Il reste peu connu en Algérie où le nom de sa famille a surtout été «porté» par son cousin, l'écrivain Mouloud Mammeri, pourtant c'est un maître de la peinture algérienne, l'un des premiers, dont la notoriété est mondiale. Né présumé en 1890, à Taourirt-Mimoun (Aïn El-Hammam, Grande Kabylie), il passe avec succès l'examen d'instituteur et vient suivre les cours de l'Ecole normale d'Alger. Là s'éveille son goût pour la ligne et le dessin, mais il ne reçoit aucun conseil et, son stage terminé, rejoint son poste isolé de la région de Béjaïa, pour enseigner. Dans Toudja, îlot de verdure au pied d'une montagne rocheuse, il arrive en septembre 1910. Le spectacle d'une nature généreuse émeut son imagination et sa sensibilité. A ses moments perdus, il dessine des formes encore maladroites, sur des carnets d'écoliers, le papier gris de l'épicier et dissimule ses premiers émois artistiques. Il rêve alors de traduire la vie des formes par le jeu des couleurs et commande, modestement, sa première palette, quelques tubes de couleurs et des pinceaux. Pendant des mois, il s'acharne à découvrir, tout seul, les mystères dont il a la nostalgie, mais sans résultat satisfaisant. Alors il ne pense plus qu'à sortir de son isolement et à se rapprocher de la ville. A la veille des grandes vacances, il s'enhardit d'écrire à l'Inspecteur de l'Enseignement artistique, qui lui accorde une audience. Il présente son premier tableau, L'Ecole de Toudja, à Prosper Picard qui lui conseille de travailler avec un peintre et lui remet une lettre de recommandation pour M. Lagarde, qui devait faire un voyage d'études à Beni Yenni. Il se trouve que M. Lagarde n'arrivera que fin septembre à Taourirt-Mimoun et que le jeune Mammeri n'a pas pu profiter de ses leçons. Mais à Aïn El-Hammam, il fait la connaissance du peintre Eduard Herzig, venu visiter la Kabylie et passe avec lui un mois. Au lieu de retourner à Toudja, le hasard l'envoie, en octobre 1913, à Gouraya, entre Cherchell et Ténès. L'école est voisine de la villa du gouverneur général Jonnard. Un peintre est arrivé au village et habite la villa. Et c'est au marché que Mammeri fait la connaissance avec ce peintre qui n'est autre que Léon Carré, et avec lequel il restera pendant huit mois. 1916, sera pour lui une année décisive. Tous les maîtres de la peinture qu'il a côtoyés, reconnaissent en lui un génie en la matière à tel point que le dernier en date, Léon Carré, lui dit tout simplement : « Ce que vous avez fait durant ces derniers huit mois, c'est ce que la plupart des artistes font en plusieurs années à l'école des Beaux-arts. » Une nouvelle chance s'offre à Mammeri. Il a, au Maroc, un cousin percepteur des enfants du Sultan qui l'invite à se rendre au Moghrib. Hésitant et sceptique, le jeune instituteur finit par céder à l'appel du cousin. Après avoir été instituteur à Fès et à Rabat, il est nommé, en 1919, professeur de dessin au collège musulman de Rabat. C'est de cette ville que le peintre envoie à Paris, deux de ses premières toiles pour une exposition au pavillon de Marsan. Elles seront aussitôt acquises, pour le Musée du Luxembourg. C'est sa première consécration. En 1921, il organise une exposition à Paris où la presse consacre son talent. En 1922, il revient à Beni Yenni. Il obtient une bourse d'études en Espagne d'où il rapporte, en 1924, une riche collection de toiles peintes à Séville, Grenade, Cordoue, Tolède. C'est cette année-là qu'on voit à Alger, pour la première fois, les œuvres de Mammeri qui peint selon les principes, à peine en faveur à l'époque, de la synthèse, sans la pousser à l'extrême. Une vision juste et simple désencombre le motif de tous ses détails accessoires et le restitue dans son expression essentielle. C'est ainsi que le définit Louis-Eugène Angéli dans « Les maîtres de la peinture algérienne ». Il expose aux Etats-Unis, au Musée de Cleveland, au Brooklyn Museum, au French Institut où plusieurs de ses toiles sont retenues. En 1927, il retourne au Maroc où il occupe les postes de professeur de dessin à Fès, d'inspecteur régional des Arts indigènes à Rabat et est nommé, le 1er janvier 1929, inspecteurs des arts marocains à Marrakech, poste qu'il conservera jusqu'à sa retraite, en 1948. Tout en travaillant à sa peinture, il réalise une autre œuvre, celle de maintenir et de restaurer les plus pures traditions locales, en fondant, au Dar Si Saïd, un musée des Arts indigènes. Il s'occupe d'études folkloriques et crée une école de musique et des orchestres de musique andalouse avec une émission hebdomadaire à Radio Maroc. Mammeri a illustré deux ouvrages : «Marrakech ou les seigneurs de l'Atlas» de J. Tharaud et « La Féerie marocaine» de Mme Thérèse Gadola. Après sa retraite, il se retire à Taourirt-Mimoun puis à Larbâa Béni Moussa. En 1950, il écrit un livre intitulé : «Comment je suis venu à la peinture ? » où il évoque ses débuts difficiles et timides, sa volonté farouche de franchir tous les obstacles pour réussir, sans oublier de remercier tous ceux qui ont contribué à son plein épanouissement. C'est un ouvrage qui se lit comme une confidence, un précieux document qui devrait être préservé ainsi que toute son œuvre picturale. Sa dernière exposition date de 1952, mais il continue à peindre jusqu'à son dernier souffle. Il sera d'ailleurs terrassé par un ictus cérébral, le pinceau à la main, le 9 septembre 1954, à quatre kilomètres de Larbâa. Il ne reprendra plus connaissance et s'éteint au milieu des siens, le 17 septembre à Taourirt-Mimoun où il a été transporté. Grossissant le flot des œuvres pillées par le colonialisme, des toiles, des tableaux, les gouaches que ce peintre réaliste avait signées furent embarquées clandestinement à la veille de l'indépendance, dans l'obscurité de quelque malle anonyme. En 1966, l'UNAP avait organisé une exposition rétrospective et avait réussi à réunir une centaine d'œuvres de l'artiste.