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«L'Algérie a un répit de seulement trois ans pour changer de cap»
Publié dans La Nouvelle République le 21 - 09 - 2017

Abderrahmane Mebtoul est un expert algérien en économie. (Crédits : DR.) Avec la chute des cours mondiaux des hydrocarbures, les signes de la crise se multiplient en Algérie, notamment, le recul des volumes des investissements sur les deux dernières et le défaut de paiement observé dans les grandes structures de l'Etat. Abderrahmane Mebtoul, expert en économie, décortique la situation actuelle en Algérie et propose des scénarios qui freineraient la crise et atténueraient ses impacts.
LTA. Comment se porte l'économie algérienne aujourd'hui ?
Abderrahmane Mebtoul : Le dernier Conseil des ministres a mis en relief les difficultés financières de l'Algérie. Malgré les importantes potentialités du pays, la rente des hydrocarbures, en anesthésiant tout esprit d'initiative, a largement influencé la nature des régimes et les politiques socio-économiques depuis l'indépendance à nos jours sans avoir réalisé une économie diversifiée. Aussi, face aux tensions budgétaires inévitables entre 2017/2020, le cours du pétrole étant à la baisse pendant une longue durée, il s'agira, en fonction des résultats quantifiés et datés, de mettre en place des stratégies d'adaptation tant sur le plan économique que social et politique solidaires, supposant un large front national, tenant compte des différentes sensibilités.
Le nouveau gouvernement propose d'utiliser le financement non conventionnel. Quels sont à votre avis les avantages et les risques de ce choix ?
Un projet de loi amendant la loi sur la monnaie et le crédit, à travers la modification de l'article 45 autorisant la Banque d'Algérie de «prêter directement» au Trésor public, a été adopté récemment par le Conseil des ministres Rappelons que la loi sur la monnaie et le crédit a été instaurée par la loi 90-10 du 14 avril 1990, légèrement modifiée par l'ordonnance 3-11 du 26 août 2003 et récemment par l'ordonnance 10-04 du 26 août 2010 . Il faut distinguer le financement de la partie dinars auquel s'adresse le financement non conventionnel et de la partie devises.
Or , 97% des recettes en devises directement et indirectement proviennent des hydrocarbures, la superficie économique est constituée à plus de 80% de petits commerces et services avec la dominance de la sphère informelle, les exportations hors hydrocarbures entre 2010 et 2016 variant entre 1 et 1,5 milliards de dollars donc marginales et 70% des besoins de l'économie nationale des entreprises publiques et privées proviennent de l'extérieur, dont le taux d'intégration ne dépasse pas 15%, donc des achats en devises.
Le financement conventionnel, parfois utilisé dans une économie de marché concurrentielle structurée ayant un potentiel productif, loin de tout monopole et assis sur une bonne gouvernance où existent des facteurs de production oisifs afin de relancer la demande globale -consommation et investissement- doit être adopté avec précaution, car l'Algérie souffre de rigidités structurelles. Si ce financement s'adresse aux secteurs productifs concurrentiels en termes de coût/qualité, tenant compte de la quatrième révolution économique mondiale, les tensions à court terme seront amorties par les effets positifs à moyen terme du fait de la création de valeurs ajoutées.
Entre-temps, la mobilisation de la population est nécessaire, non pas à travers des actions bureaucratisées, mais par un discours de vérité pour lui expliquer concrètement les enjeux et une moralisation de la société afin de susciter son adhésion.
Au cas où n'existerait pas de dynamisation du secteur productif, de versements de salaires sans contreparties productives et l'apparition de nouvelles rentes spéculatives par la planche à billets, nous subirons comme conséquences et avec l'hypothèse d'un cours du baril tournant autour de 50 à 55 dollars, une inflation à deux chiffres à terme et une méfiance de la population qui, pour se prémunir, ira se réfugier dans des achats comme l'or, les devises, l'immobilier, le stockage de biens durables, élargissant ainsi la sphère informelle.
Puis, le relèvement obligatoire des taux d'intérêt des banques si on veut éviter leur faillite. Des taux d'intérêt à deux chiffres qui freineraient d'ailleurs l'investissement productif. Autre conséquence, une baisse du même niveau sur les revenus fixes notamment des salariés et des fonctionnaires de l'Etat qui risquent d'avoir un revenu divisé par deux en termes de parité de pouvoir d'achat avec le laminement des couches moyennes, l'inflation réalisant une épargne forcée pour combler le déficit budgétaire avec le risque de la spirale, revendication sociales, hausse des salaires, inflation-hausse des salaires et inflation.
Enfin, le dérapage accéléré du dinar s'orientant officiellement vers 200 dinars/un euro et sur le marché parallèle un écart de 50% avec le renchérissement de tous les biens importés accélérant le processus inflationniste. Une éventuelle modification de la loi sur la monnaie et le crédit notamment n'est pas une opération technique, mais a des incidences sociales politiques et sécuritaires.
Selon vous, l'économie algérienne pourrait-elle continuer à fonctionner sur la base d'un cours de 110 à 120 dollars comme cela a été le cas entre les années 2013 et 2015 ? Les données précédentes sont une réponse à votre question. Entre le budget de fonctionnement et d'équipement, selon les données du FMI pour la période 2012-2015, l'Algérie a fonctionné sur la base d'un cours variant entre 110 et 120 dollars le baril, le cours du gaz conventionnel, qui représente un tiers des recettes de Sonatrach, étant indexé sur le prix du pétrole qui a chuté depuis juin 2017 à ce jour d'environ 45%. Pour les lois de finances 2016/2017, l'Algérie fonctionne sur la base d'un cours fluctuant qui explique les vives tensions budgétaires, malgré toutes les restrictions aux importations. Vous avez proposé récemment la fusion du ministère des Finances avec celui du Commerce, et la fusion du ministère des Investissements avec ceux du Tourisme et l'Artisanat...
Votre rappel est très important et renvoie à l'urgence d'institutions crédibles reposant sur la refondation de l'Etat au moyen de mécanismes plus décentralisés qui renforceraient globalement la cohésion globale. Dans la situation actuelle, plusieurs ministères se télescopent, ajoutant au manque de visibilité et de cohérence. Ainsi, pour sortir de la crise, des objectifs stratégiques, pilotés par de grands ministères, s'imposent.
Mais il faut être réaliste, ce n'est pas la panacée, car le regroupement de ministères sans objectifs stratégiques n'a aucun sens. Par ailleurs, il faut avoir une vision à moyen et long termes. Les économies occasionnées à court terme sont mineures, mais ce regroupement permettra d'optimaliser la fonction/objectif stratégique à moyen terme et donc de réaliser d'importantes économies. D'où l'urgence de rationaliser la dépense publique, notamment par un regroupement des ministères. Cette réorganisation devient urgente pour des raisons surtout d'efficience gouvernementale.
Quelle est la vision stratégique de l'Algérie à l'horizon 2020 ?
L'Algérie a un répit de seulement trois ans pour changer de cap et éviter de vives tensions sociales. Alors que faire pour maintenir le niveau des réserves e change à un niveau acceptable qui tient la valeur du dinar, car à 20/30 milliards de réserves de change, la cotation officielle du dinar serait à plus de 200 dinars/dollar ? Comment compresser les rubriques importation de biens et services, dynamiser les rentées annuelles de Sonatrach qui dépendront à la fois de la forte consommation inférieure, de la concurrence internationale et des cours futurs, dont l'Algérie n'a aucune emprise ?
Car l'annonce euphorique des gouvernements précédents d'avoir seulement une sortie de devises de 30 milliards de dollars par an entre 2017 et 2018 est irréalisable. En effet, nos calculs largement publiés dans la presse nationale et internationale à partir des statistiques douanières donc officielles, année par année, montrent qu'entre les années 2000 et 2016 les sorties de devises de biens ont été d'environ 520 milliards de dollars -560 milliards de dollars à juillet 2017, selon certaines sources- plus les services, souvent oubliés dans les déclarations officielles -entre 10 et 11 milliards de dollars par an entre 2010 et 2016) et les transferts légaux de capitaux de plus de 730 milliards de dollars, pour une entrée de devises d'environ 850 milliards de dollars, la différence étant les réserves de change, à fin 2016, de 114 milliards de dollars et de 105 milliards de dollars en juillet 2017.
Quelle conclusion tirez-vous de cette situation ?
Il faut éviter la vision alarmiste, tout en restant réaliste. L'Algérie en ce mois de septembre 2017 ne connait pas encore de crise financière, mais plutôt une crise de gouvernance. Le risque sans correction de l'actuelle politique économique, et notamment industrielle dont le résultat est mitigé ces dernières années contrairement à certains discours démentis par le terrain, est d'aller droit vers le FMI à l'horizon 2018-2019 ou cohabiteront crise financière et crise de gouvernance. Dans ce cadre, c'est une évidence d'affirmer que le système financier algérien a besoin d'être réformé, n'existant pas de banques accompagnant les véritables investisseurs et pas de véritables bourses des valeurs.
Une hérésie économique des entreprises étatiques dominantes souvent déficitaires achetant des entreprises étatiques déficitaires. Ni Sonatrach, ni Sonelgaz et ni de grandes entreprises privées n'étant cotés en bourse. L'économie algérienne est totalement rentière avec 98% d'exportation d'hydrocarbures et important plus de 70% des besoins des ménages et des entreprises. Tout est irrigué par la rente des hydrocarbures donnant ainsi des taux de croissance, de chômage et d'inflation fictifs.
La richesse nationale créée puise sa source dans la relation du triptyque: stock physique (stock de ressources naturelles d'hydrocarbures, NDA) - stock monétaire (transformation: richesse monétaire, NDA) - répartition (modalités et mécanismes de répartition: investissement-consommation- fonds de régulation, NDA). La société des hydrocarbures ne créait pas de richesses ou du moins très peu. Elle transforme un stock physique en stock monétaire -champ de l'entreprise- ou contribue à avoir des réserves de change qui par le passé, du fait de la faiblesse de capacité d'absorption, ont été placées à l'étranger.
Cette transformation n'est plus dans le champ de l'entreprise, mais se déplace dans le champ institutionnel -problème de la répartition. Or la richesse ne peut apparaître que dans le cadre de la transformation du stock de monnaie en stock de capital, et là est toute la problématique du développement. Aussi, la solution la plus sûre est d'avoir une vision stratégique, loin de tout replâtrage, les tactiques pour paraphraser les experts militaires, devant s'insérer au sein d'une fonction objectif stratégique, ce qui fait cruellement défaut actuellement.
L'objectif stratégique est d'accélérer les réformes structurelles et une mobilisation générale de toutes les composantes de la société, sans lesquelles, l'on ne pourra pas faire émerger une économie diversifiée., Sans réformes, au-delà de 2020, il sera impossible de maintenir le niveau des réserves au vu de la situation économique actuelle. Evitons toutefois la sinistrose. L'Algérie du fait de ses potentialités avec une nouvelle politique économique peut surmonter la crise. Car toute récession économique aurait des incidences sociales et politiques internes, mais également déstabilisatrices et géostratégiques au niveau de la région méditerranéenne et africaine.
Pour terminer, sans le retour à la confiance et l'adaptation à un monde en pleine mutation, évitant les politiques des années 1970-1990, où aucun développement de l'Algérie n'est possible. Et ce contrairement aux propositions parfois contradictoires se fondant sur des modèles économétriques appliqués aux pays développés de certains experts déconnectés des réalités nationales, les mêmes, épaulés par certains experts du Conseil économique et social (CNES) qui avaient pronostiqué en 2014 le retour d'un cours du pétrole à plus de 80 dollars.
Devant l'ex-Premier ministre et les membres de son gouvernement dans ma conférence au Club de Pins Alger, le 26 novembre 2014, dans plusieurs interviews dans des médias publics et privés nationaux et médias internationaux, dont La Tribune, j'avais mis en garde le gouvernement de ne plus compter sur un baril supérieur à 75/80 dollars entre 2015 et 2020 et préconisé des mesures opérationnelles de réformes pour une économie diversifiée, dans le cadre des valeurs internationales et s'insérant dans le cadre d'intégration régionale, euro-méditerranéen et africain. Vivant de l'illusion de la rente, les responsables ne nous ont pas écoutés et nous payons aujourd'hui les conséquences de ce manque de prospective.


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