La Gambie n'est pas connue pour la quantité de ses librairies. Peu d'habitants ont l'habitude d'acheter des livres. Et pourtant, depuis presque vingt ans, un établissement et sa dizaine d'employés s'efforcent de développer le goût de la lecture dans le pays. Située à une poignée de kilomètres à l'ouest de Banjul, la librairie «Timbooktoo» est un lieu unique, refuge des rares amoureux de l'écrit. De loin, le bâtiment ressemble à un paquebot bleu et blanc qui s'avance vers la rue, flottant sur la poussière. A son bord se trouve une collection de livres unique dans le pays. La Gambie possède bien quelques boutiques qui vendent des manuels scolaires ou des livres de prière, mais «Timbooktoo» est la seule véritable librairie, et propose à la fois des romans, de la poésie, des biographies, ou des livres politiques. Cette arche de Noé littéraire est née de la volonté, il y a 19 ans, d'un couple britanno-gambien revenu s'installer dans le pays. Ousainou Jagne et Katie Paine ont vu la seule librairie de la capitale fermer au moment de leur retour. «On s'est dit qu'il y avait besoin d'au moins une librairie dans le pays, et comme on avait de l'expérience dans le domaine de l'édition, on s'est lancés !» explique Katie. «Et notre force, c'est qu'on est complémentaires, continue la libraire. Ousainou connaît très bien les habitudes et les envies des clients gambiens, et moi, je peux anticiper les demandes des touristes ou des Européens installés ici.» Une société peu attachée à l'écrit Une diversité qui se retrouve à l'intérieur du bâtiment. Des objets d'art africain et des masques traditionnels veillent sur les grands classiques de la littérature anglaise. Un poster sur l'anatomie humaine côtoie une photo de Nelson Mandela. Et la littérature africaine n'est pas en reste : tant du côté fiction qu'au niveau des rayons de livres politiques ou historiques, le stock de «Timbooktoo» est bien fourni. Et pourtant, malgré quelques curieux qui parcourent les allées, la librairie n'attire pas les foules. Il faut dire que le taux d'alphabétisation dans le pays dépasse tout juste les 50%. Et très peu d'ouvrages existent en langues locales. «Nous avons quelques livres pour enfants en wolof, mais c'est très réduit», regrette Katie. Il faut donc de surcroît maîtriser l'anglais, ce qui réduit drastiquement le public. «Et c'est une société de l'oral, détaille Ousainou. Beaucoup de Gambiens ne comprennent pas l'intérêt de la lecture, ce n'est pas vu comme une priorité.» Ce sont surtout les ouvrages scolaires qui font vivre la librairie. Ils sont vendus par centaines, pour fournir les écoles publiques et privées du pays. Les ventes des autres livres sont beaucoup plus modestes : selon Katie, «quand on arrive à dix exemplaires vendus, on peut dire que ce livre est un best-seller !» La fiction pour les jeunes, «l'utile» pour les adultes Les rayons fiction sont souvent délaissés par les visiteurs au profit des tables qui exposent les dernières sorties de livres politiques ou les biographies. C'est là que se dirige aussitôt Aminata, qui vient de franchir le seuil de «Timbooktoo» accompagnée d'Aisha, sa fille de 12 ans. «Aujourd'hui, je suis venue pour moi, explique-t-elle. Mais c'est assez rare, d'habitude je viens pour Aisha. Je cherche un livre qui me soit bénéfique, il faut que je puisse réutiliser ce que j'ai lu.» Pas de romans, donc, car «c'est une perte de temps ! Je regarde plutôt les livres de développement personnel, ou les livres sur l'argent.» Un discours récurrent selon Ousainou : «en général, les Gambiens recherchent des livres qui inspirent, et qui leur sont utiles. Des choses qui sont en lien avec le réel.» Aisha, par contre, quitte rapidement sa mère pour se rendre du côté des romans. «J'adore les histoires d'aventure, et les romans fantastiques. Ça me permet de m'échapper, d'entrer totalement dans un autre univers», explique la jeune collégienne. Développer la littérature locale A l'étage, une terrasse est aménagée en salon de thé. Un groupe de lycéennes, en uniforme en batik bleu et blanc, murmurent et gloussent. «Timbooktoo» est aussi un lieu pour étudier ou bavarder. «On vient ici deux fois par semaine, explique Umu Tarawally. Du coup, je me suis mise à lire beaucoup, des livres de science-fiction, développe la jeune fille de 15 ans. Mais je lis surtout sur Internet, j'achète des livres rarement, car c'est cher.» La librairie s'est aussi donné pour mission de mettre en avant les écrivains locaux. Dans l'entrée sont exposés des livres publiés par des Gambiens. Un essai sur le changement de régime, un recueil de poésie, une biographie du nouveau président... «C'est sûr, ce n'est pas cela qui nous rendra riches. Mais on pense que c'est important de promouvoir les écrivains et les éditeurs du pays, explique Katie. Ça a le mérite d'exister !» «On sait que pour une grande majorité de Gambiens, la lecture n'est pas importante, reconnaît la libraire. Mais on se dit que c'est aussi notre mission de la promouvoir, en invitant des écrivains ou en organisant des dons de livres. On essaye de donner envie.»