappaient au pouvoir civil (préfectoral et judiciaire).
Durant l'été 1957, Ben Youcef Rebah a été détenu au lycée de Ben Aknoun, occupé par les parachutistes, bérets verts. Il avait été arrêté le 21 août 1957, au domicile familial, à Saint-Eugène, dans la proche banlieue d'Alger, par les soldats du 3e régiment de parachutistes coloniaux, commandé par le colonel Bigeard, qui ont fait irruption dans son petit appartement de deux pièces, en pleine nuit, alors que toute la famille dormait. Ils ont demandé en hurlant «Benyoucef !».
Réveillés brutalement, les enfants ont assisté à l'arrestation de leur frère. La maman de Benyoucef, qui tentait de lui remettre un vêtement pour se couvrir (les nuits commençaient à être fraîches), en a été empêchée par un soldat qui lui a barré l'étroit couloir à l'aide de son fusil, «c'est juste une chemise», lui dit-elle, «ce n'est pas nécessaire», lui a lancé le para, «même pas les chaussettes», ajouta-t-il. Ben Youcef eut juste le temps de mettre ses chaussures. Les parents regardaient, sans pouvoir réagir, leur fils quitter la maison au milieu de la horde de parachutistes, après l'aîné, Noureddine, qui avait rejoint les rangs de la Wilaya IV en juin 1956, et Mohamed, arrêté en janvier 1957.
Ils ignoraient totalement où les parachutistes allaient l'emmener. Ben Youcef racontera plus tard qu'il fut dirigé d'abord vers une école située à Fort l'Empereur, à l'entrée d'El Biar. Après avoir subi le supplice de la baignoire dans cette école où se pratiquait la torture sur les détenus gardés au secret, Ben Youcef fut transféré au lycée de Ben Aknoun, ensuite au camp de Beni Messous, puis à Camp du Maréchal, d'où il sera libéré quelques mois après. A Ben Aknoun, le centre de tri était installé dans l'internat du lycée. Les détenus, amenés par camions militaires, notamment de La Casbah et de Saint-Eugène, étaient enfermés dans des salles, dont les fenêtres, grillagées, donnaient sur un champ clôturé avec du fil barbelé. C'était la promiscuité.
«On était 200, à raison de 40 à 50 par salle, à même le sol. Il y avait une salle pour les femmes», a raconté Ben Youcef, qui se souvient des détenues Fadhila Dziria et sa sœur, Goucem, et Latifa (toutes trois membres de l'orchestre féminin de Meriem Fekkaï, qui comprenait aussi la militante Fatma Zohra Achour dite Aouicha). Fatma Baïchi, qui était avec elles, a livré ses souvenirs à Djamila Amrane pour son livre Femmes dans la guerre d'Algérie. Elle se rappelle : «Vingt-deux femmes étaient dans ce dortoir. Nous n'avions rien, pas de couvertures, rien, une salle cimentée, nous nous bagarrions pour des bouts de papier qu'on mettait sous la tête comme oreillers, c'est tout.»
En automne 1957, il y a eu l'épidémie de grippe asiatique, les détenus du lycée de Ben Aknoun faisaient du 40° de fièvre, tous ont été vaccinés, en urgence, piqués comme du bétail, sinon ça aurait été l'hécatombe. Les détenus avaient droit aux toilettes deux fois par jour. Elles n'avaient pas de porte. Quand quelqu'un était dans les toilettes, un autre devait se mettre devant pour faire office de porte. Une fois, les détenus ont été privés de nourriture pendant trois jours. Puis, les militaires ont ramené des rations alimentaires dans des grands bidons, destinées, à l'origine, à l'armée française et devenues impropres à la consommation. Tous les détenus ont eu, ensuite, des problèmes de digestion, des crises de foie, des diarrhées.
Il n'y avait évidemment pas de visite. Le seul échange avec l'extérieur venait des «nouveaux». «On les voyait qui arrivaient, après être passés par un centre de torture, très amochés, et on voyait partir ceux que les gendarmes ou les gardes mobiles venaient reprendre et qui, très rarement, revenaient. Quand quelqu'un, arrêté, parlait sous la torture et désignait un détenu se trouvant à Ben Aknoun, les gendarmes ou les gardes mobiles ou les paras venaient le chercher», a raconté Ben Youcef. Les indicateurs, les «bleus»- comme on les appelait, parce qu'ils étaient habillés en bleu de chauffe- venaient souvent dans la salle, le visage découvert ou caché à l'aide d'un sac passé sur la tête (d'où leur surnom de bouchkara), ils fixaient longuement chacun, dans le but de découvrir un suspect qu'ils désigneraient alors aux paras pour qu'il soit emmené.
«Pour nous, c'était un moment de grande angoisse devant le risque de retourner à la salle de torture et de finir ‘‘disparu''», s'est souvenu Ben Youcef. Sur la porte de la salle de torture, un écriteau avertissait les détenus : «Ici, on entre comme des lions, on sort comme des moutons.» Il s'est rappelé le jour où Lounis Khodja (qui sera président d'une organisation patronale après l'indépendance) a été ramené de la salle de torture après avoir été affreusement brûlé au chalumeau.
Dans le centre, pour un rien, les coups pleuvaient. Les parachutistes rivalisaient en brutalité et s'amusaient à humilier les détenus. Le chanteur Lamari était dans le camp de Ben Aknoun. Un des indicateurs l'ayant reconnu exigea qu'il chante une chanson, Bambino, et Lamari a dû obéir. Un jour, un légionnaire s'est mis au centre du camp et, montrant du doigt des avions de chasse qui passaient, a lancé avec cynisme: «Regardez, ils emmènent Ali La Pointe au ciel». Les détenus comprirent qu'Ali La Pointe était mort. C'était début octobre 1957. Avec la rentrée scolaire, le lycée devait reprendre sa fonction d'établissement d'enseignement. Les détenus furent obligés de remettre en état les salles avec les tables et les chaises.
Ben Youcef Rebah et d'autres ont été transférés au camp de Beni Messous. C'était un centre de tri «déclaré». «On était plus à l'aise», a-t-il fait remarquer. Il n'y avait pas de corvées. Le camp était administré par un commissaire qui était membre de la SFIO (à l'époque, le chef du gouvernement français était le socialiste Guy Mollet). Régime carcéral, les visites des familles tous les 15 jours. La liste des internés était remise à la préfecture pour un semblant de légalité. Il y avait quelque 30 tentes (guitouns) dans un espace entouré de fils barbelés, à raison de 20 à 30 par tente. Une tente était réservée à une cinquantaine de femmes détenues.
Après Beni Messous, Ben Youcef a été transféré au centre de Camp du Maréchal (Tadmaït), qui était réservé aux 18/20 ans. Lui avait 18 ans. «Dès que nous sommes arrivés au camp, à la descente des camions, ce fut une pluie de coups jusqu'aux baraquements que nous avions rejoints en rampant sur plus d'une centaine de mètres», a-t-il raconté. Le centre était tenu par les chasseurs alpins. Régime carcéral. Accès aux toilettes deux fois par jour. Un chef de salle était désigné pour chaque baraque. Il y avait parfois la visite de parlementaires français, les militaires présentaient des détenus, bien propres, bien habillés et les faisaient passer devant des panneaux représentant les «bienfaits» du colonialisme (photos d'hôpitaux, d'écoles,...).
Il fallait faire semblant d'être intéressé par cette «exposition». Les militaires donnaient des cours qui consistaient surtout à apprendre La Marseillaise et à la réciter. Quand un militaire français rentrait dans la salle, au signal du chef de salle «1, 2, 3», les détenus devaient crier trois fois «vive la France !» et lorsque le militaire allait partir, le chef de salle lançait, à trois reprises, «Algérie !» et les détenus devaient compléter «française !».
Ben Youcef s'est rappelé d'un détenu qui avait été arrêté à Paris et amené à Camp du Maréchal et qui avait refusé de crier «vive la France». Les militaires l'ont sorti de la baraque et l'ont isolé dans un coin pour l'obliger à le faire, mais au signal «1, 2, 3», il lançait «vive l'Algérie!». Les militaires ont eu beau insister, il criait à chaque fois «vive l'Algérie!» et à la longue, il s'est mis à crier n'importe quoi. «Nous avions assisté à cette scène. Les militaires l'ont emmené et on ne l'a plus revu», s'est souvenu Ben Youcef.
A Camp du Maréchal, on trouvait des jeunes rescapés d'accrochages. Ils servaient comme «accessoires» à l'armée coloniale, les soldats les prenaient comme supports pour les armes lourdes lors des combats contre l'Armée de libération nationale. Les ripostes des moudjahidine touchaient d'abord ces pauvres malheureux. Ces jeunes étaient également utilisés comme boucliers humains dans les assauts contre les moudjahidine de l'ALN réfugiés dans les grottes. Sur une centaine, les «rescapés» n'étaient que 15 ou 20 à revenir au centre de Camp du Maréchal.
Ben Youcef Rebah avait été arrêté une première fois en mars 1957, en compagnie de son père, Ahmed Rebah, au domicile de Saint-Eugène. Ils furent conduits de nuit tous deux vers une villa située à quelques kilomètres, aux Deux-Moulins, mise à la disposition des parachutistes, les bérets bleus, qui s'en servaient comme lieu de torture. Les personnes arrêtées étaient emmenées dans une cave réaménagée et partagée en box ceinturés de fils barbelés, sans cloisons entre eux, «comme en Indochine», leur avait-on dit. La cave donnait directement sur la mer. Les corps des détenus qui succombaient sous les tortures étaient jetés à la mer. Ben Youcef et son père ont été gardés, une nuit, dans un de ces box. L'intervention d'un voisin, un notable musulman, auprès du capitaine qui commandait ce centre, les sauva d'une «disparition» certainement programmée par les parachutistes. Ils furent extraits de la cave et conduits au Cercle du Baron, à quelques mètres de là, avant d'être libérés dans la matinée.
Ben Youcef a été arrêté une troisième fois, un jour de septembre 1959, dans l'après-midi, pour avoir protesté contre des parachutistes qui brutalisaient son père qu'ils venaient d'arrêter dans la rue, à Saint-Eugène. Ils furent emmenés, tous deux, au Casino de la Corniche (Pointe-Pescade, aujourd'hui Raïs Hamidou) transformé en lieu de torture (après l'attentat à la bombe qui l'a visé le 3 juin 1957). Ben Youcef a été libéré la nuit même (au moment du couvre-feu), après l'intervention d'un voisin partisan de l'Algérie française, Mourad Kaouah (qui a, par contre, aggravé la situation du père, en le désignant comme le responsable de l'engagement dans l'ALN de l'aîné, Nour Eddine).
Les parents et les petits frères de Ben Youcef étaient effrayés par son état quand il entra à la maison. Les marques de coups étaient bien visibles et il souffrait du genou. Jeté dans un petit vestiaire du Casino, transformé en cellule, «ils se sont mis à plusieurs à me frapper sans arrêt», avait-il raconté. Ben Youcef fut contraint d'interrompre ses études à cause de ces arrestations. Après sa libération de Camp du Maréchal en 1958, il s'est trouvé exclu du collège Guillemin (actuel lycée Okba), où il était inscrit.
L'année scolaire était déjà largement entamée, et avec la grève de 1956-1957, cela lui faisait deux années consécutives d'absence. Il ne pourra reprendre ses études qu'après l'indépendance. Jusqu'à juin 1965, il a été journaliste à Alger Républicain. Il occupa ensuite un poste de cadre dans la TAL (future Sonipec), puis à la SNLB, et a servi honnêtement son pays, sans jamais réclamer son «Attestation communale». Il est décédé le jeudi 30 mars 2017 à Alger, à l'âge de 78 ans. M'hamed Rebah (frère de Ben Youcef).

Abderrahmane Rebah
A la mémoire de Ben Youcef Rebah, décédé récemment


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